N’y avait-il pas un risque de gâcher votre film mythique, Un homme et une femme, en entreprenant cette suite 53 ans plus tard ?
La prise de risque a toujours été au cœur de mon cinéma. On a fêté les 50 ans d’Un homme et une femme - Pierre Barouh et Francis Lai étaient encore en vie- en 2016. J’ai passé la projection à observer Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant pour voir ce que le film faisait sur eux. Ils se regardaient sur l’écran 50 ans plus tôt. Le contraste entre leur physique d’hier et celui d’aujourd’hui, la manière dont ils se parlaient à l’oreille, s’amusaient, riaient, se tenaient la main m’ont immédiatement donné l’idée du film. Il fallait absolument que je montre ça au spectateur parce que ce que je voyais alors, c’était magnifique. Je me suis mis à écrire une histoire pour transmettre au plus grand nombre cette émotion extraordinaire que j’ai ressentie à ce moment-là. C’était la synthèse de ce qu’était la vie.
Pour autant vous avez mis du temps à convaincre vos interprètes…
J’ai d’abord mis du temps à me convaincre. Mais pendant deux ans, j’ai pensé tous les jours à cette projection et à ce que j’avais vu. Pendant deux ans, j’ai réfléchi inconsciemment à ce film. Et puis, un matin, j’ai croisé l’assistant de Jean-Louis Trintignant devant mon bureau à 8 heures du matin, qui m’annonce que Jean-Louis est à Paris. Je suis passé le saluer à l’hôtel et c’est là que je lui ai dit: « Je sais que tu ne veux plus faire de films, que tu as décidé que c’était fini, terminé, mais moi j’ai le sentiment qu’on peut jouer les prolongations et peut-être les tirs au but. Il y a peut-être un film à faire encore. LE film. » Jean-Louis m’a répondu: « Ça serait dommage que ce soit le film de trop. » J’ai mis beaucoup de temps à le convaincre et je lui ai dit que si le résultat ne nous plaisait pas, on ne sortirait pas le film. Moi non plus, je ne veux pas salir Un homme et une femme et gâcher ce film qui a fait le tour du monde et qui appartient à la mémoire collective. On a tourné en dix jours car il fallait aller très vite. Et les miracles ont eu lieu.
Comment avez-vous procédé ?
J’ai construit ce film sur la mémoire collective du spectateur. Cette histoire d’amour ce n’est pas seulement celle des protagonistes. Elle résume toutes les histoires d’amour. L’idée était de faire un film totalement subjectif pour que le spectateur cesse d’être spectateur et devienne acteur. J’avais aussi envie de faire un film positif pour montrer que le temps qui passe n’a pas que des inconvénients. La force de ce film c’est qu’il n’y a pas de trucage parce qu’on a vraiment attendu 52 ans pour faire la suite.
Avec Les plus belles années d’une vie vous effacez un de vos films… La première suite d’Un homme et une femme tournée en 1986, Un homme et une femme: Vingt ans déjà.
Oui, là on s’est planté. Trop de cadeaux tuent le cadeau. On a voulu parler de trop de choses. Et puis, les acteurs étaient trop jeunes; vingt ans ce n’est pas assez. En 20 ans, on ne change pas. En 50 ans, oui ! Il fallait attendre l’arrivée des rides qui, elles, ne trichent pas. Leur visage est encore plus beau qu’avant. Et puis Jean-Louis a une voix incroyable. Quand il parle dans ce film, c’est un Stradivarius. Il y a un son que je n’avais jamais entendu même chez lui, il y a 50 ans. Magnétique…
Ce film marque votre dernière collaboration avec Francis Lai dont la musique est indissociable de votre œuvre… Qu’a-t-il apporté à votre cinéma ?
Francis Lai c’est mon histoire d’amour à moi. C’est presque l’homme de ma vie. J’ai très vite eu le sentiment qu’il faisait de la musique comme je faisais des films. Il était la première personne à qui je racontais mon film et je revenais le voir quelques jours plus tard pour qu’il me raconte la même histoire en musique. J’ai toujours aimé mélanger le rationnel et l’irrationnel et la musique c’est ce qui parle le mieux à notre part d’irrationnel. Il s’est mis à pleurer quand je lui ai raconté Les plus belles années d’une vie. Je crois qu’il a écrit ses deux plus beaux thèmes avant de partir.
En quoi est-ce que votre façon de tourner a changé depuis Un homme et une femme ?
Elle n’a pas changé. C’est ça qui est bien. J’ai toujours eu pour obsession de filmer la spontanéité, cette sincérité du moment. Je me suis donné beaucoup de mal pour l’obtenir. Et cela fait 60 ans que j’essaye d’améliorer cet art de filmer la spontanéité. Ca sera peut-être ma trace dans le cinéma.
En quoi le cinéma a changé depuis 60 ans ?
Le cinéma est un art de technologie. Il y a des nouvelles vagues à chaque fois qu’il y a des nouvelles inventions. La Nouvelle Vague des années 1960 est née grâce à l’arrivée de la pellicule 400 ASA de Kodak qui permettait de filmer dehors, la nuit, et sans lumières. J’ai toujours été fasciné par les possibilités des nouvelles caméras. Plus elles sont légères, plus je peux m’approcher de mes acteurs, plus je peux saisir leur émotion, filmer la pensée. Les caméras numériques d’aujourd’hui, j’en ai rêvé toute ma vie. Je comprends Tarantino quand il veut tourner en 70 et en 35mm, mais moi la nostalgie me tente moins. Ce qui m’intéresse c’est le cinéma de demain. C’est pour ça que j’ai tourné mon film suivant, La vertu des impondérables entièrement avec l’iPhone, dont l’objectif est plus près de l’œil humain que toutes les autres caméras.
Quel regard avez-vous sur votre filmographie ? Faites-vous le bilan des réussites et des échecs ?
Surtout pas. Je suis dans l’avenir, pas dans le passé. La vie est trop courte. Tous mes films m’ont fait grandir; j’ai répondu à mes envies. Chaque film était le brouillon du prochain. Je dirais même que ce sont les ratés - qui n’ont pas marché ou que le public a rejeté- qui m’ont le plus appris. La souffrance est la monnaie de la vie. J’ai fait 50 films : 50 fois, je suis retourné à l’école.
Il y a trois ans vous avez mis en place Les ateliers du Cinéma à Beaune, un lieu de formation un peu particulier. Pourquoi ?
C’est la chose dont je suis le plus fier. J’ai créé à Beaune des ateliers de cinéma pour étudier les possibilités du cinéma de demain. C’est mon Institut Pasteur à moi. Ce n’est pas une école de cinéma. C’est un laboratoire. Je fais venir aux ateliers des hommes et des femmes fous de cinéma. Il n’y a pas d’âge limite. Pour les sélectionner, je leur demande de tourner un film avec leur portable. Ils passent 18 mois à Beaune et là, ils deviennent apprentis sur la fabrication d’un film. C’étaient mes assistants, mes collaborateurs sur mes deux derniers films. On a pris leurs idées, leur enthousiasme; ça m’a rajeuni de travailler avec eux. J’avais envie de les épater. Ils ont aussi assisté le tournage de Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, tourné dans nos studios. Ce que je voudrais c’est que tous les professionnels de ce métier prennent des apprentis sur leurs films, parce que chaque film est la meilleure école du monde. J’aimerais que ça continue quand je ne serai plus là.