La découverte du cinéma
« Mes parents ne m’ont pas transmis l’amour du cinéma, c’est venu soudainement à l’adolescence. À 14 ans j’ai eu un coup de foudre pour Isabelle Huppert en la découvrant au théâtre dans Médée, mis en scène par Jacques Lassalle, et je me suis mise à regarder tous les films dans lesquels elle avait joué. Je me suis finalement prise de passion aussi bien pour elle que pour les grands cinéastes avec lesquels elle avait tourné. Un peu plus tard, j’ai commencé à me plonger dans les films de François Truffaut comme Les 400 coups ou La Femme d’à côté. J’ai aussi été éblouie par des cinéastes comme Rohmer et Pialat dont j’ai toujours besoin pour vivre. Mes parents ont toujours aimé voir des films en salle mais n’ont jamais été à proprement parler cinéphiles. Ils s’intéressaient peu aux réalisateurs jusqu’à ce que je commence à leur parler en boucle de tel ou telle, et à faire moi-même des films. Lorsque j’ai commencé à me passionner pour le cinéma, les parents (très cinéphiles, eux) d’un ami d’enfance m’ont emmenée au cinéma tous les week-ends voir des films très éclectiques du monde entier. Je les ai suivis les yeux fermés ».
De l’édition au septième art
« La découverte d’Isabelle Huppert m’a donné envie d’être actrice. Mais j’étais aussi passionnée de littérature. En arrivant à Paris à 17 ans pour faire hypokhâgne, je voulais cumuler des études poussées et des cours de théâtre… Mais je n’avais pas le temps de tout faire. J’ai donc mis le cinéma en suspens jusqu’à ma licence de Lettres à la Sorbonne. Mais j’ai finalement été happée par les études, j’ai fait un master 1 sur Duras et Racine et j’ai passé le concours de l’agrégation, que j’ai raté à une place. On m’a proposé un stage aux Editions Grasset qui s’est transformé ensuite en CDD puis en CDI. J’ai finalement tout quitté à 26 ans car je ne voulais pas passer à côté de ma vie. Il était temps de prendre ce virage. Mais je ne connaissais personne dans le milieu du cinéma et je n’avais jamais passé de castings. J’ai donc commencé à écrire des petites choses dans lesquelles je jouais et que je réalisais. C’était très artisanal ! »
Le grand saut professionnel
« Pauline asservie est mon premier film professionnel et il m’a donné la chance de rencontrer Anaïs Demoustier [qui incarne Pauline, ndlr]. J’ai compris grâce à elle ce qu’était une actrice et l’idée d’en devenir une ne m’a plus effleurée. Même si je n’avais jamais dirigé d’acteurs professionnels auparavant, je savais à peu près où je mettais les pieds grâce à mes cours de théâtre. Et puis Anaïs a tout de suite réussi à s’approprier le texte et elle était vraiment chez elle dans le film. Elle a un jeu à la fois technique et sensible, très subtil. Je la tiens pour une sorte de génie, en tout cas une virtuose ! Je l’ai surtout dirigée pour le rythme : j’avais envie qu’elle parle très vite et qu’elle bouge beaucoup en même temps, pour que le film soit vif. J’avais quelques complexes au départ, je me disais que le « vrai » cinéma n’était pas aussi bavard et tourbillonnant. Mais tout dépend en réalité de la personnalité de celui qui écrit et réalise. Je ne suis pas de nature contemplative ni mélancolique, j’ai donc fait un film énergique, dynamique. Le personnage de Pauline passe son temps à remplir le vide de l’absence, faire proliférer sa parole avait donc du sens. En tournant ce court métrage, j’ai enfin appris que chaque acteur est différent : Sigrid Bouaziz (Violette) et Anaïs Demoustier ne travaillent pas de la même manière, j’ai donc dû m’adapter et je ne les ai pas dirigées de la même façon. Leur différence de nature se voit à l’écran et c’est devenu un vrai atout pour le film. Je trouvais comique d’avoir d’un côté la petite brune très nerveuse et d’un autre la grande blonde flegmatique ».
L’universalité de l’attente amoureuse
« J’ai eu beaucoup de réactions de spectateurs de tous les âges qui me disaient s’être identifiés à Pauline, y compris des hommes, ce qui m’a fait plaisir car je n’avais pas envie de me dire que l’attente amoureuse est quelque chose de typiquement féminin.
Je voulais absolument utiliser son texte lumineux mais je ne savais pas de quelle manière, au départ. Je l’ai finalement un peu mélangé avec une histoire d’amour décevante que j’avais vécue, pour en faire un scénario dans lequel je voulais me moquer de nous tous et de cet état universel d’amoureux transi. Des extraits des Fragments devaient apparaître à l’écran. Mais je les ai coupés au montage car c’était finalement redondant par rapport aux scènes filmées. »
L’impact de Pauline asservie
« Ce court métrage a confirmé mon désir et mon plaisir de réaliser. Je n’étais pas sûre de savoir comment faire au départ car je n’avais jamais appris à faire des films. Mais je me suis sentie très à l’aise et très joyeuse sur le plateau et en salle de montage. C’était aussi réjouissant que rassurant. Pauline asservie est également mon premier film produit. J’ai rencontré Stéphane Demoustier d’Année Zéro qui avait vraiment envie de produire ce court métrage, dont il parlait presque mieux que moi ! J’ai vite compris que nous étions en phase sur le film que nous voulions faire. Mais il m’a laissée complètement libre. Avoir un producteur n’a eu que des avantages, j’avais quelqu’un à mes côtés qui croyait en ce projet, le budget était aussi plus important que pour mes précédents courts et j’avais une vraie équipe avec moi. Sélectionné à plusieurs reprises dans les festivals [il a notamment été présenté à la Semaine de la Critique à Cannes ainsi qu’au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand, ndlr], Pauline asservie a été beaucoup vu, ce qui a facilité le montage financier du long métrage ».
Les retrouvailles avec Pauline
« J’ai tourné mon premier long métrage, Les Amours d’Anaïs, cet été avec Anaïs Demoustier. Notre collaboration s’était si bien passée sur le court que nous avions envie de recommencer. Et nous avions toutes les deux envie de retrouver le personnage de Pauline, ou disons un personnage proche de celui du court. Dans le long, elle s’appelle Anaïs, et ce n’est pas exactement la même jeune femme, mais ce pourrait être une cousine de Pauline, dont elle a la vivacité, l’humour, les névroses... Elle est au cœur d’un triangle amoureux, dans ce projet porté aussi par Valeria Bruni Tedeschi et Denis Podalydès. Beaucoup de producteurs voulaient s’occuper de moi après Pauline asservie et j’ai proposé à Stéphane Demoustier (Année Zéro), à qui je souhaitais rester fidèle, de faire une coproduction avec David Thion des Films Pelléas. Cela s’est extrêmement bien passé. Malgré tout, un tournage de long métrage est une vraie épreuve. Manquer de temps en permanence était très dur, j’ai eu l’impression de passer 7 semaines en apnée et l’été dans une lessiveuse. J’ai fait beaucoup de prises, je dépassais et j’avais l’impression que les journées étaient horriblement trop courtes. La préparation a également été difficile, notamment pour la recherche des décors car nous avons tourné dans 3 régions. C’était très contraint et je pense que c’est lié au contexte de la COVID-19, même si je n’ai pas de points de comparaison. J’avais enfin beaucoup plus d’acteurs à diriger ; certains que j’admire depuis mon enfance et qui sont aussi réalisateurs. C’était intimidant et génial à la fois. »