Née le 6 avril 1924, Yannick Bellon découvre très tôt le cinéma, influencée par une mère photographe, Denise Bellon, et un oncle acteur, réalisateur, assistant de Jean Renoir et de Luis Buñuel et critique de cinéma, Jacques Brunius. Dans l’appartement parisien du 39 quai de l’horloge, les amis défilent : les frères Prévert, le cinéaste Paul Grimault, le scénariste Jean Ferry, l’actrice Sylvia Bataille ou encore Henri Langlois, qui réfléchit à son projet de Cinémathèque française.
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Montage et réalisation
Yannick Bellon intègre la première promotion de l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC, devenu depuis la Fémis), qui ouvre ses portes en 1943. Elle n’y reste qu’un an, préférant se former auprès de la cheffe monteuse Myriam Borsoutsky, qui travaille notamment sur les films de Sacha Guitry. Elle participe au montage du documentaire Paris 1900 de Nicole Védrès (1946), avant de réaliser, seule, Goémons, son premier court métrage, inspiré du cinéma du réel de Jean Rouch, dont elle est très proche. La jeune cinéaste filme l’âpreté du travail des habitants d’une ferme et de leurs employés engagés à l’année pour récolter le goémon noir, une algue riche en iode. Elle y montre la beauté et la profondeur des paysages, qui contrastent avec l'atmosphère oppressante de la petite île bretonne. Reconnu pour son réalisme, le court métrage est récompensé du Grand Prix international du Documentaire à Venise en 1948.
Passionnée par le montage autant que par la réalisation, Yannick Bellon poursuit ce double parcours et travaille ses propres courts métrages de documentaire ou de fiction. Elle signe Colette, un portrait moderne et captivant de l’écrivaine, puis travaille avec le journaliste Henry Magnan - qu’elle épouse en 1953 -, sur plusieurs projets : Varsovie quand même, un documentaire sur la capitale polonaise à travers la Seconde Guerre Mondiale (1955), Un matin comme les autres (1956) qui réunit Simone Signoret, Yves Montand et Loleh Bellon, la sœur de Yannick, ou encore Le Bureau des mariages (1962), adapté d’une nouvelle d’Hervé Bazin, avec Michael Lonsdale. A partir de 1966, elle réalise pour la télévision Bibliothèque de poche, une émission littéraire mensuelle créée et animée par Michel Polac.
Affirmer son style cinématographique
Peu à peu, Yannick Bellon affirme son style cinématographique. Elle entreprend son premier long métrage, mais ne trouve pas le financement nécessaire. Qu’importe. Déterminée à réaliser son film, elle monte sa propre maison de production, Les Films de l’Equinoxe, et met en scène Quelque part quelqu’un – soutenu par le dispositif d’aide à la numérisation du CNC –, une évocation poétique de Paris, peuplée de solitudes et de conversations. Le film, sorti en salles en 1972, est salué par la critique, séduite par le format audacieux, qui entremêle fiction et réalité, et le lyrisme avec lequel la cinéaste filme ses personnages dont les chemins se croisent sans jamais se rencontrer.
En 1974, Yannick Bellon produit et réalise La Femme de Jean, film engagé autour de la libération de la femme, en résonance avec le mouvement féministe de l’époque. Elle y raconte la reconstruction d’une femme trompée, quittée par son mari, avec délicatesse se gardant de juger ses personnages. « J’ai traité certains aspects de la réalité féminine parce que je me sens complètement concernée par la condition des femmes et leurs luttes quotidiennes, et parce que je suis évidemment pour une égalité totale entre les hommes et les femmes », dit-elle. « Mais cela ne signifie pas que cette préoccupation ait une place exclusive dans mon cinéma. Faire des films, pour moi, c’est exprimer des émotions, c’est être au cœur même de la vie. » Couronné par la Société des Auteurs et l’Académie du Cinéma, La Femme de Jean, sublimé par la musique de Georges Delerue, rencontre un beau succès public.
