Il y a cent ans, Émile Cohl réalisait Fantasmagorie, l'un des tous premiers dessins animés de l'Histoire du cinéma. Nous sommes le 17 août 1908, au Théâtre du Gymnase à Paris quand ce Montmartrois pur et dur de 51 ans connaît le plus grand moment de sa carrière. Le plus marquant, puisque son œuvre de 2 minutes, produite alors pour la société Gaumont, entre dans la mémoire du 7e art.
Pourtant, cela fait quelques mois seulement qu'Émile Cohl s'intéresse au monde du cinéma. Né au milieu du XIXe siècle, il aura passé la première partie de sa vie à faire de la photographie, du journalisme, mais aussi et surtout du dessin humoristique, comprenez de la caricature, qui s'affichait en Une des journaux de l'époque. Fréquentant Victor Hugo, Courteline ou Alphonse Allais, celui qui s'appelle encore Émile Courtet navigue entre les groupes artistiques (notamment les Hydropathes et les Incohérents), avant de s'intéresser à cet art nouveau, qui va le fasciner et qu'il va révolutionner à sa façon.
Il faut dire que le tout premier dessin animé du cinéma vient juste d'être inventé, de l'autre côté de l'Atlantique, par James Stuart Blackton, qui, en 1906, signe "Humorous Phases of Funny Faces", grâce à un tout nouveau procédé qu'on appelle « Le tour de manivelle ». Un procédé encore inconnu en Europe, qu'Émile Cohl va utiliser pour réaliser ses premières œuvres. Véritable pionnier, il aidera dans la foulée au développement de différentes machines à images, inventées à la même période, que ce soit le phénakistiscope, le zootrope ou le théâtre optique d'Émile Reynaud, qui projetait des dessins réalisés sur bande souple. Avec son univers totalement absurde et incroyablement créatif, le cinéaste en herbe passera par les plus grandes sociétés de production, de Pathé à Éclipse, en passant par Éclair, où il sera responsable de l'animation au studio de Fort-Lee, près de New York, aux États-Unis, jusqu'en 1914.
Tout au long de sa carrière, qui continuera même durant la Première Guerre Mondiale, Émile Cohl signera quelque 300 courts métrages d'animation. Dans un esprit précurseur, il inventera ainsi le premier héros de dessin animé, Fantoche. Il réalisera aussi les premiers films en papiers découpés, avec des marionnettes (Le tout petit Faust, 1910), les premiers dessins animés en couleurs (Le Peintre néo-impressionniste, 1910), les premiers dessins animés publicitaires (Campbell Soups, 1912), et même une adaptation de bande dessinée (Les aventures des Pieds-Nickelés, 1917). Toujours en recherche de progrès technique, il fera évoluer la profession en développant l'incrustation et les dessins de métamorphose.
Émile Cohl continuera ainsi de créer, jusqu'en 1923, même si aujourd'hui, la plupart de son travail a été perdu. Seule une soixantaine de ses œuvres ont été conservées. Il faut dire que l'artiste aura été largement oublié sur la fin de sa vie. Si Walt Disney en personne lui rendra hommage, en 1937, au moment de recevoir sa Légion d'honneur à Paris, Émile Cohl mourra dans des conditions tragiques, un an plus tard, sans un sou en poche, après que sa barbe a pris feu, embrasée par la flamme d'une bougie. « Émile Cohl, l’inventeur du dessin animé, est mort. Il était de ceux dont la modestie semble les tenir écarter de la gloire et de la fortune », écrira Le Petit Journal, le 22 janvier 1938, deux jours après sa disparition. Il repose aujourd'hui au cimetière du Père-Lachaise à Paris.
Samedi 16 mars 2019, à 11 heures, à la Cinémathèque (salle Georges Franju) - Séance à remonter le temps : Fantaisies animées d'Emile Cohl en ciné-concert, avec 11 courts-métrages d'animation accompagnés au piano par Ignacio Plaza.