Quand et comment est née l’idée d’En fanfare ?
Emmanuel Courcol : Le premier déclic a eu lieu il y a une douzaine d’années alors que je faisais une consultation comme scénariste sur un projet de film autour d’une jeune fille qui voulait devenir majorette dans le nord de la France. L’histoire de la fanfare qui entourait ces majorettes m’intéressait particulièrement. Ses deux autrices, Oriane Bonduel et Marianne Tomersy, m’avaient fait rencontrer les Ch’tis Lutins, la formation de Tourcoing qui les avait inspirées. C’est à ce moment-là que j’ai pensé à confronter le milieu de la musique populaire à celui de la musique classique à travers deux personnages qui seraient frères. J’étais alors en pleine écriture de mon premier long métrage, Cessez-le-feu, et j’ai gardé cette idée dans un coin de ma tête. Sans doute parce que durant toute ma jeunesse, j’ai entendu mon frère faire ses gammes de trompette dans la chambre d’à côté. Cette idée est aussi venue réveiller quelque chose de mon enfance…
À quel moment les choses sont-elles devenues concrètes ?
C’est au moment du premier confinement qu’avec Irène Muscari, ma compagne, nous avons commencé à écrire. Irène n’avait jamais rédigé de scénario mais quand j’ai commencé à lui raconter l’histoire que j’avais en tête, elle a assez vite apporté cette idée de greffe de moelle justifiant la rencontre de ces deux frères qui ne se connaissent pas. Et elle en a eu beaucoup d’autres dans la foulée. C’est ce qui m’a donné envie d’écrire avec elle, en avançant ensemble sur la structure, les situations et les dialogues.
Votre travail sur le scénario a-t-il consisté à jouer avec les codes de la comédie dramatique et sociale pour mieux les déjouer ?
C’est quelque chose auquel j’ai particulièrement veillé, comme sur mon précédent film, Un triomphe. Je me méfie toujours des facilités d’écriture, des premières évidences qui surgissent. Mais c’est une écriture ludique avec une succession d’énigmes à résoudre pour surmonter les obstacles. À commencer par le chantage affectif vis-à-vis du spectateur qui peut surgir dès lors que l’on parle de maladie grave.
Comment parvenez-vous justement à ne pas tomber dans quelque chose de trop émotionnel ?
D’abord en ne faisant pas de la maladie le sujet principal du film, mais un des éléments de la relation entre les deux frères, qui se tisse surtout à travers le langage de la musique. Ensuite, en injectant de l’humour et de l’inattendu. J’aime les personnages pétris de contradictions, peuplés de sentiments a priori inconciliables. À chaque situation, je tente d’aller ailleurs que là où ma première pensée m’amène. Je n’ai pas de méthode mais plutôt une ligne de conduite : essayer de trouver quelque chose qui soit toujours à la fois surprenant et évident une fois la séquence terminée. Veiller à ce que rien ne tombe jamais des nues. Pour y parvenir, il faut vraiment fouiller dans l’histoire et dans les personnages. Mon expérience de comédien m’est alors très utile. Je m’appuie beaucoup sur tout le travail d’identification que j’ai pu faire à chaque rôle que j’avais à jouer. Tout cela passe finalement par des choses très intuitives. C’est aussi ce qui symbolise ma manière de vivre cette phase d’écriture : comme une improvisation quasi permanente.
Dans l’écriture d’En fanfare, la musique est un personnage à part entière. Pourquoi ce choix ?
Parce que la musique est ce qui unit ces deux frères et matérialise leur capital génétique ! Voilà pourquoi je voulais qu’elle soit présente dès la première scène, cette longue séquence de répétitions d’orchestre absolument fondamentale à mes yeux car elle me permet d’ancrer solidement le personnage du chef d’orchestre, à la fois dans l’écriture et dans l’interprétation de Benjamin (Lavernhe). Idem pour la séquence avec Pierre (Lottin) où les deux frères, Thibaut et Jimmy, écoutent du jazz. Mais pour y parvenir, il fallait évidemment des comédiens capables de rendre ces scènes crédibles. Je n’avais aucun doute sur l’implication et la capacité de Benjamin à s’y employer et je savais, depuis Un triomphe, que Pierre était pianiste. J’ai d’ailleurs vraiment écrit ce film en pensant à lui. Vu son profil, sa personnalité et son histoire, Pierre était tellement le personnage de Jimmy qu’il nous l’a presque imposé.
