Il fallait aimer le rugby
En 2008, Delphine Gleize (Carnages) s’essayait au documentaire avec Cavaliers seuls, une plongée dans le monde du saut d’obstacles coréalisée par Jean Rochefort. Onze ans plus tard, la cinéaste renoue avec l’exercice du documentaire sportif, mais change de discipline. Beau joueur emmène le spectateur dans le monde de l’ovalie, un sport avec lequel Delphine Gleize a grandi. « Chaque week-end, se souvient la réalisatrice, j’allais voir mon père jouer dans son club amateur du Nord de la France. C’était un rituel familial. Et j’aimais ce rugby sur ces terres pluvieuses vu du bord des terrains. C’était une promesse de fiction renouvelée chaque semaine ! ».
Il fallait suivre un club historique
Beau joueur ne s’intéresse pas à n’importe quelle équipe. L’Aviron Bayonnais, qui fête cette année ses 115 ans d’existence, constitue un des piliers de l’histoire du rugby français. Delphine Gleize explique : « C’est un peu Ava Gardner à Hollywood dans les années 50. Une star insoumise et magnétique précédée par sa réputation. » Un objet de légende d’autant plus passionnant que la cinéaste avait pu l’approcher en 2010 le temps d’une scène de La Permission de minuit tournée dans les tribunes du club. « Il y avait un public extraordinaire. C’était une drôle d’arène et j’avais vu ce jour-là l’évidence d’un décor de cinéma. » Six ans plus tard, elle est revenue y poser sa caméra pour huit mois de tournage.
Il fallait raconter la défaite plutôt que les victoires
Beau joueur va naître des recherches menées par la réalisatrice pour préparer son nouveau film : une fiction centrée sur une histoire d’amour entre une athlète et son entraîneur. Elle repère dans la presse un coach au ton pas comme les autres : Vincent Etcheto vient de conduire l’Aviron Bayonnais de la Pro D2 au Top 14. Elle le contacte. Il accepte de la recevoir, sur les conseils… de sa mère qui adore ses films ! Delphine Gleize assiste à un entraînement alors que le club est en pleine tourmente (l’Aviron Bayonnais vient de subir sept défaites consécutives). « Je vis alors un coup de foudre. Cette équipe me touche et j’ai instantanément envie de la filmer. » Elle met dans la foulée son projet de fiction entre parenthèses et se plonge à 100% dans ce documentaire. « J’ai imaginé Beau joueur comme le roman d’un dépit amoureux. » Le sujet est évident : comment vivre dans la défaite juste après avoir enchaîné les victoires ? Gleize va filmer la chronique d’un échec annoncé.
Il fallait être seule
Puisque ce film naît d’un coup de foudre, il était évident qu’il devait se tourner en « tête à têtes ». Sans équipe de cinéma autour d’elle. Pour raconter le quotidien de cette équipe et son rapport à celle-ci. « J’étais là pour me mouiller, assumer ma présence et celle de l’objet caméra. Pas pour voler des images. Or filmer seule, c’est affronter. Je n’ai pas cherché à me faire oublier mais à me faire accepter ».
Il fallait dépasser le simple documentaire sportif
La force de Beau joueur est de ne jamais se limiter à un simple documentaire sur le rugby. D’ailleurs, pendant les matchs, Delphine Gleize tourne le dos au terrain pour s’intéresser aux tribunes, soit à tout ce qu’une retransmission télé ne montre pas. « Mon film n’est pas une retransmission mais une transmission. Je ne cherche pas à montrer comment ces joueurs encaissent des essais, mais plutôt à voir comment ils continuent à se battre. » Pour cela, elle filme les corps et les visages au lieu des actions. Et en signant un film sur un groupe qui doit assurer sa cohérence en pleine tempête, elle transcende le cadre du milieu sportif. « Beau joueur est un film sur l’utopie et le désir de revivre un eldorado que ces joueurs ont caressé. C’est en cela que ces sportifs de haut niveau nous ressemblent. »
Beau Joueur sort en salles mercredi 26 juin et a bénéficié de l’avance sur recettes après réalisation du CNC.