« Corsage » : l’univers sonore du film décrypté par Guillaume Baurez, son superviseur musical

« Corsage » : l’univers sonore du film décrypté par Guillaume Baurez, son superviseur musical

13 décembre 2022
Cinéma
"Corsage" de Marie Kreutzer a obtenu le prix de la meilleure création sonore au Festival de Cannes 2022 Felix Vratny

Sacrée meilleure création sonore au Festival de Cannes 2022, Corsage de Marie Kreutzer, qui a valu également à son interprète principale, Vicky Krieps, un prix d’interprétation dans la section Un Certain Regard, doit sa musique originale à l’artiste française Camille. Guillaume Baurez, le superviseur musical du film, détaille la façon dont a été pensé l’univers sonore de cette chronique singulière de la vie de l’impératrice Sissi.


En quoi consiste votre travail de superviseur musical ?

Ma fonction recouvre deux pôles bien distincts. Je suis d’abord l’intermédiaire entre le réalisateur et le compositeur. J’essaie, en effet, de traduire au mieux les volontés du cinéaste afin de définir l’univers musical de son film. Il arrive qu’un cinéaste ait déjà des noms de musiciens en tête. Le plus souvent, je lui suggère mes propres idées, comme c’était le cas sur Corsage. Outre la musique originale, je dois aussi m’occuper des musiques dites additionnelles, soit des morceaux préexistants qui viendront accompagner des séquences précises. Il s’agit sur ce point d’un travail de négociation avec les ayants droit, c’est-à-dire, peu ou prou, les éditeurs et les producteurs. Je travaille à partir d’un budget prédéfini en amont avec les producteurs.

Quelles indications aviez-vous sur Corsage ?

Pour des raisons de coproduction franco-autrichienne, la musique originale devait être composée en France. Je savais également que Marie Kreutzer tenait à travailler avec une compositrice. Elle avait, en effet, le sentiment que, compte tenu du sujet de son film, l’approche d’une musicienne serait plus pertinente. Elle recherchait une musique à la fois classique et contemporaine. Elle évoquait Björk, par exemple, pour sa capacité à mêler l’électro, la musique orchestrale, la pop, bref, un univers suffisamment hybride pour être hors du temps. C’est en tout cas ce que j’ai traduit en l’écoutant. Je cherchais donc une musicienne avec une forte personnalité. J’ai réfléchi à plusieurs artistes et très vite le nom de Camille s’est imposé. Il a été mon premier choix. Un choix qui a plu à Marie [Kreutzer]. L’univers expérimental de Camille correspondait à l’identité d’un film que Marie voulait résolument moderne et cherchait surtout à extraire de l’époque à laquelle il est rattaché, soit le XIXe siècle de Sissi.

L’univers expérimental de Camille correspondait à l’identité d’un film que Marie [Kreutzer] voulait résolument moderne et cherchait surtout à extraire de l’époque à laquelle il est rattaché, soit le XIXe siècle de Sissi. 

C’est aussi ce qui vous plaît dans la musique de Camille ?

Camille est une artiste complète : compositrice, mélodiste, parolière et chanteuse. Elle expérimente sans cesse. Je me souviens que dans son album, Le Fil, un même chœur court tout au long du disque, comme un souffle. Elle avait également réussi à créer des sons particuliers en se servant de son propre corps comme instrument. Le hasard a voulu qu’au moment de choisir la compositrice de Corsage, je regardais beaucoup le film Ratatouille de Brad Bird avec mes enfants et Camille a signé une musique pour la version française. Dans le même temps, j’apprenais qu’elle était en train de travailler avec Jacques Audiard sur une comédie musicale.

Comment Camille s’est-elle fondue dans l’univers du film ?

La musique originale sur Corsage a été un pont entre les deux notions que j’évoquais au début de cet entretien. Marie et moi, avons, en effet, choisi une musique préexistante de Camille. Le morceau en question, She was, apparaît sur son album Ilo Veyou en 2011. En nous appuyant sur ce morceau, nous avons demandé à Camille de réaliser des variations. C’est ce qui donne la bande originale du film. Au départ, Marie a seulement placé She was sur l’une des scènes d’ouverture, celle où Sissi fait mine de tomber dans les pommes pour échapper au protocole. Avant de découvrir l’univers de Camille, Marie avait collé sur cette séquence une musique très rock, mais ce décalage entre l’époque représentée et le style musical était trop évident, trop voyant. She was apporte quelque chose de plus subtil. Il personnifie réellement le personnage, accompagne ses émotions, comme une ritournelle. Et de fait, Marie l’a aussitôt intégré à différentes séquences du film. C’est à ce moment-là que je lui ai proposé de demander à Camille d’effectuer des variations. Camille a ainsi joué avec les orchestrations, les arrangements… Parfois, il ne reste qu’une harpe, un piano, une guitare… Certaines boucles sont jouées à l’envers.

Le thème n’apparaît pas dans des moments de trouble mais au contraire, il traduit la détermination d’un personnage qui veut s’affranchir des codes imposés par sa fonction et revendiquer son désir d’indépendance 

Que représente ce « thème » dans la psychologie du personnage ?

Il n’apparaît pas dans des moments de trouble mais au contraire, il traduit la détermination d’un personnage qui veut s’affranchir des codes imposés par sa fonction et revendiquer son désir d’indépendance. D’où ce côté volontairement répétitif, lancinant. On entend ce thème lors des promenades à cheval, quand Sissi longe les couloirs du château, visite un asile, se rend incognito sur un marché et croise une petite fille qui ne la reconnaît pas. Il y a aussi la séquence de son anniversaire où l’on voit qu’elle est désabusée. Dans la foulée, on la voit dans un salon où un peintre travaille à son portrait. La ritournelle vient rappeler l’agacement du personnage. Chaque fois qu’apparaît ce thème, Sissi est à l’écran. Il ne peut exister sans elle.

 

Outre le travail de Camille, quelles autres musiques peut-on entendre dans Corsage ?

Olivia Merilahti, qui forme avec Dan Levy le groupe The Dø, a composé une chanson très belle, spécialement pour le film, The Lake Song… C’est un morceau délicat et subtil. On l’entend lorsque Sissi et une de ses suivantes se baignent nues dans un lac. Elles entament une chorégraphie aquatique. Le morceau accompagne parfaitement cette humeur. On peut enfin entendre deux morceaux très célèbres joués, l’un à la harpe, As Tears Go By des Rolling Stones et l’autre au violon, Help Me Make It Through the Night de Kris Kristofferson. Ces deux titres étaient déjà choisis lorsque j’ai été engagé sur le film.

CORSAGE

Réalisation et scénario : Marie Kreutzer
Avec : Vicky Krieps, Katharina Lorenz, Jeanne Werner…
Musique : Camille
Photographie : Judith Kaufmann
Costumes : Monika Buttinger
Production : Film AG, Komplizen Film, Kazak Productions, Samsa Films, ARTE France Cinéma, ORF Film/Fernseh-Abkommen, ZDF/ARTE
Distribution France : Ad Vitam
Ventes internationales : MK2 Films
Sortie en salles : le 14 décembre 2022