Lequel des deux personnages a été le plus compliqué à écrire ?
Indéniablement Thibaut, le chef d’orchestre. Car en termes de clichés, il offrait vraiment une autoroute ! À commencer par cette espèce d’aura, de charisme et de mystère qui le caractérise. Il a donc, là encore, fallu ajouter de l’imprévu pour effriter cette statue du Commandeur. Le fait qu’il adore Dalida par exemple. Sinon, le risque était que Thibaut apparaisse très antipathique. Ce qui était d’ailleurs le cas dans les premières versions du scénario où son côté assez tête à claques, limite insupportable, l’emportait sur le reste. Tout le travail d’écriture a consisté à en faire un personnage bienveillant sans pour autant gommer ce qui le constitue : son éducation, sa virtuosité, son aisance à s’exprimer qui peuvent passer pour de l’arrogance malgré lui.
Comment avez-vous travaillé avec Maxence Lemonnier, votre directeur de la photo, pour traduire toutes ces velléités d’écriture en images ?
Le directeur photo de mes précédents films, Yann Maritaud, était pris sur un autre projet. C’est mon premier assistant, Ludovic Giraud, qui m’a recommandé Maxence. Il n’avait alors signé la lumière que d’un seul long métrage mais j’ai fait confiance à Ludovic et je ne l’ai pas regretté ! Notre travail est passé par des discussions concrètes en amont du tournage puis sur le décor. Plus qu’en termes de références de tel ou tel film, j’ai raisonné en termes de couleurs. Je voulais des alternances de couleurs chaudes et froides. Et surtout parvenir à capter cette lumière si singulière du Nord, de ses ciels laiteux, de ses murs de briques. Je trouve que Maxence y est parvenu merveilleusement.
En fanfare s’est beaucoup modifié au montage ?
Non, il n’y a pas eu de grands bouleversements. On a affiné, resserré des séquences au lieu de les couper. On a simplement accentué quelques ellipses.
Vous avez pris le parti de ne pas mettre de musique originale en plus de celles que vos deux personnages principaux dirigent ou jouent à l’écran. Pour quelle raison ?
Le compositeur Michel Petrossian a d’abord travaillé sur En fanfare en tant que conseiller musical car j’avais des séquences très techniques à écrire, comme celle où Thibaut et Jimmy sont au piano et évoquent la filiation entre le Boléro de Ravel et le jazz. N’étant pas musicien moi-même, j’avais besoin de l’expertise de Michel, qui est immense. Il a aussi été précieux sur le choix des musiques préexistantes qui allaient être jouées et qui ont d’ailleurs, sur ses conseils, légèrement évolué par rapport à ce que j’avais prévu dans le scénario. Puis, Michel a composé la pièce contemporaine qu’on entend dans le film avec le défi de réussir à la rendre accessible, ainsi que la musique du générique. C’est au montage que la question de la musique additionnelle s’est posée et a été réglée. Il nous est apparu évident qu’à l’écran, le résultat était meilleur sans ces morceaux, car ils nous faisaient sortir du film. Voilà pourquoi on a décidé de s’en passer.
EN FANFARE
Réalisation : Emmanuel Courcol
Scénario : Emmanuel Courcol et Irène Muscari en collaboration avec Oriane Bonduel et Marianne Tomersy
Photographie : Maxence Lemonnier
Montage : Guerric Catala
Musique : Michel Petrossian
Production : Agat Films & Cie
Distribution : Diaphana Distribution
Ventes internationales : Playtime
Sortie le 27 novembre 2024
Soutien du CNC : Aide sélective à l'édition vidéo