« Peaches Goes Bananas » : Marie Losier, artiste multiple et inclassable

« Peaches Goes Bananas » : Marie Losier, artiste multiple et inclassable

03 mars 2025
Cinéma
« Peaches Goes Bananas » réalisé par Marie Losier
« Peaches Goes Bananas » réalisé par Marie Losier Norte Distribution

Alors que sort son troisième long métrage documentaire Peaches Goes Bananas, primé au dernier festival Chéries Chéris, qui brosse le portrait de la chanteuse rock canadienne, icône queer et féministe Peaches, retour sur le riche parcours de la réalisatrice et curatrice Marie Losier. Un itinéraire façonné par le cinéma, un élément central dans sa palette de création.


Pendant dix-sept ans, Marie Losier a suivi Merrill Beth Nisker alias Peaches, chanteuse rock canadienne, icône queer et féministe, reine de l’electroclash – style musical mêlant electro des années 1980, new wave, techno des années 1990, electro pop rétro et dance – pour donner naissance au documentaire Peaches Goes Bananas. Ce troisième long, Prix du Jury à Chéries Chéris 2024, qui, comme ses 25 courts et moyens métrages (qui ont eu droit à des rétrospectives au MoMA à New York et au Jeu de Paume à Paris), dresse le portrait d’un artiste. La marque de fabrique de Marie Losier, même si rien ne la prédestinait à passer un jour derrière la caméra, en dépit de sa passion enfant pour le septième art. « J’aimais le cinéma car c’était le seul endroit où je me sentais libre, où je pouvais rêver, où je comprenais la vie. Mes parents n’avaient pas la télévision. Mais il y avait un ciné-club dans mon village. Et dès que j’allais voir ma tante russe à Paris, elle m’emmenait au Grand Action. Puis, plus tard, pendant mes études de littérature, j’ai beaucoup séché les cours pour aller à la Cinémathèque française. Mais je pensais que ce n’était pas pour moi, que devenir un jour réalisatrice n’était pas possible. », raconte Marie Losier. Jusqu’à ce qu’elle parte étudier les Beaux-Arts au Hunter College de New York. New York où elle vivra pendant vingt-trois ans. « Je n’ai pas fait d’école de cinéma mais une fois sur place, je me suis retrouvée plongée dans le milieu de l’avant-garde où il n’existe aucune séparation vraiment claire entre le théâtre, la littérature, la musique, la danse et le cinéma. » C’est là qu’elle commence à rencontrer des artistes qu’elle va avoir envie de filmer. « Il y a en effet une obsession chez moi d’archiver, de documenter, de comprendre le mécanisme de pensée et le processus de création. Ce sont les artistes hors norme, hors du système commercial, qui m’intéressent le plus. Et ce seront quasiment toujours des rencontres amicales qui donneront naissance, après un long processus de travail, à ces portraits où, telle une petite détective, j’entre dans leur tête pour mieux les connaître, eux et leurs milieux. »

 

Histoires folles

Tout part de cette caméra Bolex qu’un ami va lui offrir. « Pour apprendre à m’en servir, je suis allée au Millennium Film Workshop à Brooklyn, un centre d’arts dédié à l’étude et à la pratique du cinéma expérimental car je savais qu’on y donnait des cours de caméra Bolex et j’espérais que quelqu’un puisse m’expliquer comment m’en servir. ». Sur place, elle tombe sur Mike Kuchar, qui y travaille comme projectionniste de films 16 mm. « C’était un des grands noms du cinéma d’avant-garde de la Côte Est alors que son frère jumeau George régnait, lui, sur la Côte Ouest. Tous deux ont influencé le cinéma de John Waters, par exemple. À ce moment-là, je n’ai aucune idée de qui il est. Mais il va venir me parler et je vais me lier d’amitié avec lui au fil de nos échanges. Ses histoires étaient tellement folles, tellement drôles et tellement tordues que je lui ai demandé de l’enregistrer et de le filmer. Et comme je ne savais pas faire de film, j’ai mis en scène des tableaux vivants comme de la peinture, fruit de ma formation aux Beaux-Arts. C’est ainsi qu’est né mon premier portrait : Bird, Bath and Beyond. » Le premier d’une longue série puisque, découvrant le résultat, George Kuchar lui demande de faire un film sur lui. Ce sera Electrocute Your Stars. Avant que Marie Losier ne commence, pour gagner sa vie, à construire les décors des pièces du maître du théâtre ontologique Richard Foreman et signe un portrait de lui, The Ontological Cowboy. « Le point commun de tous mes portraits est qu’ils naissent de rencontres souvent impromptues devenant des amitiés. Ma façon d’être avec les autres qui sont souvent très actifs est aussi d’être active et donc de filmer. Même si ça prend parfois cinq, sept ou dix-sept ans comme pour Peaches ! »

Tous ces films seront des formats courts jusqu’à ce que la cinéaste passe pour la première fois au long en 2011 avec La Ballade de Genesis et Lady Jaye, l’histoire hors du commun de l’artiste Breyer P-Orridge Genesis et de sa femme et partenaire artistique, Lady Jaye Breyer P’Orridge, qui par amour ont décidé tous deux de se fondre en une seule entité, au fil d’une série d’opérations plastiques vécues comme une performance risquée, ambitieuse et subversive. « Ma première approche du cinéma n’était pas du tout normée, analyse Marie Losier. Donc la durée était celle dont le film avait besoin. Je ne me fixais aucun cadre. Une idée que j’ai conservée même si tout s’est aujourd’hui un peu professionnalisé. » Ce tournant dans son parcours débute ainsi avec ce film sur ce couple d’artistes. « C’est la première fois qu’un de mes films sortait en salles. Je n’avais jamais imaginé que ce soit possible, pas plus que je n’avais la moindre idée de ce que cela impliquait. » Pour sa sortie, Épicentre qui distribue le film fait venir la cinéaste à Paris. « Là, je vais découvrir un monde qui m’était encore inconnu. Toute une industrie de la postproduction et du mixage comme le système d’aides qu’on a la chance d’avoir en France. »

