C’est la première fois que vous collaborez avec Valeria Bruni Tedeschi. Comment vous a-t-elle présenté le projet des Amandiers ?
À ce moment-là, Valeria était encore en work in progress car elle n’avait pas trouvé sa comédienne principale. J’ai senti une cinéaste qui avait déjà son film en tête mais qui était avide d’échanges. Elle m’a fait part de ses envies. Tourner dans le théâtre des Amandiers à Nanterre, par exemple, même si elle était angoissée de revenir dans ce lieu où elle avait déjà tourné. Finalement, cela ne se fera pas puisqu’on s’est installé à la Maison de la Culture de Créteil. Nous avons aussi parlé de Super 16, qui lui semblait la texture idéale pour l’histoire qu’elle avait envie de raconter. Mais elle m’a aussi expliqué que sa mise en scène ne se prêtait plus vraiment à la pellicule. Ces contradictions et ces questionnements constituaient une matière passionnante pour moi.
Qu’est-ce qui, outre le plaisir de travailler avec elle, vous a poussé à accepter sa proposition ?
La beauté et la puissance du scénario. Ce projet de réunir des jeunes acteurs pour entreprendre avec eux ce qu’elle avait vécu avec Patrice Chéreau aux Amandiers. Je trouvais passionnant d’accompagner cette idée. J’ai été conforté dans ce sens quand elle m’a indiqué qu’elle ferait cinq semaines de répétitions et qu’elle souhaitait ma présence au quotidien. Ce qui n’arrive jamais ou presque. Ce moment a été décisif dans l’élaboration du film et de sa photographie. C’est aussi là qu’on a commencé à tisser des liens très forts. Sans doute parce que dès le début, j’ai été cash avec elle et qu’elle a apprécié cette sincérité. Ainsi, à l’issue de la répétition de la première scène entre ses deux comédiens principaux, Nadia Tereszkiewicz et Sofiane Bennacer, je lui ai dit que cela ne fonctionnait pas, par manque d’intensité. À partir de là, tous les deux, on a davantage parlé de jeu que d’images. Ce que j’ai adoré. Et quand on a tourné la scène, j’ai pu mesurer d’emblée la différence avec cette première répétition. Et le travail accompli : de leur côté, comme du mien où, en filmant ces répétitions avec mon téléphone portable, j’ai pu trouver des angles différents que je montrais à Valeria à chaque fin de scène pour en discuter ensemble.
Quels éléments Valeria Bruni Tedeschi vous a-t-elle donnés pour préparer Les Amandiers en amont ?
Assez peu de photographies, surtout des documentaires sur l’époque, à commencer par celui de François Manceaux, Il était une fois 19 acteurs. J’ai évidemment visionné des films de Chéreau, dont Hôtel de France, réalisé dans le cadre de l’école des Amandiers en 1987. On a aussi beaucoup visité de décors ensemble. Mais on a assez peu parlé d’images frontalement. Nos discussions tournaient plus autour de l’ambiance de cette époque, de la liberté que Valeria avait pu y ressentir. De mon côté, j’ai commencé à faire énormément de recherches sur Patrice Chéreau. Je ne sais plus combien d’interviews de lui j’ai pu lire mais, à chaque fois, j’en parlais avec Valeria. Deux phrases de Chéreau ont constitué pour moi un guide tout au long de cette aventure : « Le cadre ne doit pas suivre mais poursuivre les acteurs » et « Pas de transcendance sans transgression ».
Comment avez-vous recréé à l’écran l’ambiance des années 80 ?
La première question assez basique que je me suis posée est la suivante : c’est quoi au fond une image des années 80 ? Pour moi qui ai vu les films de ces années-là en VHS et non en salles, c’est une image fantasmée, loin de la réalité. J’ai donc décidé de ne pas chercher à copier cette image mais de jouer sur mes souvenirs de jeunesse, comme celles des photographies Kodachrome de l’époque où l’on sentait le support de la pellicule et les accidents de couleurs, soit exactement ce qu’on recherchait avec cette idée de Chéreau dont je parlais plus tôt : ne pas suivre mais poursuivre les comédiens. Quelque chose d’un peu postmoderne. On a alors fait des essais de tournage en Super 16 et en numérique, qu’on a étalonnés pour présenter un comparatif à Valeria et ses producteurs. Ils n’y ont vu que du feu. On a vraiment réussi à copier le Super 16. Donc à partir de là, on n’en a plus parlé : le numérique était devenu une évidence. Mais on ne serait jamais allé aussi loin dans l’image finale sans avoir eu le Super 16 comme référence.
Quelle relation avez-vous entretenue avec les comédiens ?
Au bout des cinq semaines de répétition, je les connaissais tous très bien et j’avais tissé un rapport particulier avec eux, différent de celui de Valeria qui, de par son exigence, était plus rude avec eux. Ainsi, quand, pendant les répétitions, je voyais certains douter, j’allais les voir pour leur parler, les rassurer, leur redonner confiance. Sur le tournage, tout a été facile et fluide. Il s’est passé quelque chose de très fort entre les acteurs, Valeria, la scripte Caroline Deruas et moi. Mais, cela, je le dois à la place que Valeria m’a offerte.
On a le sentiment qu’il y a une manière particulière de cadrer le personnage de Patrice Chéreau que campe Louis Garrel, de le rendre presque insaisissable. Comment avez-vous construit ce parti pris ?
Cette idée est vraiment née de la vision du documentaire Il était une fois 19 acteurs où, dans chaque plan où l’on voit Chéreau, le cameraman est toujours un peu loin, comme si Chéreau avait du mal à se laisser filmer. J’ai donc commencé à penser le filmer de loin, comme si je n’osais pas le filmer, comme s’il était insaisissable. À l’opposé des jeunes comédiens de la troupe qui sont filmés frontalement, on ne le voit jamais de face mais toujours de côté ou en amorce.
À Cannes où Les Amandiers était présenté en compétition, vous expliquiez que vous vouliez faire ce film avec la liberté d’une caméra à l’épaule mais avec une caméra Dolly sur rails et un zoom. Pour quelle raison ?
D’abord parce que personnellement j’en avais un peu marre de faire des films caméra à l’épaule, mais aussi parce que jusque-là les films de Valeria étaient très posés. Je voulais donc trouver une espèce d’entre-deux. D’où l’idée du zoom et de la Dolly où tout est très mobile car on s’adapte aux mouvements des acteurs qui sont dans une liberté totale – encore et toujours le fameux « le cadre ne doit pas suivre mais poursuivre les acteurs » de Chéreau – en essayant de trouver une sorte de chorégraphie. J’ai adoré ce travail d’adaptation permanente alors qu’avec une caméra à l’épaule, il arrive parfois qu’on sente trop sa présence, qu’elle écrase ce qu’elle capte. Cette méthode était plus discrète et plus appropriée aux Amandiers.
LES AMANDIERS
Réalisation : Valeria Bruni Tedeschi
Scénario : Valeria Bruni Tedeschi, Noémie Lvovsky, Agnès de Sacy, avec la collaboration de Caroline Deruas
Photographie : Julien Poupard
Montage : Anne Weil
Production : Agat Films & Cie, Ex Nihilo, Bibi Films, Arte France Cinéma
Distribution : Ad Vitam
Ventes internationales : Charades
En salles le 16 novembre 2022
Soutiens du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, aide à l'édition vidéo (aide au programme éditorial), aide au développement d'œuvres cinématographiques de longue durée