Festival Premiers Plans d’Angers, ou « faire du cinéma un art qui élève sans exclure »

Festival Premiers Plans d’Angers, ou « faire du cinéma un art qui élève sans exclure »

16 janvier 2025
Cinéma
Festival Premiers Plans d’Angers
Le Festival Premiers Plans d’Angers en 2020 Ville d'Angers - Th. Bonnet

Le Festival Premiers Plans d’Angers, qui accueille chaque année plus de 30 000 spectateurs de moins de 25 ans, a fait de la transmission cinématographique sa mission première. Entre rétrospectives exigeantes et premiers films, héritage et modernité, la manifestation explore les voies d’une transmission renouvelée du 7e art. Entretien avec Louis Mathieu, enseignant de cinéma et président de l'association du festival Premiers Plans, sur les défis et les promesses de cette transmission à l’ère numérique.


Le Festival Premiers Plans d’Angers est un rendez-vous majeur du cinéma. Qu’est-ce qui caractérise cette édition 2025 ?

Louis Mathieu : Le festival va proposer des rétrospectives importantes et il y aura une belle sélection de films, mais cette édition s’articule aussi autour d’un événement particulier : un colloque important sur la transmission du cinéma, qui résonne particulièrement avec notre mission. Premiers Plans d’Angers a toujours été un lieu de rencontre intergénérationnel – l’an dernier, nous avons accueilli 30 000 spectateurs de moins de 25 ans sur un total de 80 000, ce qui est assez exceptionnel dans le paysage des festivals.
Notre ADN, depuis la création de Premiers Plans, c’est d’être un tremplin pour les premiers films des jeunes réalisateurs. C’est fascinant de voir comment ces œuvres sont souvent inspirées par leur propre cinéphilie. Un jeune cinéaste qui découvre Fellini, Godard ou Varda pendant son adolescence porte en lui ces influences, consciemment ou non, quand il réalise son premier film. C’est ce qui crée un dialogue naturel et organique avec le patrimoine cinématographique. Pour nourrir ce dialogue, nous organisons des rétrospectives thématiques et d’auteur qui permettent aux spectateurs – et particulièrement aux jeunes cinéastes – de découvrir ou redécouvrir des œuvres majeures dans des conditions optimales, sur grand écran, souvent en copies restaurées. C’est une expérience irremplaçable.

Notre ADN, depuis la création de Premiers Plans, c’est d’être un tremplin pour les premiers films des jeunes réalisateurs. C’est fascinant de voir comment ces œuvres sont souvent inspirées par leur propre cinéphilie.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur les thèmes abordés dans ces rétrospectives ?

Nous avons choisi des thématiques qui résonnent profondément avec les préoccupations actuelles de la société. Quand nous avons commencé à réfléchir à cette programmation en mars dernier, nous avons senti une évolution significative dans l’opinion publique autour des questions de différence, d’immigration et de diversité. Notre première rétrospective, « Voisins-Voisines », explore ces sujets à travers des films qui montrent comment le cinéma peut créer des ponts entre les cultures, les identités, les expériences.
Une autre rétrospective majeure s’intéresse à l’écologie à travers le prisme du cinéma d’animation (« Animation et Écologie »). Ce médium nous a semblé particulièrement pertinent car il permet une liberté totale dans la représentation : on peut montrer la nature dans toute sa splendeur, mais aussi imaginer des futurs plus sombres, des paysages dévastés. C’est une façon unique d’aborder les enjeux environnementaux, particulièrement auprès des jeunes publics qui sont très sensibles à ces questions.
Côté auteurs, nous avons choisi de mettre en parallèle deux grands noms : Federico Fellini et Nicolas Philibert. Fellini est une figure emblématique de la génération ciné-club, un cinéaste qui a su mêler le réel et l’imaginaire d’une façon unique. Philibert, lui, est un documentariste contemporain majeur dont le regard sur le réel est d’une acuité remarquable. Ces deux cinéastes, bien que très différents dans leur approche, partagent une même attention au monde qui les entoure et une capacité à révéler la poésie du quotidien.

Le cinéma comme miroir du monde, c’est donc ce qui guide le festival ?

Absolument. Le cinéma est un miroir du monde et de nos vies. Quand un film parle de nos vies – celles des adultes comme celles des jeunes – il en augmente la conscience. C’est un miroir grossissant, comme le disait Victor Hugo à propos de la littérature. C’est aussi parfois la représentation de solutions possibles pour mieux vivre ou surmonter les difficultés. Prenez Fellini, qui disait que « la vie est une combinaison de magie et de pâtes ». Dans La Strada, il montre une femme obligée de vendre sa fille dans un contexte de misère absolue, mais au milieu de cette réalité sombre surgissent des moments de beauté pure, avec la musique de Nino Rota, le spectacle, le cirque. C’est ça aussi le cinéma : dénicher la beauté dans la réalité, à travers le regard qu’on porte sur elle.

Le cinéma crée du lien, de l’échange, du débat. Dans nos ateliers pédagogiques, nous favorisons toujours une parole horizontale avant la parole « descendante » du formateur.

Le colloque sur la transmission est un moment fort du festival. Quelle en est sa vocation et les enjeux qu’il soulève ?

