Un mythe, un scandale et le début d’une révolution culturelle. Et Dieu… créa la femme est tout cela à la fois. Grâce à son triomphe populaire à la fin de l’année 1956 (près de 4 millions d’entrées), le film transforme en superstar une jeune actrice de 22 ans, Brigitte Bardot, dont le visage et le sobriquet (BB) sont certes déjà connus du grand public, mais qui entre ici véritablement dans la légende. Le réalisateur du film, Roger Vadim, crée un mythe moderne, en sublimant la beauté, l’insolence, la sensualité de sa compagne, qu’il a épousée quatre ans plus tôt. Ce faisant, avec ce film frondeur, au scénario conventionnel mais à l’érotisme ravageur, il provoque une onde de choc dont les effets se feront sentir durant de longues années, et vont dépasser le simple cadre du cinéma pour influencer les mentalités, la mode et les mœurs.
Spécialiste de la Nouvelle Vague, l’historien Antoine de Baecque identifie l’explosion médiatique de Bardot et le succès de scandale du film comme le point de départ de la Nouvelle Vague. La véritable « naissance » du mouvement n’aura certes lieu qu’entre 1958 et 1960, avec les sorties des premiers films de Chabrol (Le Beau Serge, Les Cousins), Truffaut (Les Quatre Cents Coups) et Godard (A bout de souffle), mais Et Dieu… créa la femme impose le premier un renouvellement générationnel, en donnant à voir aux spectateurs un corps nouveau, des attitudes inédites : celles de « la jeune fille de 1956 », que Vadim entend filmer comme « un ethnologue ».
« En décembre 1956, Brigitte Bardot est une jeune femme de vingt-deux ans faisant irruption dans un monde de vieux, écrit Antoine de Baecque dans La Nouvelle Vague : Portrait d’une jeunesse. C’est cette irruption qui choque, car elle est brusque, radicale. La société française ne s’y attendait pas, et son cinéma est loin d’être favorable à la jeunesse. Il s’agit même d’un cinéma anti-jeune dont les deux grands héros, bourru (Jean Gabin) et collet monté (Pierre Fresnay), dominent assez largement les apparitions théâtrales du « jeune » Gérard Philipe. Il faut donc qu’éclate la bombe Bardot, en décembre 1956, pour qu’enfin, sur les écrans, évolue un corps vraiment contemporain des jeunes spectateurs qui le regardent. C’est cela qui fascine et entraîne le succès, y compris auprès des adultes, outrés mais attirés par ce phénomène. » Grâce à Et Dieu… créa la femme, la jeunesse passe au premier plan et devient un enjeu de cinéma, aussi bien dans la salle que sur l’écran. Et Bardot est la première d’une lignée de jeunes acteurs et actrices emblématiques de la décennie suivante, construite contre le « cinéma de papa » : Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont, Anna Karina, Jean-Paul Belmondo…
Le triomphe de Brigitte Bardot galvanise une génération qui entend se libérer des carcans moraux d’une société endormie, étouffante, et veut redéfinir l’amour, le couple, la famille et la sexualité. « Bardot est une femme pour qui les mots « adultère », « abandon du domicile », « fidélité », « réputation », n’ont plus aucun sens. Elle n’a plus la notion du péché », explique Antoine de Baecque. Le cadre du film, encore plus que son intrigue, fixe dans l’imaginaire cet appel à la révolution des mœurs : tourné dans un CinémaScope flamboyant, Et Dieu… créa la femme contribue à faire du lieu de son action, la ville de Saint-Tropez, une mythologie moderne. Le lieu idéal pour fantasmer un mode de vie plus libre. Dans les années qui suivront, « Saint-Trop’ » sera le décor de plusieurs grands succès du cinéma français (La Piscine, Le Gendarme de Saint-Tropez…). Et le soleil, l’été, les vacances, l’imagerie du farniente, irrigueront de nombreux films de la Nouvelle Vague, d’Adieu Philippine (Jacques Rozier) aux « contes » d’Eric Rohmer, en passant, bien sûr, par l’apogée stylistique du Mépris, où Jean-Luc Godard livrera ses propres réflexions sur le mythe BB. Comme pour boucler la boucle, et confirmer que c’était bien elle qui avait allumé la mèche.