Vingt ans d’absence
On a découvert Caroline Vignal en 2000 avec son premier long métrage, Les Autres filles. Un récit initiatique autour d’une ado cherchant à s’extraire d’un univers familial en pleine déliquescence. Malgré une sélection à la Semaine de la Critique, elle ne parvient pas à faire un deuxième film dans la foulée. Elle choisit alors de consacrer son temps à l’écriture. Scénarios, textes pour la radio… « Et je me suis aperçue, confie la réalisatrice aujourd’hui, que réaliser ne me manquait pas du tout. J’étais tout sauf une réalisatrice frustrée. Cette première expérience m’avait échaudée et je ne me voyais pas m’y confronter à nouveau. » Elle imagine donc plusieurs scénarios dont l’un va prendre plus d’importance que les autres, Antoinette dans les Cévennes. « En 2010, j’ai fait une randonnée dans les Cévennes avec notamment ma fille alors âgée de 6 ans. Et j’ai eu un coup de foudre à la fois pour les paysages de cette région et les gens que j’avais pu croiser durant ces quelques jours paradisiaques - les autres randonneurs comme les habitants du coin. » Elle commence donc à imaginer une intrigue mais en s’éloignant un peu de ce qu’elle a vécu. « Je n’avais pas envie de parler d’une famille. J’avais peur de me retrouver très vite prisonnière d’un univers trop semblable à Fais pas ci, fais pas ça ». Un déclic va permettre au récit de prendre forme. Sa lecture de Voyage avec un âne dans les Cévennes, le récit de voyage de Robert-Louis Stevenson dans la même région. L’auteur y raconte notamment sa relation avec l’ânesse qui l’accompagnait. Caroline Vignal se réapproprie ce récit en faisant de son héros un âne à qui elle donne le prénom de celui qui avait accompagné sa famille pendant leur périple : Patrick.
« Soudain ce fut une évidence : je devais le réaliser moi ; je ne pouvais le confier à personne d’autre. J’avais envie de filmer ces paysages sous une lumière d’été, j’y trouvais un écho parfait au film qui m’a donné envie de faire du cinéma : Le Rayon vert d’Eric Rohmer. »
Un portrait de femme
Antoinette dans les Cévennes met en scène une institutrice qui décide de rejoindre – sans le prévenir – son amant, le père d’une de ses élèves, qui a annulé leur semaine en amoureux pour partir randonner dans les Cévennes en famille. « J’avais écrit au départ un personnage de trentenaire. Mais assez vite, j’ai décidé de vieillir Antoinette pour amener de nouveaux enjeux. Le regard posé sur une femme de 40 ans, seule, est différent de celui posé sur une trentenaire sans compagnon. J’ai pu m’en apercevoir tout au long du processus d’écriture et des réactions que mon scénario suscitait. » Le long métrage de Caroline Vignal ne raconte pas l’histoire d’une femme dépendante d’un homme, mais trace le portrait d’une femme à la recherche de son bonheur, en butte au regard et aux a priori des autres. Ce sujet a été longtemps questionné pendant son développement : « Il m’a sans cesse fallu justifier pourquoi Antoinette n’avait pas d’enfant, alors que cela aurait été différent avec un homme dans le rôle principal. J’ai aussi peaufiné les personnages secondaires – les autres randonneurs qu’elle croise dans les refuges – en fonction des réactions que j’entendais. Antoinette passe, selon ses interlocuteurs, pour une briseuse de couples, un cœur à prendre, une héroïne des temps modernes ou une femme meurtrie qu’on doit consoler. J’ai compris à ce moment-là qu’on pouvait aussi la trouver antipathique. Voilà pourquoi j’ai écrit un face-à-face entre Antoinette et une femme qui se montre très dure avec elle. Pour que le spectateur soit à ses côtés, et de son côté. »
Le choix de son interprète principale