Questionner son époque
Le cinéma de Yannick Bellon s’inspire des sujets de société et se distingue par son esthétique sobre et poétique. Avec Jamais plus toujours (1976), elle compose un poème cinématographique à la musicalité unique et interroge le rapport au temps. On y suit le personnage de Claire (interprété par Bulle Ogier) déambulant dans la salle des ventes de l'Hôtel Drouot à Paris où sont mis en vente des objets ayant appartenu à Agathe (Loleh Bellon). « J'ai tourné à la façon d'un documentaire », précise Yannick Bellon, insufflant à ses images un charme mélancolique mâtiné de nostalgie. « Ce flux et ce reflux de sentiments, ces bonheurs, ces peines fragiles, ces échanges fugaces, l’amour qui naît comme le printemps, qui décline et qui renaît quand on ne l’attend plus, la mort qui guette… Le regard que Yannick Bellon pose sur les êtres et les choses est inoubliable », écrit alors Jean de Baroncelli dans Le Monde.
Fuyant toute étiquette, Yannick Bellon cherche à se renouveler sans cesse, observe ses contemporains, questionne son époque. Ainsi, la cinéaste audacieuse vient, avec L’Amour violé (1978), provoquer l’opinion et éveiller les consciences. Elle met en scène la victime d’un viol – filmé sans concession – qui, poussée par une amie, finit par porter plainte. Si personne ne veut se risquer à produire un tel film, celui-ci rencontre à sa sortie un franc succès, qui facilite la réalisation de L’Amour nu (1981). Yannick Bellon y brosse le portrait d’une femme qui, devant subir une ablation du sein en raison d’un cancer, décide de quitter son compagnon, l'image de sa féminité s'en trouvant trop affectée. « Ce qui m’a intéressée avant tout, c’est l’histoire d’amour de Claire (Marlène Jobert) et de Simon (Jean-Michel Folon), les préjugés de Claire, sa prise de conscience progressive, le refus de se soumettre à une fatalité apparente », révèle-t-elle.
« Être disponible pour tout »
Yannick Bellon aime filmer des personnages qui se cherchent, se reconstruisent, en lutte contre les conventions et les violences ordinaires de la société. Elle aborde la bisexualité avec La Triche (1984), dans lequel Victor Lanoux interprète un commissaire de police marié, amoureux d’un jeune musicien (Xavier Deluc), ou bien la délicate réinsertion sociale d’anciens détenus toxicomanes dans Les Enfants du désordre (1989) avec Emmanuelle Béart. Ce film donne lieu au documentaire Evasion, sur le travail des éducateurs du Théâtre du Fil avec des adolescents en difficulté que la pratique du théâtre sauve. « Il me semble aussi important de raconter une révolte, une prise de conscience, comme dans L’Amour violé, La femme de Jean ou Les Enfants du désordre que d'exprimer la dualité des êtres ou du sentiment amoureux, comme dans La Triche. Je veux être disponible pour tout ».
Après avoir réalisé L’Affût (1992), une histoire d'amour difficile entre un instituteur et une jeune femme de retour dans son pays sur fond de lutte entre chasseurs et défenseurs de la nature, Yannick Bellon entreprend Souvenir d'un avenir (2001). Elle coréalise ce documentaire avec son ami Chris Marker, en hommage à sa mère, la photographe-reporter Denise Bellon qui créa en 1934, avec Capa et d'autres, l'agence Alliance Photo. Des années trente à l'après-guerre, de l'exposition surréaliste de 1938 à celle de 1947, de l'Afrique à la Finlande, chaque cliché révèle un passé qui semble pressentir un événement avenir.
Au fil de sa carrière longue de plus de soixante ans, Yannick Bellon a construit une œuvre à la fois riche et complexe, qui échappe à toute définition. Observatrice de son époque, qu’elle dissèque avec finesse, Yannick Bellon a fait de son cinéma un art militant traversé par une infinie poésie.