C’est la chronique d’un match, non pas de boxe, mais de soul music. Celui ayant opposé Solomon Burke, alias le « King of Rock ’n’ Soul », à James Brown, le « Soul Brother Number One », en 1965, sur la scène du Regal Theater de Chicago. Ce soir-là, James Brown ravissait la couronne de Solomon Burke lors d’un show légendaire, préparé avec la minutie d’un coup d’état. Dans le court métrage d’animation Make It Soul, de Jean-Charles Mbotti Malolo, cette histoire, qu’on pourrait penser réservée aux seuls amateurs de soul, devient la métaphore de la volonté de changement qui animait l’Amérique dans les années soixante, et l’occasion d’un hommage à l’esprit de rébellion et d’insoumission qu’incarnait James Brown. Le producteur Amaury Ovise nous détaille la conception de ce film aussi sensible qu’euphorisant.
Vous avez eu l’idée de Make It Soul en lisant cette anecdote à propos de James Brown et Solomon Burke dans Sweet Soul Music, de Peter Guralnick, un livre bien connu des amoureux de soul music…
Oui. J’adore la soul et j’ai toujours été fasciné par James Brown. Ce soir-là à Chicago, en 1965, c’est comme si l’Histoire basculait en un instant : l’ancien monde des soul men fait place à une nouvelle ère, où la musique afro-américaine va définitivement conquérir le monde. James Brown est un danseur d’exception, un immense musicien, l’un des grands génies de la musique de la deuxième moitié du XXème siècle. Mais un génie ambigu : il n’est pas forcément très sympa et, en l’occurrence, il fait un coup pendable à Solomon Burke. Burke comprend cependant qu’il faut céder la place à James Brown, qui va incarner la gloire et la toute-puissance de la musique afro-américaine après lui.
En vous emparant de cette histoire, vous vous retrouvez sur un terrain qui est plus naturellement celui du cinéma américain que du cinéma français : Chicago, l’histoire des Etats-Unis, la représentation de la figure bigger than life de James Brown…
Oui, c’est d’ailleurs quelque chose dont on a beaucoup parlé avec Jean-Charles Mbotti Malolo, le réalisateur.
Ensuite, effectivement, quand on est fan de soul music et qu’on est un modeste producteur indépendant, faire des films qui représentent cet univers-là, c’est impossible en fiction, parce que ça nécessite un travail de reconstitution que seuls peuvent se permettre des films hollywoodiens à 40 millions. Mais en animation, comme on part de rien, on peut représenter Chicago dans les années soixante, avec des comédiens qui parlent anglais. L’animation était la seule solution, et c’était un défi bien plus excitant.
Vous avez ensuite constitué l’équipe créative du film…
Oui. Avec le scénariste Nicolas Pleskof, nous avons d’abord écrit un scénario à quatre mains autour de cette anecdote, que nous avons ensuite présenté à un réalisateur et à un auteur graphique. L’auteur graphique, c’est Simon Roussin, un adepte de la couleur et de la ligne claire. Le réalisateur, c’est Jean-Charles Mbotti Malolo, dont j’avais adoré le premier film, Le Sens du toucher, sur un couple de sourds-muets qui s’exprime par la danse. Il y avait une alchimie à trouver entre les différents auteurs, et Jean-Charles s’est réapproprié l’histoire. Il a une affinité pour la culture afro-américaine, il est par ailleurs camerounais, assez engagé, danseur et chorégraphe, c’est donc évidemment un film dans lequel il avait beaucoup de choses à projeter.
Au-delà de la « passation de pouvoir » musicale qui se joue ce soir-là entre James Brown et Solomon Burke, vous voyez dans cette anecdote la métaphore de la révolution culturelle et politique qui est alors en train de secouer l’Amérique…
C’est Jean-Charles qui a donné cette impulsion-là. Initialement, j’étais fasciné par la figure de James Brown et je me disais que le film pouvait tenir là-dessus. Jean-Charles, lui, était persuadé qu’il fallait élargir, qu’on devait inscrire le film dans un mouvement historique plus précis, la lutte pour les droits civiques, la mort de Sam Cooke survenue un an plus tôt… C’est toute une histoire de l’Amérique qu’on cherche à convoquer. En donnant peut-être envie aux spectateurs d’investir ensuite eux-mêmes cette histoire, en lisant des livres et, surtout, en écoutant cette musique.
A un moment donné, James Brown est comme parcouru par l’électricité du Regal Theater. Le film suggère la dimension super-héroïque du personnage…
Ce plan évoque la magie de James Brown, de la soul et de la musique en général. Mais la toute-puissance de Brown s’exprime surtout dans la scène qui suit, quand il monte sur scène et qu’il danse. A ce moment-là, on sort de la ligne claire et d’un film très réaliste dans sa construction des perspectives et des espaces, pour aller vers quelque chose de fou, qui confine à l’abstraction : un déluge de couleurs qui se déverse sur une foule hystérique.