Le Colonel Chabert de Robert Le Hénaff (1943)
C’est en 1906 que le cinéma s’empare pour la première fois d’une œuvre d’Honoré de Balzac avec La Marâtre, un court de métrage de sept minutes, réalisé par Alice Guy, tiré de La Cousine Bette. Cinq ans plus tard seulement, le duo André Calmettes-Henri Pouctal signe la toute première adaptation du Colonel Chabert, publié en 1832, et dont l’action se déroule dans le contexte particulier de la transition entre l’Empire et la Restauration. Puis ce sera au tour de l’Italien Carmine Gallone (en 1920) et de l’Allemand Gustav Ucicky (Un homme sans nom en 1932), avant que René Le Hénaff ne s’y emploie à son tour. Monteur de René Clair (Sous les toits de Paris…), Marcel Carné (Le Quai des brumes, Hôtel du Nord…), Christian-Jaque (L’Assassinat du Père Noël) ou encore Sacha Guitry (Le Destin fabuleux de Désirée Clary), Le Hénaff est passé à la réalisation en 1929 et va signer avec ce Colonel Chabert le plus populaire de ses 13 longs métrages. Pour le rôle-titre – ce colonel donné pour mort dans la charge de cavalerie des troupes napoléoniennes à Eylau qui revient, dix ans après, reprendre sa place auprès de sa femme, remariée –, le réalisateur a fait appel à Raimu. Et ce, l’année même où ce dernier entre comme pensionnaire à la Comédie-Française. Le Colonel Chabert fait partie de la vague des adaptations balzaciennes produites sous l’Occupation : La Duchesse de Langeais (Jacques de Baroncelli, 1942), Vautrin (Pierre Billon, 1943), Un seul amour (Pierre Blanchar, 1943), La Rabouilleuse (Fernand Rivers, 1944) et Le Père Goriot (Robert Vernay, 1945). On peut voir dans les nombreuses tirades de Chabert glorifiant la patrie un désir de rendre positive auprès de ses spectateurs l’image abîmée d’une France alors placée sous le joug allemand. Depuis, Le Colonel Chabert n’a été porté qu’une seule fois sur grand écran, en 1994, par Yves Angelo, avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre.
La Fille aux yeux d’or de Jean-Gabriel Albicocco (1961)
Paru en 1835, La Fille aux yeux d’or constitue le troisième volet de L’Histoire des treize qui fait partie des Études de mœurs : scènes de la vie quotidienne (La Comédie humaine). L’histoire d’un ménage à trois – un homme et deux femmes – que Jean-Gabriel Albicocco transpose en faisant du dandy de la nouvelle un photographe mondain aux succès féminins faciles. Ancien assistant de Jules Dassin, Albicocco (qui adaptera en 1967 un autre classique de la littérature française, Le Grand Meaulnes) faisait ici ses débuts de réalisateur. Sélectionné à la Mostra de Venise où il reçoit le Lion d’argent, ce film va diviser la critique pour ses partis pris formels assumés qui lui valent des procès en maniérisme. Mais un nom fait l’unanimité : Marie Laforêt (qui partage le haut de l’affiche avec Paul Guers et Françoise Prévost). Un an après ses débuts dans Plein soleil, la comédienne crève l’écran et y gagnera un surnom qui ne la quittera jamais.
Baisers volés de François Truffaut (1968)
Dans Les Quatre Cents Coups, déjà, on entendait un passage de La Recherche de l’absolu qu’Antoine Doinel recopiait pour une dissertation… François Truffaut était un amoureux passionné de Balzac mais il plaçait une de ses œuvres au-dessus de tout : Le Lys dans la vallée (1836). Ce roman est au cœur du premier volet de la trilogie narrant l’histoire d’amour entre Doinel (Jean-Pierre Léaud) et Christine Darbon (Claude Jade), que suivront Domicile conjugal et L’Amour en fuite. On y voit Antoine Doinel (travaillant, après son service militaire, pour une agence de détectives privés, et chargé par le propriétaire d’un magasin de chaussures de découvrir pourquoi sa femme et ses employés le haïssent) lire Le Lys dans la vallée puis se prendre pour son héros, Félix de Vandenesse, dans sa fascination pour Fabienne Tabard (Delphine Seyrig), la femme de son client, qu’il associe à la Madame de Mortsauf du roman. Comme Le Lys dans la vallée, Baisers volés est un récit d’apprentissage qui sera nommé à l’Oscar du film étranger, après avoir attiré plus d’un million de spectateurs en France.
La Belle Noiseuse de Jacques Rivette (1991)
Au début des années 90, Jacques Rivette et ses coscénaristes Christine Laurent et Pascal Bonitzer décident de s’emparer du chef-d’œuvre inconnu de Balzac, publié en 1831, où il était question des échanges entre le tout jeune Nicolas Poussin et Frenhofer – un grand peintre inventé par l’écrivain – autour d’une toile sur laquelle Frenhofer travaillait depuis dix ans, La Belle Noiseuse. C’est Michel Piccoli que Rivette a choisi pour incarner Frenhofer vieillissant qui, dix ans après avoir abandonné la création de ce qui devait être son chef-d’œuvre avec pour modèle sa femme (Jane Birkin), reprend son travail en faisant poser la compagne (Emmanuelle Béart) d’un jeune peintre fasciné par lui. Son récit de quatre heures raconte les cinq journées de pose où la tension ne va cesser de monter entre les différents protagonistes. Si Rivette adapte le récit en le transposant à notre époque, il reste fidèle à sa problématique centrale : le rapport entre le corps du modèle et le Pygmalion qui va le représenter sur une toile. Sélectionné en compétition au Festival de Cannes 1991, La Belle Noiseuse en repartira avec le Grand Prix du jury.
Eugénie Grandet de Marc Dugain (2021)
Publié en 1834, Eugénie Grandet avait connu sa première adaptation au temps du muet, en 1910, sous la direction d’Émile Chautard et Victorin Jasset. Puis ce sont des cinéastes étrangers qui vont s’en emparer au fil des années : l’Américain Rex Ingram en 1921, l’Italien Mario Soldati en 1946 et le Mexicain Emilio Gómez Muriel en 1953. En France, dans la foulée, c’est uniquement sur le petit écran que l’œuvre de Balzac a connu de nouvelles vies, grâce à Maurice Cazeneuve (en 1956), Alain Boudet (en 1968) et Jean-Daniel Verhaeghe (en 1994) avec Jean Carmet dans le rôle du père Grandet. Marc Dugain permet donc à Eugénie Grandet de retrouver le grand écran en n’hésitant pas à le moderniser. Dans la langue, mais surtout en donnant une voix plus forte à son héroïne pour tisser un lien entre la condition féminine d’alors et les combats féministes d’aujourd’hui. Jusqu’à en changer l’épilogue dans ce qu’il raconte du duel entre Eugénie et son père, respectivement incarnés par Joséphine Japy et Olivier Gourmet.