Disparition de Frank Cassenti, cinéaste musicien

Disparition de Frank Cassenti, cinéaste musicien

26 décembre 2023
Cinéma
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Frank Cassenti
Frank Cassenti Aucepika photographe

Scénariste, cinéaste, documentariste, metteur en scène, musicien, directeur du festival Jazz à Porquerolles… Frank Cassenti était un touche-à-tout pour qui la culture était un art de vivre. Il s’est éteint le 22 décembre 2023 à l’âge de 78 ans. Hommage.


Né à Rabat en 1945, Frank Cassenti poursuit ses études à Alger où il commence de s'intéresser à la musique. C’est à l’âge de 17 ans qu’il rencontre le cinéma. Étudiant à Lille, il co-dirige le ciné-club étudiant créé par Pierre-Henri Deleau. Il découvre chez un ami une caméra 8 mm dont il s’empare pour aller capter la rue et ses ambiances. Caméra qu’il ne lâchera plus…

Fréquentant la mouvance anarcho-communiste, l’étudiant fait la rencontre de Chris Marker qui pratique le cinéma comme un moyen de lutte et d’expérimentation. L’apprenti-cinéaste réalise un premier ciné-tract sur une grève de mineurs dans le Nord et rencontre sur le carreau de la mine Joris Ivens et Marceline Loridan. En 1969, il réalise son premier court métrage, Flash-Parc, plus ou moins influencé par Jean-Luc Godard comme il le racontait à Var matin : « Pendant mes études, j’avais entendu Jean-Luc Godard dire qu’il fallait que le cinéma aille partout : dans les facultés, dans la rue... Je l’ai pris au mot et je lui ai écrit pour lui dire que c’était exactement ce que nous faisions. Eh bien, il m’a répondu et on a organisé une projection à la fac. La recette nous a servis à financer le film. » Et le film se retrouve en sélection à la Quinzaine des réalisateurs la même année.

Cinéma engagé

Porté par un cinéma nécessairement engagé, il filme en 1973 un nouveau court métrage, L’Agression, une reconstitution d'un crime raciste interdite par la censure. Une campagne de presse en fait cependant lever l’interdiction. La même année sort en salles son premier long métrage, Salut Voleurs, avec Jacques Higelin, Claude Melki et László Szabó qui jouera dans tous ses films suivants. Cette période militante durant laquelle il travaille avec le cinéaste et producteur Pascal Aubier au sein des Films de la Commune débouche sur l’écriture de L'Affiche rouge, tournée à La Cartoucherie de Vincennes. Ce film met en lumière le rôle de la résistance immigrée durant la Seconde Guerre mondiale, jusqu’alors occulté, à travers le destin du groupe Manouchian. Le film est récompensé du Prix Jean Vigo en 1976.

S’ouvrant à une réflexion sur l’Histoire et sur ses modes de représentation, Frank Cassenti adapte à l’écran La Chanson de Roland (1978), célèbre poème épique du XIe siècle que pèlerins et comédiens contaient aux villageois lors de leurs étapes. Peu de temps après, le cinéaste rencontre Pierre Goldman, qui vient d’être innocenté du crime dont on l’accuse après avoir passé sept ans en prison. Ils travaillent à l’adaptation de Souvenirs obscurs d’un juif polonais né en France, livre autobiographique que Goldman a écrit en prison. Mais lorsque celui-ci est assassiné en 1979, Frank Cassenti abandonne le projet. Il réalisera finalement un documentaire, Aïnama « Salsa pour Goldman », à la suite du concert donné par ses amis musiciens antillais et latino-américains au Zénith de Paris en 1980.

Filmer le jazz

L’année suivante, c’est pour la télévision qu’il réalise Deuil en 24 heures, une série de quatre heures adaptée d'un roman de Vladimir Pozner qui retrace la débâcle de 1940. La série, diffusée sur Antenne 2, obtient le prix de la critique et un grand succès public. S’ensuit une galerie de portraits sur des grandes figures du jazz : Miles Davis, Michel Petrucciani – documentaire réalisé à partir d’extraits des courts formats précédents et de plans dans un club parisien –, Archie Shepp, Wynton Marsalis, Billie Holiday...

Lui-même musicien, formé à la contrebasse et à la guitare en autodidacte, le réalisateur propose un autre regard sur le jazz : « Il s’agit d’abord de filmer ce qui se joue. Au sens de la partition, certes, mais aussi dans les interactions entre musiciens. C’est une responsabilité de filmer la musique de jazz. Il faut en connaître le b.a.-ba. Je choisis les musiciens que je filme. Je les connais, je sais ce qu’ils vont jouer. Il faut de l’anticipation pour saisir cette musique qui se présente un peu comme un jeu d’échecs, avec cette idée de se représenter plusieurs coups d’avance. », expliquait-il à Citizenjazz. C’est ainsi qu’en 2004, il créée avec Samuel Thiebaud, Oléo Films, une société de production qui filme des concerts et réalise des documentaires de jazz.

« Comprendre le monde dans lequel nous vivons »

Navigant entre musique et cinéma, ses deux passions, Frank Cassenti, toujours porté par un devoir de mémoire, adapte sur grand écran Le Testament d'un poète juif assassiné (1987) écrit par Elie Wiesel. C’est dans cette même optique qu’il réalise vingt ans plus tard un film mêlant documentaire et fiction, J’avais 15 ans. Il y retrace la vie d’André Kirschen qui, à l’âge de 15 ans, a abattu un officier allemand en 1941, dans le Paris occupé. Deux autres films, Gnawa Music en 2010 et La Nuit de la possession tourné en 2012 à Essaouira, sur le rituel de la transe dans la culture gnawa, résonnent comme des retours sur son enfance au Maroc.

Ces dernières années, il avait réalisé Changer le Monde en 2019, un documentaire dans lequel il retraçait les 20 ans du festival Jazz à Porquerolles, qu’il avait créé. Le Journal d’une femme sourde (2022), plus personnel, raconte la rencontre entre une musicienne qui perd l’ouïe avec une jeune femme qui va sauver sa passion pour la musique.

Cinéaste, jazzman, documentariste… Frank Cassenti nourrissait une curiosité insatiable pour le monde qui l’entourait. Celui qui considérait la culture comme « dernier rempart contre l’obscurantisme » écrivait encore récemment : « Je crois pouvoir dire en tant qu’homme de culture que tout ce que j’entreprends n’est qu’un moyen d’aller à la rencontre de l’autre, pour échanger et comprendre le monde dans lequel nous vivons et le transformer pour mieux vivre ensemble. »