Charlotte Rampling, le beau mystère

Charlotte Rampling, le beau mystère

05 février 2019
Charlotte Rampling dans A l'heure des souvenirs
Charlotte Rampling dans A l'heure des souvenirs 2016 Upstream Distribution, LLC. All Rights Reserved

Le festival International du Film de Berlin couronne  Charlotte Rampling d’un Ours d’Or d’honneur. L’occasion de revenir sur la carrière d’une actrice toujours insaisissable.


Charlotte Rampling est un mystère bien gardé. Les grandes personnalités le savent, l’une des meilleures façons de protéger son intimité est de faire croire que vous n’avez rien à cacher. Chez l’actrice britannique - Ours d’Or d’honneur de la Berlinale 2019 pour l’ensemble de son œuvre -, il y a ce maintien tout aristocratique qui crée d’emblée une distance et n’invite pas à s’aventurer dans un jardin secret. Pudeur ? Coquetterie de star ? Pour qui a eu la chance d’approcher Rampling, il retient ce mélange de chaud et de froid, ces sourires ponctués de silences plus ou moins longs… Rampling impressionne par sa retenue. Pourtant à l’écran, elle n’a eu de cesse de se lâcher, voire de choquer, comme une façon d’inverser ce que l’image était censée renvoyer d’elle-même. Le mystère Rampling tient dans cet esprit de contradiction. L’imposante filmographie qui débute à l’orée des sixties en plein swinging London, est ainsi marquée du sceau de chefs d’œuvres impurs : Les Damnées de Luchino Visconti, œuvre décadente et fiévreuse sur la montée du nazisme en Allemagne, Portier de nuit de Liliana Cavani où elle interprète une survivante des camps de concentration qui noue une relation trouble avec son ancien bourreau (film classé X aux Etats-Unis !), ou encore Max mon amour de Nagisa Oshima, romance entre une femme et un… chimpanzé.

Un effacement

En 2016, la comédienne confiait à L’Express : « Ce sont les Italiens puis les français qui m’ont ouvert les portes du grand cinéma, mais je n’étais pas spécialement cinéphile. Les cinéastes que j’ai rencontrés y sont sûrement sensibles. » Une façon comme une autre d’affirmer sa distance avec un art qu’elle n’idéalise pas. Hollywood qui lui a fait les yeux doux à ses débuts? « C’était un rêve, sans plus. J’y ai tenté ma chance dans les sixties. Les metteurs en scène étaient tous drogués, je suis partie. » Rampling n’est pas du genre à s’éterniser si l’atmosphère ne lui convient pas. Et si ce qui se passe sur l’écran peut dérailler, une fois en dehors, une certaine tenue s’impose. On appelle ça l’élégance.

Charlotte Rampling,  fille d’un colonel de l’armée britannique et d’une peintre, élevée à Cambridge, a reçu la chose en héritage. Une douleur intime aussi (la mort d’une sœur). Et puis, ce physique gracieux qui a eu la bonne idée de n’avoir jamais été vraiment à la mode. L’usure du temps sur Charlotte Rampling ne semble pas avoir de prises. C’est le privilège de celles et ceux qui échappent aux canons que la société cherche à imposer. Et tant pis, si cette indépendance de corps et d’esprit provoque des trous d’airs.  Ainsi avant que François Ozon ne lui donne les clefs de son drame Sous le sable en 2000, où il est paradoxalement question d’effacement, le cinéma semblait l’avoir un peu oubliée. Remise en selle, l’actrice s’est engouffrée dans cette brèche avec la même discrétion qu’elle en était sortie.

Qui êtes-vous ?

La dernière fois qu’elle s’est présentée à Berlin – et obtenu l’Ours d’argent de la meilleure actrice - c’était en 2015,  pour un rôle cette fois parfaitement conforme à son image : celui d’une bourgeoise installée dans la campagne anglaise en proie à des doutes intimes (45 ans d’Andrew Haigh). Dans la foulée, comme un pied de nez, elle sortait son autobiographie, ironiquement intitulée Qui je suis, où elle pratiquait la métaphore pour habiller ses confidences: « J’étais prête à partir dans mon rêve de bois et de vents, fille de la mélancolie et du rire, mais je suis restée. » « Restée » ?  Dans ses chimères peut-être  mais pas en place. Rampling a traversé la Manche, l’Atlantique, voire l’Oural plus d’une fois.  Au centre, il y a la France, pays d’adoption depuis les seventies qu’elle n’a jamais vraiment quitté. A tel point qu’une récente dépêche du site du Hollywood Reporter annonçant le casting de la nouvelle adaptation de Dune par Denis Villeneuve, évoque la présence de Charlotte Rampling « the french actress ». Il faut dire qu’entre elle et le cinéma français c’est une belle et longue love story couronnée d’un César d’honneur en 2001. Elle a croisé tout au long de sa carrière les caméras d’Yves Boisset, Claude Lelouch, Jacques Deray, Patrice Chéreau, François Ozon, Laurent Cantet, Maïwenn ou encore Michel Blanc.

Derrière le miroir

Aujourd’hui les grands rôles sont encore à portée. Témoin ce récent Hannah de l’italien Andrea Pallaoro, un personnage écrit pour elle, celui d’une femme qui reste debout malgré les tempêtes. Elle était de quasiment tous les plans et n’avait pas besoin de beaucoup parler pour se faire comprendre et entendre. Et demain ? Il y a entre autre, le nouveau film de Paul Verhoeven, Benedetta avec Virginie Efira en vedette. Un film qui s’annonce sulfureux et dont on attend qu’en son sein, Charlotte Rampling casse une nouvelle fois ce miroir qui voudrait la retenir prisonnière.