Comment est née la politique de valorisation des collections conservées par le CNC à Bois-d’Arcy ?
Cette politique est venue sur le tard, au début des années 1990. A sa création en 1969, le service des archives du film répondait à une triple volonté : collecter, conserver et restaurer les films. Mais il n’était alors pas question de les diffuser. Très vite, Jean Vivié a mis en place un règlement d’exploitation. Au moment de déposer les œuvres, les ayants droit remplissaient un bordereau mentionnant les conditions de divulgation et de consultation des films. Jusqu’en 1990, la tendance a été très nette : les déposants refusaient à 80% que les œuvres déposées soient divulguées ou même consultées. A son arrivée en 1989 à la tête du service des archives du film, Michelle Aubert a jugé cette situation inacceptable : les archives sont un service public, l’Etat investit dans la conservation et la restauration mais on ne peut même pas rendre ces œuvres consultables pour les chercheurs ?
Qu’est-ce qui va faire évoluer cette situation ?
Le lancement du plan de sauvegarde et de restauration des films anciens (dit « plan nitrate »). Le contrôleur d’Etat d’alors a imposé la signature de conventions avec les ayants droit. C’est ce qui va énormément contribuer au changement complet de politique et permettre la valorisation des collections. Il est désormais hors de question de bloquer la divulgation et la consultation des œuvres. C’est une obligation, en contrepartie de la conservation. Les conventions (la première a été signée avec Pathé, puis Gaumont et les autres grands catalogues) permettent au CNC de diffuser les films dans un cadre restreint, culturel et non commercial, correspondant à ses missions. C’est à partir de ce moment-là que nous avons pu lancer une politique de valorisation réellement ambitieuse.
Quels sont les grands axes de cette politique ?
Rendre accessibles les collections aux chercheurs. Soutenir les éditeurs et producteurs de films patrimoniaux pour qu’ils valorisent eux-mêmes leurs catalogues en créant des collections. Diffuser et présenter les films dans le cadre de programmes et festivals sur le territoire français par le réseau de la Fédération des cinémathèques et archives de films de France (FCAFF). Faire également circuler les films à l’étranger grâce à l’action de la Fédération internationale des Archives du film (FIAF). Les différents axes de cette politique sont extrêmement importants. Avec celle-ci, les ayants droit eux-mêmes ont commencé à davantage s’intéresser à leur propre catalogue et à ressortir, d’abord en VHS (René Chateau…), des films complètement oubliés de l’histoire du cinéma. Cette politique de valorisation permet de mettre des coups de projecteur sur des fonds d’archives jusqu’ici laissés de côté, sur des cinéastes méconnus… Elle permet une nouvelle lecture de l’histoire du cinéma.
Quel travail est mené avec les cinémathèques régionales et les partenaires internationaux pour faire circuler les œuvres conservées ?
Sur le plan national, c’est un vrai travail collaboratif avec nos collègues des cinémathèques et des scènes nationales. Un travail de collaboration sur des programmations. Les propositions peuvent venir d’eux, ou de nous. Nous pouvons répondre à des demandes formulées par nos partenaires : ils nous posent des questions sur l’accès aux films, sur des projets de programmations spéciales qu’ils développent, autour d’une thématique… Par exemple, il y a deux ans, la Cinémathèque de Grenoble a organisé une carte blanche à Paul Vecchiali. Ce programme commun comprenait certains de ses films, restaurés avec l’aide du CNC (plan de numérisation et de restauration du patrimoine cinématographique), mais nous avons également sélectionné avec lui des films anciens, dans nos collections, qui l’avaient inspiré. Et ces films ont été présentés au public. Ou bien, autre exemple, nous allons proposer à la Cinémathèque de Toulouse un cycle sur le thème du corps et faire appel à nos collections, notamment des films chirurgicaux ou sur la question du tatouage, qui pourront ainsi être diffusés. Nous pouvons nous impliquer activement dans la programmation et la présentation des films aux spectateurs, ou bien répondre, plus « passivement », à des demandes. Le fonctionnement est un peu le même à l’étranger, avec des rendez-vous comme les festivals de Budapest, Belgrade, Pordenone, Bologne…
Pourriez-vous citer un film méconnu conservé par le CNC, ayant beaucoup « circulé » à l’international ?
Sans hésiter, « Etudes sur Paris », d’André Sauvage. Nous l’avons présenté en Colombie, au Pérou, à New York, en France, au Japon… C’est un film d’avant-garde majeur des années 1920, consacré à Paris, avant l’arrivée du sonore. Il a longtemps été considéré comme perdu, mais nous l’avons retrouvé ! Nous le présentons toujours avec un accompagnement musical, et il permet différents types de lectures en fonction de la nature de celui-ci (instruments classiques, musique électronique…). On nous le demande encore régulièrement. C’est une joie pour nous qu’un tel film circule aussi bien : notre but n’est en effet pas de montrer toujours les mêmes œuvres, connues de tous, mais aussi de mettre en avant les films d’auteurs oubliés, issus de nos collections très variées… C’est un peu une contre-histoire permanente du cinéma français !