Quand avez-vous intégré la Fondation Gan pour le cinéma ?
Dominique Hoff : En 2001. Je rentrais alors d’Angleterre où j’avais mené une partie de ma carrière professionnelle en tant que responsable du Ciné Lumière, la salle de l’Institut français à Londres. En 1997, nous y avions organisé les dix ans de la Fondation Gan pour le cinéma. Les liens entre nous se sont établis à cette époque. J’ai d’abord exercé les fonctions de déléguée générale adjointe en 2001, avant de devenir déléguée générale à partir de 2013. L’idée à ce moment-là était d’instaurer une nouvelle stratégie. À sa création, la Fondation Gan avait deux missions principales : la conservation des films de patrimoine via l’aide aux restaurations et l’aide à la création des premières œuvres de fiction. Au fil du temps, la Fondation qui, chose rare, a survécu à la fusion-acquisition de Gan Assurances par Groupama en 1998, a progressivement recentré son activité autour du soutien aux œuvres de jeunes cinéastes. Mon mandat s’est incarné autour de cette ambition.
Quelle est la genèse de la Fondation Gan pour le cinéma ?
Tout a débuté en 1987 sous l’impulsion de Costa-Gavras, déjà président de la Cinémathèque française. Des ponts existaient déjà entre Gan Assurances et la célèbre institution cinématographique. L’entreprise venait de participer à la célébration de l’anniversaire de la Cinémathèque. Le PDG se demandait alors comment pérenniser cette aide au cinéma. Costa-Gavras lui a suggéré la création d’une fondation. C’est durant les années 1980 que les fondations culturelles d’entreprise se sont développées, à l’instar de la Fondation Cartier. Costa-Gavras reste encore aujourd’hui notre président d’honneur. Preuve que ce lien perdure et se renforce, la Fondation Gan pour le cinéma est depuis 2015 l’un des grands mécènes de la Cinémathèque française.
Quels jeunes auteurs ont été les premiers à bénéficier de l’aide à la création de la Fondation ?
Dès ses débuts, la Fondation a fait preuve d’une formidable énergie, plaçant pour les générations futures la barre très haut. Citons notamment les premiers longs métrages de Jean-Pierre Jeunet, Catherine Corsini, Jeanne Labrune, Tràn Anh Hùng ou encore Bruno Dumont… À ce jour, la Fondation a participé à l’émergence de plus de 240 réalisateurs. En termes de récompenses, nous totalisons 42 César, 35 prix au Festival de Cannes dont une Palme d’or, celle obtenue par Julia Ducournau pour Titane en 2021. L’attention portée au patrimoine n’est toutefois pas à occulter car de beaux projets comme la restauration du Voyage dans la Lune de Georges Méliès, du Carrosse d’or de Jean Renoir ou encore de L’Âge d’or de Luis Buñuel restent des moments importants de notre histoire.
Comment la Fondation Gan pour le cinéma accompagne-t-elle concrètement les films ?
Deux dispositifs importants cadrent notre activité. L’aide à la création et à la diffusion. La première s’obtient sur scénario. Notre jury de l’aide à la création se réunit deux fois dans l’année. Nous soutenons financièrement cinq longs métrages par an. L’aide à la diffusion, elle, accompagne deux films terminés et présentés en festival. Le premier dans le cadre de la Semaine de la critique lors du Festival de Cannes, où nous remettons un prix à l’un des films en compétition ; l’autre, lors du Festival international du film d’animation d’Annecy, où nous distinguons également un long métrage en compétition. Outre notre aide financière, nous tenons à accompagner au maximum ces sept longs métrages en déployant un important dispositif de communication, qui passe par les réseaux sociaux, notre site internet (fondation-gan.com) ou encore des entretiens filmés avec les cinéastes. Nous tenons également à être présents sur les tournages des films défendus par l’aide à la création. Avec le temps, nous avons créé des liens très forts avec les réalisateurs. Une vraie communauté autour de la Fondation Gan pour le cinéma a vu le jour. Des cinéastes aidés dans le passé se retrouvent à présider notre jury de l’aide à la création assurant ainsi une forme de relais.
Comment s’organisent en détail les aides à la création ?
Nous lançons deux appels à projets par an. Nous recevons près de 60 scénarios par commission. Sept personnes composent un premier comité de lecture chargé de faire une présélection de cinq à six projets. Des projets qui sont des premiers ou des deuxièmes longs métrages. Ce comité regroupe différents acteurs de l’industrie : un scénariste, un producteur, un distributeur, un membre d’un festival… et deux personnes de la Fondation. Le jury de l’aide à la création, qui inclue des professionnels du secteur et moi-même en tant que déléguée générale de la Fondation, prend le relais, auditionne les candidats présélectionnés en séance plénière selon le modèle du CNC, pour n’en retenir que deux par commission. Ce jury est présidé par un ancien lauréat. L’année dernière, le réalisateur Antonin Peretjatko en était le président.
