Comment avez-vous connu cet appel à projets Jeunes sortis d’école ? Et qu’est-ce qui vous a motivé à y répondre ?
Clément Pérot : Je terminais mes études à l’EnsAD (Ecole nationale supérieure des arts décoratifs – ndlr) et aux Beaux-Arts en 2021 quand mes professeurs nous ont informés, mes camarades de promotion et moi-même, de ce nouveau dispositif. Un projet singulier qui devait être porté par un groupe d’étudiants et non par une seule personne. Cela nous obligeait à nous retrouver, à une époque où le confinement et la crise sanitaire avaient sévi. J’avais commencé à travailler sur mon film de fin d’études, un projet personnel et intime, quand la pandémie est arrivée. À défaut de pouvoir tourner au moment du premier confinement, j’ai tourné ce qui allaient devenir mes repérages l’été 2020. Puis j’ai passé le deuxième confinement à écrire mes dossiers de demande d’aides et ai commencé à les déposer début 2021. J’ai toujours eu ce film comme objectif, encouragé par mes professeurs. Mais les conditions sanitaires en ont ralenti la fabrication et il devenait difficile de porter le film seul et sans financements.
Comment avez-vous répondu à cet appel à projets ?
Venant d’une école d’art et non d’une école de cinéma, je n’étais pas familier de la façon de déposer une demande d’aide au CNC. Mais l’institution accompagnait les candidats dès le dépôt de candidature : des sessions expliquant comment constituer son dossier étaient organisées. Nous devions préciser notre projet en cinq pages, l’illustrer par des images ou une courte vidéo de quelques minutes. Et bien sûr, il fallait que le projet soit porté par un groupe de deux à cinq personnes incluant le réalisateur ou l’auteur.
Comment s’est déroulée votre audition en commission plénière ?
C’était un moment extrêmement formateur ! Une fois encore, le service de la création nous avait préparés à cet oral lors d’une précédente réunion. Nous étions jugés par des professionnels aguerris tels que la réalisatrice Dominique Cabrera, Arnaud Gourmelen, responsable du programme du festival Premier plan d’Angers, la réalisatrice Aurélia Georges… sur notre capacité à présenter notre projet, mais aussi à répondre à des questions auxquelles nous n’aurions pas forcément pensé, afin d’être sûr de la faisabilité de notre film. L’audition était vraiment enthousiasmante, faite de curiosité, d’échanges et de bienveillance. À titre d’exemple, l’un des membres s’est particulièrement intéressé au dispositif envisagé pour filmer les enfants et les adolescents de mon documentaire. Il voulait s’assurer que la caméra ne viendrait pas entraver leur naturel. Un autre nous a interrogés sur le choix de privilégier les plans fixes et de filmer les enfants de façon isolée. Au fur et à mesure, mon projet de court métrage a évolué : il s’est nourri de ces discussions.
Vous avez été lauréat de la 2e session de Jeunes sortis d’école. Qu’a rendu possible cet appel à projets ?
Il m’a été précieux à bien des égards. D’abord, le fait d’être accompagné par une institution comme le CNC permet d’asseoir une certaine crédibilité aux yeux des professionnels. Ce n’est déjà pas facile de se lancer dans la vie professionnelle lorsqu’on sort d’une école, alors imaginez en période de crise sanitaire où les tournages étaient bloqués ! Le CNC m’a donné la chance de pouvoir faire mes preuves et d’être accompagné à une époque où l’on pouvait vite se sentir isolé. D’autre part, il m’a permis de développer et de lancer mon projet de film. À l’origine, je pensais le réaliser seul. J’entretenais d’ailleurs un rapport fusionnel avec le lieu de tournage, les jeunes que je filmais... Je me suis alors rendu compte que cette envie de tout gérer avait aussi ses limites, notamment en ce qui concerne la technique : combien de rushs inutilisables parce que le micro était tombé pendant que j’étais à la caméra, ou que la lumière extérieure était d’un coup trop intense ! Être entouré d’une équipe technique et artistique (un monteur et une co-scénariste) comme le demandait Jeunes sortis d’école m’a permis de m’ouvrir à d’autres regards et de nourrir mon projet. Et puis cet appel à projets m’a permis de rencontrer ma productrice Elsa Klughertz (Jonas Films) ! Je connaissais son travail dont j’aimais beaucoup la démarche, et je savais qu’elle avait déjà produit des films d’art. C’est d’ailleurs l’un de mes professeurs aux Beaux-Arts, Clément Cogitore, qui suivait mon projet avec attention depuis le début, qui nous a mis en relation en février 2022.
Qu’a permis l’obtention de la bourse de 5000 € attribuée par le CNC ?