Ce colloque vise à faire le point sur les mutations profondes qui ont marqué les dernières décennies, tant du côté des formateurs que des jeunes. Nous avons connu plusieurs générations : celle des ciné-clubs, d’abord, qui a forgé toute une culture cinématographique collective. Puis est venue la génération des dispositifs scolaires comme « École et Cinéma », « Collège au cinéma », « Lycéens et apprentis au cinéma ». Ces dispositifs ont permis une approche plus structurée, plus institutionnelle de l’éducation au cinéma.
Aujourd’hui, nous faisons face à une situation plus complexe et contrastée. J’interviens régulièrement dans des classes de lycée et je constate des réalités très diverses. Certains élèves de 15 ans ont une vraie culture cinéphile, transmise par leurs parents – ils connaissent Hitchcock, Godard, les grands classiques. Mais ils sont minoritaires. Pour beaucoup, le cinéma reste quelque chose d’étranger à leur quotidien. La transmission est devenue plus délicate car nous ne partons plus du même socle. Avant, il y avait une culture partagée du cinéma, des références communes. Aujourd’hui, il faut souvent tout reconstruire, créer les conditions d’une première rencontre avec le cinéma.

Comment réussir cette transmission auprès d’une génération qui consomme principalement des images sur smartphone ?

C’est tout l’enjeu. Il faut repenser fondamentalement notre approche. Tout comme on apprend à lire et à écrire, il faut apprendre à regarder des films. C’est une question de codes, de langage, ce n’est pas inné. La difficulté est accrue par les habitudes de consommation actuelles : sur les portables, les jeunes regardent des séquences très courtes qu’ils peuvent contrôler, mettre en pause, faire défiler. Le cinéma, lui, impose sa temporalité, son rythme. C’est une expérience plus exigeante.
Notre stratégie s’articule autour de plusieurs axes. D’abord, nous privilégions des points d’entrée accessibles : des films qui parlent directement aux jeunes, avec des personnages de leur âge, des situations qu’ils connaissent. Nous utilisons aussi beaucoup les courts métrages et les extraits comme portes d’entrée vers des œuvres plus complexes.
Un aspect fondamental de notre approche est la création d’un échange collectif autour des films. Nous avons constaté que des jeunes qui rencontrent des difficultés avec l’expression écrite ou l’analyse littéraire s’expriment souvent très bien sur le cinéma. Il y a quelque chose de plus immédiat, de plus sensible dans leur rapport à l’image.

Cette approche pédagogique a-t-elle évolué depuis l’introduction du cinéma dans les programmes scolaires ?

Considérablement. Quand le cinéma est entré dans les classes dans les années 1990, sous l’impulsion de Jack Lang, ministre de la Culture, c’était une petite révolution. Beaucoup d’enseignants, de familles, d’élèves ont perçu cela comme une étrangeté. Il a fallu du temps pour légitimer la présence du cinéma à l’école.
Aujourd’hui, nous avons développé des outils pédagogiques plus sophistiqués. L’un des changements majeurs est l’introduction de la pratique. Les nouvelles technologies ont démocratisé la création : avec un smartphone, n’importe quel élève peut réaliser un petit film. Cette dimension pratique est cruciale : quand on a soi-même cadré une image, choisi un angle, fait un montage, on comprend beaucoup mieux les choix des cinéastes.
Nous travaillons aussi beaucoup sur l’expression des émotions, particulièrement avec les plus jeunes. Face à une scène qui fait peur ou qui dégoûte, nous apprenons à mettre des mots sur ces émotions, à comprendre comment elles sont produites par le film. C’est un véritable apprentissage de la distance critique, qui sert ensuite dans la vie quotidienne.

Quand je vois la réaction des jeunes lors du festival, leur enthousiasme face à certains films, leur capacité à s’émouvoir collectivement, je me dis que le cinéma garde ce pouvoir unique de créer des moments de grâce partagée.

Aujourd’hui, la pratique cinéphile des jeunes est très différente de celle des années 1960-1970, où les films se répondaient entre eux, où chaque découverte ouvrait de nouveaux horizons. Cette sédimentation de la culture cinématographique est plus rare, le numérique prenant une grande part du temps de loisir. Mais je reste optimiste. Quand je vois la réaction des jeunes lors du festival, leur enthousiasme face à certains films, leur capacité à s’émouvoir collectivement, je me dis que le cinéma garde ce pouvoir unique de créer des moments de grâce partagée. C’est particulièrement visible dans notre grande salle de 1400 places : quand une émotion traverse le public, c’est quelque chose de physique, de palpable.

Cette dimension collective semble centrale dans votre approche de la transmission…

Absolument, elle est fondamentale. Le cinéma crée du lien, de l’échange, du débat. Dans nos ateliers pédagogiques, nous favorisons toujours une parole horizontale avant la parole « descendante » du formateur. Les jeunes parlent entre eux du film, partagent leurs impressions, leurs émotions. Cette discussion collective permet souvent des prises de conscience, des évolutions dans le regard. C’est particulièrement important dans un contexte où la consommation d’images devient de plus en plus individuelle, sur des écrans personnels. Les formes courtes qu’on consomme sur les réseaux sociaux n’ont rien à voir avec l’expérience d’une salle de cinéma, où l’on s’immerge complètement dans un film, dans son espace-temps particulier. Le festival offre un contrepoint à cette tendance : c’est un lieu de rencontre, de partage, où les générations se mélangent, où les cinéastes viennent à la rencontre de leur public. La présence cette année de Christophe Honoré illustre parfaitement cette dimension. C’est un cinéaste qui a commencé au Festival Premiers Plans et qui maintient ce lien précieux avec les spectateurs. Son cinéma, exigeant mais accessible, émotionnel mais réflexif, incarne bien cet équilibre que nous recherchons : faire du cinéma un art qui élève sans exclure.

FESTIVAL PREMIERS PLANS D’ANGERS – DU 18 AU 26 JANVIER 2025.
Le festival bénéficie du soutien du CNC.