Quelles caractéristiques doit avoir un projet pour être retenu ?
La Fondation est un mécène de la création. Nous n’attendons donc aucune contrepartie financière d’un film, ce qui nous laisse une grande liberté dans nos choix. Bien entendu, l’objectif est que les films soutenus rayonnent au maximum. Il en va de notre crédibilité. Notre devise définit bien notre ligne d’action : Audace, constance, diversité. À cela j’ajoute l’éclectisme. Nous écartons les œuvres qui nous apparaissent trop formatées et privilégions les styles qui se démarquent. La radicalité peut être un critère mais ce n’est pas suffisant. Même si nous avons conscience que certains projets audacieux ne rencontreront peut-être pas le grand public mais seront remarqués dans des grands festivals internationaux.
Par exemple ?
Prenez le film L’Eden du cinéaste colombien Andrés Ramirez Pulido, présenté à la Semaine de la critique en 2022. À la lecture de son scénario, tous les membres de notre jury ont été emportés. C’était fort, un univers fiévreux se dégageait. Nous nous devions d’accompagner ce geste. Parmi les lauréats 2023, nous avons sélectionné le prochain long métrage d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux, auteur du très beau Vers la bataille (2019) : La Couleuvre noire. Ce deuxième long métrage propose un univers affirmé et puissant. Aurélien Vernhes-Lermusiaux est un auteur particulièrement habité. Comme je le disais plus haut, nous ne pouvons, ni ne voulons d’ailleurs, soutenir uniquement des œuvres radicales. Il convient également de suivre des auteurs affirmés qui, par le casting ou le genre choisi, ont une visée davantage grand public. Je pense à La Montagne de Thomas Salvador, par exemple. De la même façon, nous avions aidé Titane de Julia Ducournau et fait là aussi le pari du deuxième long métrage. Nous soutenons également des comédies, comme La Loi de la jungle d’Antonin Peretjatko avec le risque inhérent au genre, puisque tout le monde n’a pas le même humour. Enfin, pour être éligible au soutien de la Fondation, la nationalité du cinéaste n’entre pas directement en ligne de compte puisque l’aide est principalement attribuée au producteur. En revanche, le projet doit être une production française majoritaire. Et bien sûr, il doit présenter un plan de financement détaillé.
Parmi les projets soutenus, faites-vous une différence entre la fiction, le documentaire, l’animation ?
Parmi les cinq projets de l’aide à la création, l’un est à part : le « Prix spécial, choix de la Fondation ». Avec cette distinction, l’ambition est de faire découvrir la diversité que peut revêtir le septième art. Je pense à des projets comme les docu-fictions. Je pense aussi au Peuple migrateur de Jacques Perrin (1999). De la même manière, la Fondation entretient une relation singulière avec le cinéma d’animation. Nous avons par exemple soutenu Le Chat du rabbin (2011) de Joann Sfar et Antoine Delesvaux, Persepolis (2007) de Marjane Satrapi ou, plus récemment, Le Sommet des dieux (2021) de Patrick Imbert. J’aime me transformer en tête chercheuse en allant directement à la rencontre des producteurs ou des auteurs lors des work in progress du Festival d’Annecy ou aux Rencontres professionnelles de Fontevraud.
L’actualité de la Fondation Gan pour le cinéma est riche en ce mois de mars avec notamment la sortie d’Inchallah un fils du Jordanien Amjad Al Rasheed...
En effet, Inchallah un fils est le dernier lauréat du prix Fondation Gan à la diffusion de la Semaine de la critique. La somme est entièrement reversée à la société de distribution française avec la mission de l’utiliser avec inventivité pour accompagner au mieux le film, par la création de goodies par exemple. Parmi nos autres actualités, citons le tournage de La Couleuvre noire d’Aurélien Vernhes-Lermusiaux ce mois-ci, un film que nous avons soutenu pour environ 10 % de son budget. Nous lançons également le deuxième volet de notre série documentaire, L’Image originelle, dans laquelle des cinéastes renommés reviennent sur leur premier film, une expérience fondatrice. Marco Bellocchio, Agnès Jaoui, Naomi Kawase, Cédric Klapisch et Joachim Trier sont les prochains cinéastes à se prêter à cet exercice.