Elle m’a permis de financer une partie de mon projet. Je devais faire beaucoup d’aller-retours entre Paris et Calais, où mon tournage se déroulait. J’étais tombé sur ce quartier en périphérie de la ville par hasard, lors d’un été chez des proches. Ce lieu coincé entre la nature, des routes et des terrains vagues me rappelait le quartier où a vécu ma famille paternelle, dans la banlieue de Rouen, récemment détruit. Il s’en dégageait quelque chose de fantomatique, comme la résurgence de quelque chose qui n'existait plus. J’y observais des jeunes s’ennuyer, tuer le temps dans cet environnement en bas des tours, tout près des champs de blé. L’obtention de la bourse m’a permis de payer mes billets de train et de me loger sur plusieurs mois, le temps de l'écriture et de la préparation du film, en passant du temps dans le quartier avec les jeunes. J’ai pu également rémunérer ma scénariste Margaux Dieudonné. Grâce à son travail, j’ai pu dégager plus facilement les axes forts dans la narration de mon film et en dérouler ainsi le fil conducteur.
Votre court métrage Dans la tête un orage mélange fiction et documentaire. Pourquoi ce choix ?
J’aimais l’idée de filmer ces enfants et ces adolescents en plein été dans un lieu de tension au milieu des tours, qui contraste avec la campagne avoisinante. Si je tenais au format documentaire, je ne voulais pas faire de cinéma direct ni filmer le réel de façon brute. Cela aurait été de l’ordre du vol vis-à-vis de ces enfants. Bien sûr, l’improvisation avait toute sa place dans la narration. Mais j’avais à cœur de faire entrer des éléments fictifs dans ce dispositif comme pour amener les jeunes à s’incarner eux-mêmes et leur offrir du recul sur leur quotidien pour mieux le raconter à l’image. Plutôt que de les interviewer, je les ai invités à participer au projet et à se transformer en personnage. Par exemple, Kyllianna, l’une des protagonistes, était plutôt mutique et secrète. Nous avons donc révélé des choses de son caractère et de son quotidien à travers des gestes de fiction. Nous avons beaucoup discuté autour de thématiques comme l’ennui, l’été, le passage de l’enfance à l’âge adulte, la violence… Puis on rejouait les anecdotes qu’elle m’avait racontées ou les scènes que j’avais observées. C’était une façon de la rendre actrice du film, au propre comme au figuré.
Vous avez été sélectionné l’an dernier à la Quinzaine des Cinéastes mais aussi cette année à Côté Court où vous avez reçu le prix Tënk, ou encore à Clermont. Quelle visibilité ces sélections apportent-elles à votre film ?
La sélection cannoise a été une grosse surprise ! Je pense que le film intéresse parce qu’il montre un territoire qui répond à un imaginaire collectif en France. Il repose aussi beaucoup sur le son, sur le langage. Je n’étais pas sûr qu’il soit compréhensible par d’autres pays. Pourtant, grâce à la Quinzaine des Cinéastes et à Clermont, on commence à être sélectionné dans des festivals internationaux comme le festival Cinema Jove à Valence en Espagne en juin dernier, au TIFF de Tirana en septembre et au DMZ, le festival du documentaire en Corée du Sud. Il a également été montré en Pologne. Dans la tête un orage a aussi été acheté par France 2 et diffusé en mai dans le cadre du programme « Histoires courtes ». La plateforme Tënk devrait également le diffuser prochainement (le prix reçu à Côté Court comprenait l'achat des droits de diffusion). Grâce à tout cela, le film vit sa propre vie et trouve son public !
Quels sont vos projets actuels ?
Je viens d’obtenir l’aide après réalisation aux films de court métrage du CNC, attribuée à des films dont on estime la qualité artistique. C’est une façon d’encourager les réalisateurs à poursuivre leur travail en leur conférant une fois encore une certaine légitimité. Et puis, cela met en confiance de savoir que son travail est apprécié. Cette aide va me permettre de développer mon premier long métrage, pour lequel je débute les repérages. Ce film se déroulera en marge du port industriel du Havre. Il s’agira d’une fiction, mais dont le dispositif accueillera en son sein le réel documentaire.
Ouvert à tout type de projet cinématographique, audiovisuel ou de création numérique, le fonds Jeunes sortis d'école dédié à la jeune création a permis de soutenir cent groupes de lauréats à travers la dotation d’une bourse de 5 000 € et d’un accompagnement par des membres de la commission ou des professionnels du secteur lors de rencontres thématiques.
Dans la tête un orage
Scénario : Clément Pérot et Margaux Dieudonné
Produit par : Jonas Films
Soutiens du CNC : Jeunes sortis d’école, Aide après réalisation aux films de court métrage
Le film est également lauréat de la Bourse Brouillon d’un rêve documentaire de la Scam, de la Bourse Déclics Jeunes de la Fondation de France, et de l'Aide au film court de Cinémas 93/Département Seine-Saint-Denis.