Qu’est-ce qui vous a décidé à partager vos souvenirs et votre expérience dans ce livre ? On imagine que vous avez dû être bien souvent sollicité avant ?
Darius Khondji : C’est vrai qu’on m’avait approché à plusieurs reprises. Mais jusqu’alors je ne me sentais pas prêt. Et puis Jordan Mintzer me l’a proposé. Il avait signé un très beau livre sur James Gray (Conversations avec James Gray aux éditions Synecdoche) que j’aimais beaucoup. Et j’appréciais son travail de journaliste : il avait écrit dans The Hollywood Reporter des choses très justes sur quelques films dont j’avais signé la lumière comme The Immigrant. J’ai immédiatement accepté. Et faire ce livre avec lui s’est révélé très intéressant : cette expérience m’a permis à la fois d’analyser mon travail et de l’approfondir.
On découvre beaucoup de choses sur vous dans ce livre. Comme votre enfance à Téhéran. Bercé dans les cinémas par votre nourrice, vous semblez même prédestiné à faire des films…
Oui, c’est fou ! C’est quasiment mystique. Quand ma sœur Christine m’a raconté que ma nounou passait ses après-midis dans les salles obscures de Téhéran avec mon landau, j’y ai vu un signe. Tout comme le fait que je me sois perdu à Rome, via Veneto, alors que Federico Fellini tournait La Dolce Vita. Pendant trois jours, mes parents m’ont cherché partout ; un carabinier m’a même conduit dans un couvent dans l’espoir de m’adopter…
On découvre aussi votre goût prononcé pour le cinéma d’horreur. Adolescent, vous étiez fasciné par ce genre de films et vous avez même réalisé en amateur une version de Dracula. Comment se fait-il que vous n’ayez jamais travaillé comme directeur de la photo sur un film d’horreur ?
J’adorerais ! Comme vous dites, je suis fan du genre. J’ai vu le premier Massacre à la tronçonneuse en avant-première, juste après son passage au Festival d’Avoriaz. Le mercredi de sa sortie, j’étais à la première séance de La Nuit des morts-vivants de Romero. Pour être honnête, on m’a proposé d’éclairer quelques films d’horreur, mais c’est un domaine qui m’est tellement cher que je voudrais que ce soit parfait.
Vous n’avez jamais été tenté de démarcher les réalisateurs de films d’horreur ?
Non. Jamais. Je suis très timide. J’ai toujours besoin que ce soit le metteur en scène qui m’appelle.
Qu’est-ce qui guide vos choix ? La rencontre avec le metteur en scène ou la promesse d’un défi artistique et technique ?
Le mélange des deux, même si la rencontre avec le metteur en scène prime toujours : c’est sa passion qui me donnera l’envie. J’aime aussi naviguer entre des mondes radicalement différents. Récemment j’ai eu la chance d’enchaîner Too Old to Die Young, la série de Nicolas Winding Refn et Uncunt gems, le film des frères Safdie. En fait, j’ai dans mon travail la même approche qu’un acteur pour un rôle. Je suis un interprète.
Où puisez-vous vos influences ?
A mes débuts, dans la peinture. J’ai beaucoup appris des tableaux d’Andrew Wyeth et d’Edward Hopper. Je regardais la diffusion de la lumière, sa couleur, sa propagation dans l’espace. Par la suite, les influences picturales ont été plus diffuses comme Francis Bacon pour Alien, la résurrection, Caravage pour The Lost City of Z… Et en ce moment, la musique m’aide énormément dans mon travail. Je le dois à Bernardo Bertolucci qui me parlait sans cesse du rythme de Mozart pour Beauté volée.
Voilà près de 30 ans, vous faisiez vos débuts en France avec Le trésor des îles Chiennes de F.J. Ossang. Depuis de nombreuses années, vous travaillez surtout outre-Atlantique. Avez-vous envie de retravailler dans notre pays ?
Bien sûr. Il existe une énergie fantastique dans le cinéma français. Mais personne ne m’appelle. On doit penser que j’habite aux Etats-Unis et que ça ne m’intéresse pas. Ou peut-être que, plus simplement, mon travail n’intéresse pas les réalisateurs français.