Diriger un cinéma nécessite une palette de compétences, aussi bien techniques que financières ou commerciales. Et c’est sans compter sur le facteur humain, lui aussi incontournable. Le directeur est ainsi chargé de mettre en place toute l’organisation du cinéma, coordonnant les différentes équipes et assurant la gestion des ressources humaines. Et ce n’est pas tout puisqu’il doit également gérer les problèmes techniques, s’assurer de l’entretien des différents équipements, maintenir une situation économique viable, prendre en charge les éventuels dossiers de subventions et trouver des idées pour booster la fréquentation. Des missions qui l’obligent ainsi à développer des compétences en termes de communication et d’organisation pour les divers évènements qui rythment la vie du cinéma.
Si dans certains établissements le directeur s’occupe également de la programmation, ce n’est pas le cas à l’Omnia République de Rouen, un cinéma créé en 2010 par Richard Patry, PDG du groupe Noé Cinémas (Nord-Ouest Exploitation Cinémas), et Hervé Aguillard, qui en assure la direction. Pour ce cinéma classé art et essai, ce dernier travaille en collaboration avec Jean-Marc Delacruz, un programmateur. « Vu la taille du cinéma (qui comporte 7 écrans ndlr), je ne peux pas gérer et programmer, c’est une trop lourde mission. Il y a donc un programmateur avec lequel je suis en contact permanent pour les grands choix et grandes orientations éditoriales. Lorsque nous hésitons à proposer une œuvre qui est entre le film d’auteur et la réalisation commerciale, nous en discutons ensemble. La décision d’aller en médiation, lorsqu’on nous refuse l’exploitation d’un film, se prend également à deux », explique Hervé Aguillard en précisant que son programmateur a carte blanche pour le reste.
Un métier passion
Qu’il soit programmateur ou non, le directeur d’un cinéma doit logiquement être « vraiment cinéphile » : « Il faut aimer aller voir des films et en voir beaucoup pour se faire une idée du marché du film et de la tendance actuelle ». Garder un esprit ouvert et une soif de découverte est également essentiel pour faire ce métier qui demande des compétences en gestion financière et en relations humaines. Si des formations existent, en témoigne la formation professionnelle continue de directeur d’exploitation cinématographique proposée par la Fémis depuis 2009, Hervé Aguillard s’est dirigé dans cette voie grâce au hasard des rencontres.
Lui qui hésitait au départ entre devenir journaliste ou professeur de français, a croisé la route de plusieurs directeurs de cinéma grâce à une émission consacrée au 7e art qu’il animait sur une radio libre d’Angers, lorsqu’il était étudiant en lettres modernes. A la faveur de liens amicaux qui se sont créés au fil des années, l’un d’entre eux lui a proposé de prendre la direction du Colisée, une salle qui venait d’ouvrir à Limoges grâce à la collaboration entre des indépendants et le circuit Gaumont. Resté trois ans (de 1987 à 1990) à la tête de cet établissement, il a poursuivi sa route en rejoignant l’équipe de Gaumont et en prenant la tête de leur complexe de Rennes.
Ces deux expériences lui ont donné goût à ce métier. Après un retour dans les médias à Angers pour raisons personnelles, il a été recruté par UGC en 1994 pour diriger dans un premier temps leur cinéma de Créteil avant d’ouvrir le premier UGC Ciné Cité de France à Saint-Herblain en 1996. En 1999, il a ouvert celui de Mondeville puis a réitéré l’expérience en 2003 à Saint-Sever, en banlieue de Rouen. « J’ai dirigé ce cinéma pendant 7 ans, jusqu’à ma rencontre avec Richard Patry. Travailler dans un circuit a été une belle expérience, mais je commençais à me lasser du côté commercial. J’ai donc quitté UGC pour lancer en 2010 l’Omnia République. J’avais besoin de retrouver une totale liberté, ce que je n’avais pas avant. Dans un réseau de salles, il y a une direction générale au-dessus de nous qui édite certaines règles, il y a un programmateur… La marge de manœuvre est plus importante pour un directeur hors circuit », précise-t-il.
La salle de cinéma, un « lieu magique »
Hervé Aguillard dirige des cinémas depuis 1987. Une longue carrière qui lui a permis d’être témoin de nombreux bouleversements. « J’ai vu la modification du paysage avec le développement des multiplexes d’abord dans les grandes agglomérations puis dans les villes moyennes. Il y a également eu la transformation des équipements avec des salles misant sur le spectacle grâce aux grands écrans, à la technologie, au confort… J’ai également participé à des révolutions commerciales comme l’abonnement illimité », détaille-t-il.
Passé par les grands circuits, Hervé Aguillard a pris en 2010 la direction de l’Omnia République, un cinéma en délégation de service public : les murs du cinéma appartiennent à la ville, les associés ont donc signé un contrat de huit ans pour exploiter l’établissement. Ce contrat peut, à terme, être renouvelé ou arrêté selon l’appréciation de la collectivité.
A la tête de ce cinéma art et essai, il assiste depuis quelques années à un changement dans l’accès aux films. « Pour offrir une programmation diversifiée à leur public, les multiplexes s’intéressent de plus en plus aux films d’auteur et aux œuvres que l’on trouvait avant uniquement dans des salles art et essai. Il y a donc une concurrence plus grande, d’autant plus que nous n’avons pas accès à certains films plus commerciaux ». Malgré ce constat qui l’inquiète, il reste optimiste pour l’avenir. « Il y a de plus en plus de très bons films d’auteur. Et tant qu’il y aura des films et des auteurs, il y aura des salles de cinéma », conclut celui qui a créé, avec une vingtaine de salles art et essai, un collectif qui s’institutionnalise pour « devenir une vraie force vis-à-vis des instances professionnelles ».
Un pari pour l'avenir
« Je fais en sorte que ce cinéma créé en 2010 se projette encore plus loin, même si nous sommes en délégation de service public », ajoute Hervé Aguillard. Parmi les grands chantiers engagés par le cinéma figurent d’importants travaux d’accessibilité qui devraient démarrer en 2020. « Nous avons récupéré le cinéma en l’état en 2010 et dès le départ, nous avons pensé qu’il fallait des travaux. Mais il a fallu du temps pour réunir le budget de plus de 7 millions d’euros et trouver les partenaires ». Outre des aménagements pour faciliter l’accès aux personnes à mobilité réduite, la façade sera refaite et un ciné café sera créé tout en conservant les 7 salles du cinéma qui devrait rester ouvert pendant les travaux.