Antoinette est incarnée par Laure Calamy qui trouve ici son vrai premier rôle sur grand écran. « Laure était mon premier choix. Parce que c’est une comédienne que j’aime depuis Un monde sans femmes de Guillaume Brac et Ava de Léa Mysius. Mais aussi parce qu’il émane d’elle quelque chose de profondément populaire qui correspond à Antoinette et qui n’est pas si courant que ça dans le cinéma français. » Sauf que ce choix est d’abord refusé par les financiers. Pas assez « bankable ». « On a fait lire le scénario à d’autres actrices et heureusement pour moi, aucune n’a accepté. J’ai donc pu revenir à mon choix initial. Et Laure a été un formidable atout dans la suite du processus. Pour les membres des commissions de financement qui exprimaient leur envie de la voir enfin tenir un rôle important aussi bien que pour le reste de la distribution du film où chaque acteur que je contactais me confiait sa joie à l’idée de travailler avec elle. » Sa première intuition a donc été la bonne. Et le rôle comme le film ont immédiatement séduit Laure Calamy. « J’ai l’impression que Caroline me connaissait tant que je me suis spontanément identifiée à Antoinette », explique la comédienne. « Mon ami est guide de montagne. J’ai un rapport intime avec la marche et la montagne. Et l’âne est mon animal préféré. Mais j’ai tout de suite aimé la manière dont, à partir d’une situation cliché de rivalité entre deux femmes, Caroline nous emmène ailleurs. J’aime le panache d’Antoinette. C’est une aventureuse et une aventurière. Elle n’a jamais peur du ridicule et du pathétique. Et Caroline comme moi partageons vraiment ça avec elle. Antoinette a la quarantaine mais elle ne peut s’empêcher d’agir comme si elle avait 15 ans. Parce que, quand on est amoureux, on a toujours 15 ans ! Elle possède cette légèreté propre à ces moments où on a le sentiment d’avoir toute sa vie devant soi. »
Le retour sur le plateau
En revenant derrière la caméra après 20 ans d’absence, Caroline Vignal a fait face à un double sentiment : « l’envie et l’angoisse ». L’envie de raconter cette histoire et de filmer avec la complicité du directeur de la photo Simon Beaufils (Un Couteau dans le cœur) ces Cévennes qu’elle aime pour leur beauté aride et sauvage et qui, au cœur de l’été, évoquent des paysages de western. Mais aussi cette angoisse de diriger pour la première fois des comédiens professionnels, contrairement à son premier long métrage. L’expérience s’est révélée bien plus simple que pour Les Autres filles. « J’ai eu le sentiment de plus maîtriser les choses. Sur mon premier long métrage, j’avais redécouvert mon film sur la table de montage et je me l’étais pris en pleine figure. Là, c’est sur le plateau que je l’ai vu se modifier. Naître une émotion qui n’était pas présente dans le scénario. Et cela, je le dois à Laure et à la manière dont elle s’est emparée du personnage et de sa relation avec cet âne qui libère chez Antoinette des choses que je n’avais pas forcément écrites. » « La psychologie du personnage ne m’intéresse pas, conclut la comédienne. Je déteste en parler des heures en amont. J’ai juste besoin de me laisser traverser par le rôle sans savoir au préalable tout ce qui va lui arriver. Je me laisse le temps de la découvrir, de traverser les situations qui vont la faire évoluer. Ce sont elles qui vont donner de l’épaisseur et du relief à mon interprétation et m’emmener vers des choses auxquelles je n’aurais pas pensé. Quand on joue, on sait évidemment vers quoi on veut tendre mais le chemin pour y parvenir reste toujours mystérieux. C’est ce qui en fait la beauté ».
Antoinette dans les Cévennes, qui sort ce mercredi 16 septembre, a reçu le Soutien au scénario (aide à l’écriture), l’Avance sur recettes avant réalisation et l’Aide sélective à la distribution (aide au programme) du CNC.