Blandine Lenoir : « Avec Juliette au printemps, je voulais raconter que les hommes sont des femmes comme les autres »

Blandine Lenoir : « Avec Juliette au printemps, je voulais raconter que les hommes sont des femmes comme les autres »

13 juin 2024
Cinéma
Juliette au printemps
« Juliette au printemps » réalisé par Blandine Lenoir Carole Bethuel

Une jeune illustratrice en pleine dépression vient se ressourcer dans sa famille. Deux semaines au cours desquelles de nombreux secrets et non-dits vont remonter à la surface… La réalisatrice d’Annie Colère porte à l’écran le roman graphique Juliette : Les fantômes reviennent au printemps, de Camille Jourdy. Elle revient sur les coulisses de cette adaptation en équilibre entre rires et larmes.


Pourquoi avoir choisi d’adapter le roman graphique de Camille Jourdy au cinéma ?

Blandine Lenoir : Pour de nombreuses raisons ! Celle qui surgit la première est sans doute l’envie de parler de la famille, un sujet universel qui me passionne. Celle que Camille Jourdy proposait était magnifiquement dessinée – dans tous les sens du terme – avec des personnalités très complexes. À travers cette adaptation, je voyais aussi une occasion de représenter la masculinité comme la féminité de manière un peu différente de ce que nous avons l’habitude de voir. Mais ce qui m’a définitivement emportée, mon coup de cœur total, ce sont les pages où elle a dessiné les scènes d’amour entre les personnages de Marylou et Adrien [incarnés par Sophie Guillemin et Thomas de Pourquery à l’écran – ndlr] dans les serres du jardin. J’avais la sensation de ne jamais en avoir vu de telles au cinéma. C’est ce qui m’a donné envie de les mettre en scène.

Camille Jourdy a participé à l’écriture de cette adaptation. Quel a été son rôle ?

Quand nous nous sommes rencontrées à un salon du livre de la jeunesse, nous nous sommes immédiatement reconnues ! Comme une évidence. Dès lors, tout a été d’une grande fluidité. Quand je lui ai proposé d’adapter son roman graphique, je lui ai aussi précisé ce que j’aimerais y rajouter. Et Camille a accepté tout de suite mes suggestions. Je me suis alors mis au travail avec Maud Ameline (Camille Redouble, Amanda, Garçon chiffon…) afin de structurer le scénario. Au bout de six mois, une fois obtenue une version aboutie, qui contenait des séquences entières de bande dessinée, j’ai trouvé logique d’inviter Camille à dialoguer le film avec moi pour que nos deux univers se mêlent encore davantage.

Juliette au printemps est un film très bavard sur des gens qui n’arrivent pas à parler. Donc tout ce qu’ils disent revêt une importance essentielle et est calibré au mot près.

Quelles scènes manquaient précisément dans le roman graphique pour l’adapter au cinéma ?

Disons que dans une bande dessinée, on peut se permettre de multiplier les images très belles, très poétiques, juste pour le plaisir des yeux, sans forcément faire avancer le récit. Ce qui n’est pas du tout possible au cinéma. J’ai aussi gommé des mystères autour de certains personnages. Par exemple, Juliette n’avait pas de métier. Et c’est toujours un aspect qui me dérange comme cinéaste ou comme spectatrice. J’ai donc choisi d’en faire une illustratrice, ce qui me permettait de mieux connaître le personnage à travers ce qu’elle dessine, de la faire communiquer avec l’histoire qu’on raconte, avec ses parents. Mais aussi d’inviter Camille sur le plateau, car c’est elle qui fait la main d’Izïa (Higelin), et de faire ainsi apparaître à l’image son univers graphique.

Quel a été votre plus grand défi au cours de l’écriture du scénario avec Maud Ameline ?

Mon intention a été de pousser tous les curseurs. Mais il s’agit d’un type de film très dur à structurer car nous passons d’une émotion à l’autre, du rire aux larmes en permanence. Je l’avais déjà expérimenté dans Aurore. Il faut une structure très rigoureuse, car on rend le spectateur très poreux à l’émotion. Si on pousse trop loin l’humour, il n’aura plus envie d’être ému et si on va trop dans l’émotion, il n’aura plus envie de rire. L’apport de Maud a été essentiel de ce point de vue. Une fois le film terminé, certains de ses premiers spectateurs m’ont confié qu’ils pensaient que les comédiens improvisaient. Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas ! Juliette au printemps est un film très bavard sur des gens qui n’arrivent pas à parler. Donc tout ce qu’ils disent revêt une importance essentielle et est calibré au mot près.

À quel moment commencez-vous à penser au casting ?

Seulement une fois l’écriture terminée. Pour le rôle de Léonard, je ne voyais que deux acteurs possibles, j’ai donc été soulagée que Jean-Pierre Darroussin accepte.

En quoi était-il votre Léonard idéal ?