Exóticos

Marie Losier recevra ensuite le prix de résidence du DAAD à Berlin et le prix Guggenheim pour travailler sur ce qui deviendra son deuxième long en 2018, Cassandro The Exotico !, portrait du roi des Exóticos, ces catcheurs mexicains travestis. Un personnage qu’aucune fiction n’aurait pu inventer et qu’elle a rencontré par hasard. « Un soir, alors que je venais de présenter La Ballade de Genenis et Lady Jaye à Los Angeles, on m’a emmenée le voir jouer dans un cabaret. Un show incroyable ! Je l’ai rencontré en coulisses et ça a tout de suite été le coup de foudre. Le mois suivant, il se produisait à Mexico. J’y suis allée mais avec ma caméra cette fois-ci, car je savais qu’il y avait un film à faire. Il a tout de suite accepté. » Ce film sera aussi le premier produit de manière professionnelle grâce à sa rencontre avec Carole Chassaing de Tamara Films qui l’accompagne aussi sur Peaches Goes Bananas, dont la genèse remonte à 2008 ! « Là encore, comme pour Cassandro, je ne sais pas vraiment qui est Peaches quand je la rencontre pour la première fois dans le couloir d’une salle de concert où j’étais venue avec Breyer P-Orridge Genesis. J’avais ma caméra avec moi. Elle m’a dit : “Et moi, tu ne me filmes pas ?” J’ai atterri dans sa loge. Elle était très drôle et très sympathique. C’est ainsi que tout a commencé mais je ne savais pas que le tournage allait s’étaler sur autant d’années. » Au point même qu’il a failli ne jamais voir le jour. « C’est pendant la pandémie de Covid, où j’étais totalement démunie puisque je ne pouvais plus travailler et que je n’avais vraiment plus rien, que Carole m’a demandé où en était le film et m’a proposé de le regarder ensemble. Ce fut un coup de boost. J’ai recontacté Peaches qui, comme d’habitude, était enthousiaste. Carole a réussi à trouver des financements. Ça m’a permis d’aller filmer quelques scènes à Berlin puis de faire venir Peaches à Paris pour tourner d’autres scènes et de finir le film. » Même si le montage ne fut pas de tout repos. « Je me suis longtemps demandé si j’allais trouver le film. J’avais de gros soucis de son car quand je me suis lancée, j’avais du matériel de très mauvaise qualité et je n’étais concentrée que sur l’image. Au fil du temps, je me suis améliorée, tout comme le matériel, mais il a fallu harmoniser les choses. »

Artiste multiple

Marie Losier ne passe cependant pas tout son temps à faire des films. Artiste multiple, on peut jusqu’au 31 août 2025 découvrir ses créations diverses avec sa toute première exposition rétrospective en France intitulée Hooky Wooky (titre emprunté à Lou Reed), au Transpalette, centre d’art à Bourges. « On peut y voir des films bien sûr mais aussi des dessins, des sculptures, des photos, des caméras en céramique… Un résumé de ce que j’ai pu créer depuis vingt ans avec un point commun à ces œuvres : elles sont toutes liées au cinéma. Chez moi, le cinéma est toujours central et fait exister tout le reste. » Le cinéma qu’elle enseigne aussi depuis plusieurs années à la Haute École d’art et de design à Genève, en Suisse (HEAD). « Alors que je cherchais un travail pour survivre financièrement, on m’a appelée pour un remplacement et j’ai continué depuis. Je me suis d’abord occupée des premières années et, depuis sept ans, je dirige un atelier autour du 16 mm. J’enseigne l’apprentissage de la caméra évidemment, mais aussi les effets spéciaux, l’écriture de scénario, le story-board, le montage ou le bruitage. Avec pour finalité le tournage d’un film de vingt minutes en une session de sept semaines. J’aime énormément la rencontre avec ces jeunes étudiants, savoir comment ils pensent aujourd’hui et comment la société évolue à travers eux. Il y a des choses imposées bien sûr, mais je pense qu’il y a un côté assez rock’n’roll dans ma manière de transmettre. »

Marie Losier travaille désormais et depuis un petit moment à une comédie musicale. « L’envie de fiction a toujours été là. Elle est d’ailleurs très présente dans mes documentaires. Mais si elle est très facile pour moi à imaginer quand elle part de mon observation du réel, tout se complexifie quand je ne peux pas m’appuyer sur lui. Je suis donc en train de faire des va-et-vient pour repartir vers le documentaire et ainsi parvenir à donner vie à ma fiction. Je sens qu’il y a un fossé important entre ce qu’on appelle une comédie musicale et celle que j’ai dans la tête. Tout ce que je peux dire, c’est que tout cela ne va pas être classique, donc pas facile à produire. »
 

PEACHES GOES BANANAS

Affiche de « PEACHES GOES BANANAS »
Peaches goes bananas Norte Distribution

Réalisation : Marie Losier
Production : Tamara Films
Distribution : Norte Distribution
Ventes internationales : Best Friend Forever
Sortie le 5 mars 2025

Soutiens sélectifs du CNC : FAI DOC - Aide au développement renforcé, Avance sur recettes après réalisation, Aide sélective à la distribution (aide au film par film)