On les appelle habituellement des femmes ou des hommes de l’ombre. Ils agissent à côté des stars et contribuent à asseoir leur rayonnement. Ils sont agents, publicitaires, producteurs, éditeurs… Le grand public ne connaît pas forcément leur nom. René Chateau, décédé à l’âge de 84 ans, lui, agissait en pleine lumière et avait fait de son patronyme une marque déposée. La génération de cinéphiles dont une grande partie de l’initiation s’est jouée en chinant dans les vidéoclubs à la recherche d’un Bruce Lee, d’un film d’horreur interdit en salles ou d’un classique du cinéma français, connaît la musique par cœur : les percussions emphatiques avant l’arrivée de la grande cavalerie des cuivres, Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, dont Kubrick avait fait la signature de son 2001. Dans l’espace, un disque jaune fait des voltiges avant de servir de plateau à une panthère noire. « Une distribution René Chateau » s’imprime en lettres rouges. C’est ce qui s’appelle avoir le sens du spectacle.
À partir des années 70, René Chateau avait, en effet, senti le vent tourner et anticipé les changements à venir avec l’arrivée des magnétoscopes et des fameuses VHS dans les foyers. L’homme qui était déjà bien implanté dans l’industrie et avait même dirigé une salle à Paris, le Hollywood Boulevard, savait que le cinéma dit bis (horreur, fantastique, kung-fu, blaxploitation), alors déconsidéré par une grande partie de l’intelligentsia, avait un public à qui on aurait tort de ne pas parler. Les VHS René Chateau étaient des objets en soi, reconnaissables entre mille, avec leur visuel coloré, leur graphisme rutilant. Dans le long portrait que lui avait consacré Vanity Fair sous la plume de Frédéric Bénudis, l’un des responsables de la boutique cinéphile parisienne Metaluna expliquait : « On louait tous ses films car il y avait cet interdit qui attisait vraiment l’envie. On croyait qu’on ne les verrait jamais autrement. C’était magique ! » René Chateau s’était alors bâti un véritable empire.
Un jeune dieu...
L’homme, né au Mans, fils de parents divorcés, avait dû travailler très jeune pour subvenir à ses besoins. Tout dans sa trajectoire semblait porter le sceau d’une revanche sociale, de celle qui autorise à pousser les portes que d’aucuns voudraient tenir fermées et à ne surtout pas se retourner de peur que le passé empêche l’envol. Passionné de cinéma, le jeune homme charismatique a fréquenté les salles de quartier, celles de la Cinémathèque et même fondé un ciné-club. Il a un temps pris la plume pour écrire des articles. La légende veut que sa première critique porte sur À bout de souffle de Jean-Luc Godard et sur son acteur qui crève l’écran, Jean-Paul Belmondo : « Il faut le voir descendant les Champs-Élysées roulant des épaules comme un jeune dieu à la veille du printemps. », écrit René Chateau.
Si Chateau et le jeune premier devenu star se rencontrent en chair et en os sur le plateau de Pierrot le fou en 1965, c'est en 1967 que leur amitié va se sceller. Chateau est déjà connu dans l’industrie pour son sens de la publicité et son dynamisme. C’est lui qui vient, par exemple, de convaincre Serge Gainsbourg d’écrire une chanson pour accompagner la sortie du long métrage d’Arthur Penn, Bonnie and Clyde. Un film qui fait entrer le cinéma américain dans la modernité et apporte au jeune collaborateur de la Warner en France une réputation. René Chateau va ainsi convaincre Jean-Paul Belmondo de gérer son image, de la faire fructifier et d’en contrôler tous les aspects. L’homme devient le bras droit de celui que l’on surnommera bientôt « Bebel ».
« Un génie à sa manière... »
La méthode Chateau se caractérise par son style décomplexé, « à l’américaine », faisant de chaque film un événement publicitaire. Ça commence par des affiches tape-à-l’œil, des opérations médiatiques savamment orchestrées et un sens du business. Avec son appui, Belmondo devient une véritable entreprise commerciale : acteur – producteur – distributeur. « Un homme a pris une place grandissante dans ma vie professionnelle : René Chateau, mon attaché de presse, confie l’acteur dans son ouvrage autobiographique Belmondo par Belmondo (Fayard) en 2016. Mais est-ce que le mot convient ? René aura plutôt été, en quelque sorte, mon conseiller en communication. C’est le début d’une longue amitié entre nous. À partir de Ho !, je l’impose sur tous mes tournages. René est un homme secret, renfermé. Mais c’est aussi un génie à sa manière. »
Cette idylle tout en débordement et succès finira par une brouille en 1984 en marge de la sortie de Joyeuses Pâques de Georges Lautner. Les raisons sont forcément multiples mais il se dit que Belmondo s’est lassé de la mainmise de son collaborateur aux méthodes poussives. Désormais sans sa star, René Chateau fera fructifier en solitaire son entreprise de vidéo. Il décide alors de retourner dans l’ombre. Loin des lumières qu’il avait toujours convoitées. Discret, il a continué de gérer ses éditions, et publié notamment des livres sur le cinéma, dont Audiard par Audiard, devenu une référence.