« Hiver à Sokcho » : de l’écrit à l’écran

« Hiver à Sokcho » : de l’écrit à l’écran

09 janvier 2025
Cinéma
« Hiver à Sokcho »
« Hiver à Sokcho » réalisé par Koya Kamura OFFSHORE

Le producteur français Fabrice Préel-Cléach (Offshore) revient sur le processus de fabrication du premier long métrage du réalisateur franco-japonais Koya Kamura, adapté du roman d’Élisa Shua Dusapin, et tourné en Corée.


Quand et comment démarre l’aventure Hiver à Sokcho ?

Fabrice Préel-Cléach : Le livre d’Élisa Shua Dusapin faisait partie de la pile de romans que je rêve d’adapter et qui se trouve sur ma table de nuit. Un jour, juste avant le Covid-19, j’ai encouragé Koya (Kamura) – dont j’avais produit le court métrage Homesick – à le lire, certain qu’il en tomberait aussi amoureux que moi. Ce fut le cas et on a donc décidé de le porter à l’écran. Nous avons acheté les droits du livre après sa petite carrière en France, et nous sommes partis en coécriture avec le Franco-Vietnamien Stéphane Ly-Cuong, dont le premier long métrage comme réalisateur, Dans la cuisine des Nguyen, sortira en salles le 5 mars prochain. Nous avons développé ce scénario pendant deux ans et, durant ce laps de temps, nous avons eu la chance que le livre d’Élisa remporte le National Book Award aux États-Unis. Puis tout s’est précipité quand nous avons présenté le film à l’Avance sur recettes du CNC et qu’il est monté directement en plénière deux jours avant que Roschdy Zem nous dise oui pour tenir l’un des deux rôles principaux. Juste après avoir obtenu l’Avance sur recettes, notre distributeur Diaphana est entré dans l’aventure. Nous n’avons donc mis que cinq mois pour le financer !

Qu’est-ce qui vous avait séduit dans ce livre ?

Hiver à Sokcho m’a touché par les questions qu’il pose autour de l’identité : qui on est, d’où on vient et comment on se construit sur des racines, ou pourquoi on n’arrive pas complètement à le faire parce qu’il en manque une partie ? Ce qui est précisément ce que vit cette jeune Coréenne Soo-Ha quand l’arrivée d’un auteur de BD français dans sa petite ville réveille en elle des questions sur son père français dont elle ne sait presque rien. J’aime aussi le fait que Soo-Ha voit dans cette rencontre une ambiguïté alors qu’il n’y en a aucune. Tout le développement du scénario a consisté à rester sur cette ligne de crête, sur cette idée que cette ambiguïté est unilatérale et que Soo-Ha cherche au fond quelque chose qui n’existe pas pour essayer de se construire.

Comment avez-vous obtenu les droits du roman ?

Nous avons contacté l’éditeur Zoé, qui est suisse. Avant cela, Élisa avait déjà refusé une ou deux fois de vendre les droits. Nous lui avons écrit une lettre détaillant notre envie de porter son livre à l’écran. Nous lui avons envoyé Homesick, le court métrage de Koya qui a énormément marché à l’étranger avant de se retrouver dans la shortlist des Oscars. Élisa a vraiment adoré ce film, elle a appelé Koya et tout a été décidé en un rendez-vous.

Hiver à Sokcho m’a touché par les questions qu’il pose autour de l’identité : qui on est, d’où on vient et comment on se construit sur des racines, ou pourquoi on n’arrive pas complètement à le faire parce qu’il en manque une partie ?

Pourquoi pensiez-vous que Koya Kamura serait le réalisateur idéal pour mettre en scène cette histoire ?

Nous avons en commun d’avoir une double culture. Ma grand-mère était vietnamienne, Koya est franco-japonais. Les thématiques autour de l’identité qui dominent Hiver à Sokcho nous intéressent donc beaucoup. Voilà pourquoi j’étais certain que ce livre allait le toucher et le marquer. À un moment, nous avons réfléchi à tourner le film au Japon avant de comprendre que ce serait dénaturer le livre. Nous avons donc choisi de rester en Corée.

Avez-vous collaboré avec une société de production coréenne pour vous accompagner ?

Oui, il s’agit de Keystone Films, basée à la fois à Paris où ils s’occupent de l’accueil des tournages coréens qui viennent en Europe, et en Corée du Sud où ils font le même travail avec les équipes étrangères qui tournent sur place. Leur apport a été essentiel à la fabrication du film. En revanche, son financement est français à plus de 90 %.

 

Comment s’est réparti le choix entre Français et Coréens pour constituer l’équipe du film ?

Koya voulait partir avec une équipe française qui lui est proche. Il a donc fait appel à Élodie Tahtane, une cheffe opératrice avec qui il avait travaillé sur des spots de publicité. Nous avons aussi embarqué dans l’aventure une directrice de production, une première assistante, une scripte et un ingénieur du son français. Mais le travail sur place avec les Coréens s’est fait dans une totale harmonie, d’autant plus que notre productrice exécutive française avait déjà tourné en Corée avec Keystone Films et connaissait donc énormément de techniciens sur place. Toute la postproduction, elle, s’est faite en France. Le grand avantage d’avoir un financement français à ce point majoritaire a été de pouvoir choisir sans contrainte ce qui nous paraissait le mieux à chaque poste.