Il fallait quelqu’un à la fois pudique, fantaisiste et tendre. Juliette au printemps aurait pu s’appeler La Tendresse, d’ailleurs. Avec Jean-Pierre, je savais que je pourrais représenter la virilité et la masculinité différemment. Je désirais m’éloigner de cette virilité effrayante que je vois souvent au cinéma. Avec ce film, au fond, je voulais raconter que les hommes sont des femmes comme les autres. Par leur présence douce, leur virilité rassurante, Jean-Pierre, tout comme Éric Caravaca et Thomas de Pourquery – qui incarnent respectivement le mari et l’amant de Marylou –, me le permettait.

 

Juliette et Marylou, les deux sœurs, sont interprétées par Izïa Higelin et Sophie Guillemin…

L’une et l’autre se sont rapidement imposées dans mon esprit. Juliette ne va pas très bien. Or les personnages dépressifs sont souvent antipathiques. Moi je voulais qu’on sente à l’inverse que la vie est présente en elle – même assoupie –, qu’elle est prête à jaillir, qu’il faut juste qu’on l’y autorise. Et un simple sourire d’Izïa suffit à le traduire. Tout comme son regard si vivant, si expressif. Sans compter qu’elle possède quelque chose de très juvénile qui me permet de raconter une jeune femme quelque peu bloquée dans l’enfance. Quant à Marylou, je cherchais pour ce rôle une femme de 40 ans avec de vraies formes qui accepte de tourner nue. J’ai vu peu d’actrices mais je sais qu’il peut s’agir d’un obstacle infranchissable pour beaucoup d’entre elles. Tourner ces scènes dans Juliette au printemps était un geste politique. Celui de montrer des corps normaux que je trouve, moi, absolument magnifiques. Et de proposer la représentation d’une sexualité joyeuse et sensuelle.

Vos personnages ressemblent-ils physiquement à ceux du roman graphique ?

Marylou et Juliette sont assez proches de la BD. Mais leur grand-mère (Liliane Rovère) pas du tout, par exemple. De manière plus globale, l’œuvre de Camille a servi de socle à la direction artistique, confiée à ma chef décoratrice Marie Le Garrec qui était déjà présente sur Aurore et Annie Colère. La maison de Marylou est ainsi quasiment identique dans le roman graphique et dans le film, avec des décors intérieurs très colorés, très printaniers.

Dans une bande dessinée, on peut se permettre de multiplier les images très belles, très poétiques, juste pour le plaisir des yeux, sans forcément faire avancer le récit. Ce qui n’est pas du tout possible au cinéma.

Avez-vous travaillé de la même manière avec votre directeur de la photographie Brice Pancot ?

Oui et non. Quand Camille Jourdy dessine, elle ne se pose pas la question des focales, de l’arrière-plan ou de la profondeur de champ auxquels on doit se confronter pour passer le cap du grand écran. Elle peut dessiner des choses qui n’existent pas. Il faut donc raisonner différemment. La première idée, comme ce récit compte beaucoup de personnages, a été le choix du format Scope pour faire rentrer le maximum de monde dans le champ. Ma deuxième direction a été de construire un univers visuel qui va vers la lumière. Avec cette espèce de métaphore – certes un peu facile – de sortir de la dépression d’hiver pour aller vers le printemps. Voilà pourquoi on a commencé par tourner les intérieurs et fini par les extérieurs, fin avril, pour profiter d’une lumière plus éclatante.

Le montage a-t-il changé des aspects fondamentaux dans votre récit ?

Je considère toujours le montage comme une troisième écriture. Notre grand défi avec Héloïse Pelloquet a été de tenir cet équilibre entre les émotions dont je parlais précédemment. Et le compositeur Bertrand Belin, comme toujours, a été d’une aide essentielle à cette étape. Car il n’intervient pas uniquement en fin de course. Pendant trois mois, il fait des allers-retours, il m’apporte des musiques dont j’ai besoin pour des scènes très précises et d’autres qui vont m’aider au cours du montage. J’ai beaucoup de chance qu’il se rende aussi disponible.

Cela va faire près de vingt-cinq ans que vous travaillez avec Bertrand Belin…

Oui, il a fait la musique de tous mes films, courts et longs métrages. Nous partageons une vraie complicité qui s’appuie sur une grande confiance. Et tout devient possible quand on se fait confiance. Il n’y a pas d’ego entre nous. Bertrand n’a pas besoin de moi pour travailler. Il a une vie artistique tellement riche : musicien, acteur, écrivain. Quand on s’est rencontré, j’avais 15 ans et lui 18. Et ce qui est formidable c’est que l’on continue à se surprendre !
 

JULIETTE AU PRINTEMPS

Affiche de « Juliette au printemps » réalisé par Blandine Lenoir
Juliette au printemps Diaphana

Réalisation : Blandine Lenoir
Scénario : Blandine Lenoir, Maud Ameline, Camille Jourdy d’après le roman graphique de Camille Jourdy
Photographie : Brice Pancot
Montage : Héloïse Pelloquet
Musique : Bertrand Belin
Production : Karé Productions
Distribution : Diaphana
Ventes internationales : Indie Sales
Sortie le 12 juin 2024

Soutiens du CNCAide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée, Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024), Aide sélective à l'édition vidéo (aide au programme 2024)