Cécile Maistre-Chabrol : « Le Chabrol privé était le même homme que le Chabrol public »

Cécile Maistre-Chabrol : « Le Chabrol privé était le même homme que le Chabrol public »

24 janvier 2019
Claude Chabrol sur le tournage de L'Ivresse du pouvoir
Claude Chabrol sur le tournage de L'Ivresse du pouvoir DR - T.C.D

Fille de Claude Chabrol, Cécile Maistre-Chabrol fut longtemps l’assistante du réalisateur de La Cérémonie et du Beau Serge. Elle a réalisé le documentaire Chabrol, l’anticonformiste, projeté en avant-première au Fipadoc de Biarritz le 24 janvier, avant sa diffusion sur Arte le 17 février.


En introduction du film, vous prévenez le spectateur : « Mystères, vices cachés, scandales ou secrets de famille, rien de tout ça dans la vie du cinéaste Claude Chabrol »…

J’entendais beaucoup de choses sur Claude qui me laissaient dubitatives : qu’il aurait caché beaucoup de secrets, que c’était impossible de ne pas avoir d’angoisses, que c’était une posture… J’ai fait ce film en réaction à ce genre de propos. Je ne veux pas que les gens pensent que l’homme public et l’homme privé étaient différents. C’était exactement le même homme, tout le temps. Claude avait une caractéristique étonnante : il était quasiment toujours de la même humeur !

On voit pourtant une archive où Stéphane Audran parle des doutes de Chabrol…

Oui, mais le doute, c’est différent de l’angoisse. Bien sûr qu’il doutait et se posait des questions. Notamment sur l’intérêt de continuer à faire des films. Il se demandait si ce qu’il avait envie de raconter allait intéresser les gens, il avait peur de devenir un vieux con. Claude, c’est quand même un homme dont l’occupation principale consistait à réfléchir. Et l’archive dont vous parlez souligne en effet que la phase d’écriture lui coûtait beaucoup. Ce n’était pas la plus simple pour lui. Le moment où il était heureux, c’était le tournage. Il comparait le cinéma à la cuisine : la préparation du plat, c’est l’écriture ; le repas, c’est le tournage ; et la vaisselle, c’est le montage et la post-production.

Isabelle Huppert raconte dans le documentaire que Chabrol lui disait qu’il n’avait pas d’ego, et qu’elle avait du mal à le croire…
 
Il a commencé à dire ça vers 60 ans. Ça ne signifie pas qu’il en a toujours été dénué, mais je crois que c’est vrai en ce qui concerne la dernière partie de sa vie. Ce que dit Isabelle Huppert est assez juste : il se sentait suffisamment fort pour être indifférent à certaines choses. Il avait aussi ce côté anticonformiste. Il détestait les honneurs, les protocoles, les tapis rouges… Il trouvait ça ridicule et inutile.

Qu’avez-vous découvert en vous plongeant dans les archives filmées ?

Beaucoup de choses. Dans les images des années 60, j’ai découvert des attitudes différentes, sa fougue, une certaine arrogance… Il faut dire que c’était vraiment une autre société. Mais le plus frappant, c’est de constater que ce qu’il disait en 1958, il le disait encore en 2008. Il a toujours suivi le même chemin, il ne s’est jamais trahi.

Dans le documentaire, vous identifiez La Cérémonie comme un tournant de sa carrière…

Ça correspond au moment où il s’est fait opérer de la cataracte et a cessé de porter des lunettes. Il disait qu’il y voyait encore plus clair qu’avant et qu’il était passé d’une forme de bonheur à une forme de béatitude. A l’époque de La Cérémonie, il a 65 ans, il est tellement heureux de pouvoir continuer, grâce au succès de ce film, à profiter de son jouet. Il était très mauvais en prévision : il pensait par exemple que Rien ne va plus allait faire un carton, et ça n’a pas marché, et que La Cérémonie allait se vautrer, alors que ça a cartonné ! Sur le tournage, il s’autorisait des plans audacieux en disant « De toute façon, on fera pas un strapontin » - c’était sa grande expression. Il a également été heureux de ce succès parce qu’il constatait qu’un sujet pareil pouvait faire venir les gens dans les salles. Ça lui a donné un coup de jeune.

Comment jugez-vous la postérité du cinéma de Chabrol aujourd’hui ?

Ma première réaction, c’est de rire quand j’entends ces mots : « postérité », « hommage »… Lui, en tout cas, ça l’aurait fait rire. Mais c’est vrai qu’il y a des « chabroliens » que ça énerve de voir Claude passer après Truffaut, Godard et Rohmer. C’est toujours le dernier cité. Pourtant, je trouve que ses films continuent à être beaucoup diffusés à la télé, peut-être plus encore que ceux des autres cinéastes issus de la Nouvelle Vague. De tous, c’est sans doute lui le plus populaire. J’espère que mon film donne envie de revoir ses films.

Quel est selon vous le Chabrol méconnu qu’il faudrait redécouvrir d’urgence ?

Les Noces Rouges, qu’Arte va d’ailleurs diffuser en février. Il n’est pas très connu et c’est un de ceux que j’adore. Il y a Nada aussi, un film formidable d’après Manchette, difficile à voir car le distributeur n’en a plus les droits – je n’ai pas pu en mettre d’extraits dans mon film. Et puis il y a Rien ne va plus, essentiel pour comprendre le bonhomme, sa façon de voir les choses. Bon… j’en ai cité trois du coup ! (Rires)

Et le chef-d’œuvre absolu ? Ou, du moins, votre préféré ?

Que la bête meure. Il y a tout dedans, encore plus que dans Le Boucher : le polar, la société, les bourgeois, l’humour, les acteurs incroyables, la province, le suspense… Et on ne s’ennuie pas un instant.