Germaine Dulac, figure majeure de l’avant-garde cinématographique

Germaine Dulac, figure majeure de l’avant-garde cinématographique

17 octobre 2018
Germaine Dulac
Germaine Dulac

Journaliste, théoricienne du cinéma, réalisatrice, productrice, féministe… Germaine Dulac était une passionnée, une femme engagée, éprise de toute forme d’expression artistique. Elle est surtout l’une des premières en France à envisager le cinéma naissant comme un art à part entière, auquel elle se consacre dès 1916.


Germaine Dulac se passionne très tôt pour le journalisme et les mouvements féministes. Militant pour le droit de vote des femmes, elle collabore au quotidien féministe La Fronde, chacun de ses articles étant l’occasion d’évoquer le statut de la femme et de promouvoir sa libération. De 1909 à 1913, elle travaille comme journaliste à La Française où elle tient la chronique théâtrale, interviewe des femmes célèbres, tout en s’intéressant de plus en plus au cinéma naissant : « Le cinéma me plaisait infiniment. Je suivais avec un intérêt passionnée son évolution. Il me semblait que s’il m’était donné de pouvoir étudier et appliquer les moyens dont disposait cet art tout neuf, j’arriverais à extérioriser mon idéal artistique » déclare-t-elle en 1922.

Le pouvoir de l’image

La rencontre directe avec le cinéma se fait lors d’un séjour à Rome, où elle accompagne son amie l’actrice Stacia de Napierkowska sur le tournage d’un film. A son retour, elle n'a qu'un objectif : s'essayer à la mise en scène. Elle tourne son premier film, Les sœurs ennemies, en 1915, aussitôt remarqué pour sa sensibilité intimiste et pour la qualité de ses images. A la même époque, elle fonde la maison de production DH Films avec son époux, le romancier Albert Dulac, et son amie, la romancière Irène Hillel-Erlanger, qui devient sa scénariste. 

Enthousiasmée par le pouvoir de l’image, Germaine Dulac multiplie les tournages. La cinéaste cherche à définir sa propre esthétique, influencée tout d’abord par ses goûts artistiques. Venus Victrix, Âmes de fou - un serial en six épisodes(1917) -, La Cigarette (1918), s’appuient ainsi sur des éléments théâtraux. La réalisatrice aborde un cinéma réaliste où les images traduisent la vie intérieure des personnages. 

Un cinéma d’avant-garde

La Fête espagnole (1919) naît de sa rencontre avec Louis Delluc, critique cinématographique – et bientôt cinéaste -, qui en signe le scénario. Leur collaboration donne lieu à la première avant-garde du cinéma français, dont l’ambition est de faire du cinéma un art radicalement neuf, se détournant du théâtre et de la littérature. En réaction aux adaptations littéraires conventionnelles, Germaine Dulac et Louis Delluc (mais également Marcel L’Herbier, Jean Epstein, Abel Gance…) imaginent des scénarios spécialement écrits pour l'écran. 

A la recherche d'un « cinéma pur », Germaine Dulac utilise le flou, les surimpressions et différents procédés techniques qui imposent une esthétique qui prent désormais le pas sur le récit et le jeu des acteurs. Représentante de ce qu’on appelle parfois le cinéma « impressionniste », elle multiplie les déformations de l’image, les mouvements virtuoses de la caméra et les effets de montage pour légitimer le cinéma comme art à part entière. La Mort du soleil (1921), Le Diable dans la ville (1924) reflètent ce style esthétisant. « Le cinéma est un art nouveau, une forme d’expression inédite, absolument étrangère aux formes d’expressions anciennes. Sa véritable esthétique, nous la trouvons hors la littérature, hors la musique, hors l’intellectualisme, dans le mouvement et sa cause », écrit-elle.

Avec La Souriante Madame Beudet (1923) – que certains considèrent comme son chef d’œuvre -, Germaine Dulac se démarque par sa critique virulente de l’institution bourgeoise. Dans ce film féministe, complainte d’une vie de femme étranglée par les liens du mariage, la cinéaste recourt à toutes les ressources de la technique (surimpressions, ralenti, déformation – qui sera considéré comme de « l'impressionnisme cinématographique ») pour exprimer les subtilités psychologiques de son héroïne. 

Définit l’art cinématographique

Au cours des années vingt, Germaine Dulac développe sa théorie du cinéma sous la forme d’articles qui tentent de définir l’art cinématographique. Cette conception peut se résumer dans ce qu’elle nomme « une pure symphonie visuelle ». Elle s’emploie à démontrer l’importance de la recherche cinématographique et la nécessité d’un auditoire : « Il faudrait que le public nous tende la main et considère le cinéma non comme un passe-temps agréable, mais comme l’art qui apporte au domaine de la pensée une nouvelle formule d’expression. » dit-elle.