Y a-t-il des particularités à tourner en Corée du Sud ?

Le travail des équipes coréennes est très proche du travail des équipes françaises. Je dirais que le seul souci, c’est que les Coréens parlent très peu anglais. Donc nous perdons forcément un peu de temps en termes d’interprétation des consignes. Nous n’avions pas un gros budget, nous avons beaucoup travaillé avec de jeunes techniciens coréens mais tout s’est très bien passé, au fil des trente jours de tournage sur place.

À un moment, nous avons réfléchi à tourner le film au Japon avant de comprendre que ce serait dénaturer le livre. Nous avons donc choisi de rester en Corée en Sud.

Bella Kim, l’actrice principale du film, est aussi coréenne. Où l’avez-vous trouvée ?

C’est son premier film. Elle est coréenne mais vit depuis dix ans en France, où elle est venue faire ses études et où elle a été repérée dans la rue pour devenir mannequin. Pour ce rôle de Soo-Ha, nous cherchions au départ une Franco-Coréenne qui devait parler à la fois coréen parfaitement et français avec un accent. Mais nous n’avons pas trouvé. À partir de là, Bella s’est imposée très vite. Elle n’est pas métisse comme Soo-Ha. Nous avons donc un peu travaillé son physique – en lui mettant des lentilles, par exemple – pour que ce soit crédible à l’écran. Elle livre une composition incroyable.

Face à elle, on retrouve Roschdy Zem. Qu’est-ce qui vous a donné envie de lui confier ce rôle de dessinateur français qui débarque à Sokcho ?

Roschdy a été le premier choix de Koya. Pour son immense talent d’acteur bien sûr. Mais aussi parce que nous aimions l’idée, pour ce film sur l’identité, qu’à aucun moment, pour ce personnage de Normand, nous ne traitons du fait que Roschdy ne soit pas blanc. Mieux même, nous nous en moquons complètement. Ça épousait tout ce que ce film raconte et cette idée de ne pas avoir à tout expliquer tout le temps. D’où son mutisme à l’écran. Je suis content que nous n’ayons pas lâché là-dessus. Nous n’avions pas envie d’en faire un personnage sympathique et Roschdy l’a assumé à 100 %.

Toute la postproduction s’est faite en France. Le grand avantage d’avoir un financement français à ce point majoritaire a été de pouvoir choisir sans contrainte ce qui nous paraissait le mieux à chaque poste.

Vous parliez plus tôt d’une ligne de crête à maintenir lors de l’écriture. Comment êtes-vous parvenu à poursuivre ce travail au montage ?

Il faut savoir que Koya prend pas mal de distance dans la première partie du montage et laisse énormément de place à son monteur Antoine Flandre avec il collabore depuis longtemps. Antoine a donc beaucoup travaillé seul dans un premier temps, jusqu’à délivrer un premier « ours ». À partir de là, Koya commence à passer un petit peu tous les jours, puis de plus en plus. De mon côté, j’essaye de ne pas voir toutes les versions pour garder le plus de recul possible. Puis après être arrivé à une première version avec une structure assez classique, nous avons organisé beaucoup de projections test. Ensuite, nous avons essayé de déstructurer les choses, notamment grâce à l’apport de l’animation. C’est ainsi que petit à petit le film a trouvé une forme en adéquation totale avec son récit.

Ces scènes animées étaient-elles déjà présentes dans le scénario ?

Elles étaient même au cœur de notre toute première discussion sur ce film avec Koya. Il cherchait comment représenter à l’écran la voix intérieure de Soo-Ha. Et il a tout de suite pensé à l’animation et à faire appel à Agnès Patron dont il avait adoré les courts, parmi lesquels L’Heure de l’ours qui a été césarisé en 2021. Nous avons donc parlé à Agnès dès le début de l’écriture du scénario et elle a tout de suite accepté. Certains éléments ont été créés en amont car nous en avions besoin pendant le tournage et le reste s’est fait en parallèle du tournage.

Élisa Shua Dusapin est-elle intervenue au moment de l’écriture du film ?

Non. Elle ne voulait pas et c’était l’accord passé entre nous. Elle avait lu une version avant le tournage mais elle nous a vraiment laissés complètement libres. En revanche, elle est venue sur le tournage et fait même une petite figuration comme cliente que l’on voit sortir de l’auberge où travaille Soo-Ha.

Diriez-vous que le film est vraiment très différent du roman ?

Non. En tout cas, le cœur du récit lui est totalement fidèle. Il y a ici et là des personnages qui ont bougé mais pas plus.
 

HIVER À SOKCHO

Affiche de « HIVER À SOKCHO »
Hiver à Sokcho Diaphana

Réalisation : Koya Kamura
Scénario : Koya Kamura et Stéphane Ly-Cuong d’après le roman d’Elisa Shua Dusapin (Ed. Zoé, 2016)
Animation : Agnès Patron
Production : Offshore
Distribution : Diaphana
Ventes internationales : Be For Films
Sortie le 8 janvier 2025.

Soutiens sélectifs du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la création de musiques originales, Aide au développement de longs métrages, Aide à l’édition vidéo (aide au programme éditorial), Aide sélective à la distribution (aide au programme 2024)