Si Germaine Dulac se rallie parfois au cinéma commercial pour continuer à tourner et à attirer les spectateurs, elle essaie néanmoins d’élargir l’horizon du public en animant des conférences-projections sur le cinéma à Paris et en région, en programmant les illustrant des films de l’école suédoise ou soviétique. S'intéressant à la dimension éducative du cinéma, elle participe avec Louis Delluc à l’apparition des premiers ciné-clubs, et donne des cours à l’école technique de la photographie et de la cinématographie, dite « Ecole de Vaugirard », ancêtre de l’école nationale supérieure Louis Lumière : « Distraire n’est pas l’unique but [du cinéma]», écrit-elle dans l’un de ses articles. « Il instruit, il éduque, il propage. Par la grande souplesse de son expression, il saisit aussi bien les secrets de la germination d’une plante que les moindres impressions d’un aviateur volant en plein ciel. Il peut, et c’est là son but supérieur, développer le rêve (côté artistique), préciser les faits exacts (côté scientifique et éducateur) et susciter, dans l’un ou l’autre cas, l’émotion ou la réflexion. » Elle s’engage aussi pleinement auprès de l’Institut International du Cinéma éducatif de Rome dès sa fondation en 1928.

Le premier film surréaliste

Germaine Dulac imagine un « cinéma intégral », envisageant une mise en scène en rupture avec la narration pour « donner plus d'espace aux sensations et aux rêves ». Elle réalise alors La Coquille et le Clergyman sur un scénario d’Antonin Artaud, représentant une réalité totalement fantasmée. Elle se sert de mouvements de caméra spectaculaires et d'angles insolites pour exprimer les frustrations et les fantaisies sexuelles d'un jeune prêtre, et aborde de nouvelles techniques telles que les reflets, les découpages, les collages, les mouvements de surface… Si la sortie du film en 1928 provoque un des plus beaux chahuts de l’époque - les partisans d’Antonin Artaud hurlent leur désapprobation devant le manque de compréhension « surréaliste » de la cinéaste, tandis que de nombreux spectateurs protestent contre l’incohérence des images -, La Coquille et le Clergyman est aujourd’hui considéré comme le premier film surréaliste de l'histoire du cinéma (un an avant Un chien andalou de Buñuel, et deux ans avant L’âge d’or de Salvador Dali). 

Germaine Dulac poursuit sa quête de « cinéma intégral » à travers des courts métrages expérimentaux où elle mêle musique et images : Disque 957 (1928) ou Étude cinégraphique sur une arabesque (1929), courtes pièces visuelles et musicales présentées comme des « symphonies visuelles » grâce à la synchronisation des images avec une bande son enregistrée sur disque. Elle adapte le poème de Baudelaire L’Invitation au voyage (1927), où elle met en scène de façon abstraite une succession de rêveries autour d'une possible liaison adultère, puis réalise Germination d'un haricot (1928), une « poésie scientifique »dans lequel elle emploie les effets de ralenti et d'accéléré. 

 

Le Cinéma au service de l’Histoire

Avec l’avènement du cinéma parlant qui modifie profondément les règles, empêchant d’avoir une production totalement indépendante, Germaine Dulac abandonne la fiction. Elle se tourne vers le documentaire et les films d’actualité, où l’image reste le centre de la cinématographie. En 1931, elle devient rédactrice adjointe des actualités Gaumont avant de créer l’année suivante l’hebdomadaire France-Actualités. Puis elle devient en 1935 la directrice adjointe des Actualités Gaumont. 

Entre temps, elle réalise Le Cinéma au service de l’Histoire, un montage d’actualités qui couvre la période 1905-1935 qu’elle imagine comme « un résumé de la vie politique, économique et sociale des hommes de notre génération […], un moment de l’Histoire contemporaine, une œuvre humaine ». 

Tout au long de sa vie, Germaine Dulac n’a de cesse de défendre le cinéma comme art à part entière. Convaincue de la portée sociale du cinéma, elle soutient même l'idée de la création d'une cinémathèque : « Je crois qu’une Bibliothèque du film s’impose, tant pour la documentation historique de l’avenir, que pour garder intacts la pensée et l’effort des premiers cinéastes. Le cinéma est un art qui naît évidemment qui n’a aucun contact avec les autres arts, et à qui l’on doit de garder à l’état documentaire toutes les étapes précédant l’épanouissement total. [...] Les musiciens ont leur bibliothèque. Les cinémas doivent avoir la leur. » 

Tombée dans l’oubli après sa mort prématurée en 1942, Germaine Dulac a marqué l’histoire du cinéma par ses films modernes, inventifs et d’avant-garde. Il faut attendre les mouvements féministes des années 1970, la résurgence du cinéma expérimental et les recherches menées sur la période du muet à l'approche de la commémoration du centenaire du cinéma (1995) pour rendre justice à son œuvre.

Cinéaste visionnaire qui a toujours cherché à repousser les limites du récit et de l’esthétique, Germaine Dulac est l’une des premières femmes cinéastes à envisager le cinéma comme un art visuel. Elle a ainsi livré une première définition du septième art : « Entre le cinéma-industrie et le cinéma-avant-garde se place le cinéma sans qualificatif. Le seul qui vaille puisqu’il représente la plénitude ».