Depuis que les salles de cinéma ont fermé leurs portes en 2009 suite à l'explosion du piratage – le violent séisme subi en 2010 n'a pas arrangé les choses -, le cinéma haïtien se bat pour vivre. Ce n'est pas nouveau pour lui : la lutte fait presque partie de son ADN. La situation politique et économique instable du pays et l'insuffisance des infrastructures n'ont pas aidé à faire du cinéma haïtien une vitrine pour le reste du monde. Mais il existe bel et bien. La production cinématographique haïtienne démarre tardivement. Les Américains, qui occupent le pays de 1915 à 1934, et les Français sont les premiers à tourner sur l'île. Des traces de ces images documentaires sont préservées à la Bibliothèque du Congrès de Washington et dans les archives de Pathé-Ciné. Les rares films produits sur place sont étrangers. Ce qui n'empêche pas quelques Haïtiens de s'essayer au cinéma, comme le fait le pionnier de la radio Ricardo Widmaïer qui coproduit Moi, je suis belle.
Dans les années 1960, la production cinématographique haïtienne est toujours aussi rare. Dans les salles obscures sont projetées des œuvres réalisées par des cinéastes italiens et français. Un fort attachement lie d'ailleurs l'hexagone et l'île, colonie française de 1626 à 1804. Les œuvres européennes sont peu à peu remplacées par des films hollywoodiens sélectionnés par le pouvoir afin d'éviter « les idées subversives ». Il faut attendre 1974 pour voir les premiers longs métrages haïtiens dont Si m pa rele d'Humberto Solas, produit par l'Institut Cubain de l'Art et de l'Industrie cinématographique. Ou encore Haïti, le chemin de la liberté, un documentaire réalisé par Arnold Antonin qui raconte l'histoire du pays depuis le débarquement de Christophe Colomb jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Duvalier. Le film, qui ne peut être projeté que clandestinement à l'époque, s'adresse essentiellement aux compatriotes haïtiens expatriés.
Dès ce premier documentaire, le cinéma haïtien, encore clandestin, s'affirme comme foncièrement militant. Il faut dire que les quelques œuvres réalisées le sont par la diaspora haïtienne qui a fui la dictature. Le régime autoritaire, instauré par François et Jean-Claude Duvalier, n'est en effet pas propice à l'émergence d'un cinéma national. Seuls deux films sont officiellement produits pendant les vingt-huit années de leur dictature : Olivia (1977) de Bob Lemoine ainsi que M ap palé nèt (1976) de Raphaël Stines (qui a travaillé dans le monde documentaire aux Etats-Unis) qui adapte là Bel indifférent de Jean Cocteau.
Raoul Peck, une reconnaissance mondiale
Une nouvelle vague de réalisateurs haïtiens émerge à partir de la fin des années 1980, n'hésitant pas à aborder des sujets politiques et sociaux. L'apparition de la vidéo aide également à changer la donne. «En dépit des considérations faites sur la qualité des films réalisés sur pellicule et ceux sur vidéo, il est évident que cette dernière a permis une augmentation de la production cinématographique en Haïti. De deux films par année, on est passé, aujourd'hui, à une dizaine de film par année », a souligné en 2006, lors d'une rencontre à Haïti sur le cinéma local, le réalisateur et producteur Richard Sénécal. Michèle Lemoine, née en Haïti mais élevée au Québec, aborde le problème des émigrés haïtiens expulsés du Canada et des Etats-Unis dans le documentaire Deported, coréalisé en 2012 avec Chantal Regnault. L'œuvre de Mario Delatour, né au Venezuela mais élevé en Haïti, offre un autre exemple du cinéma militant haïtien. Ses documentaires abordent des sujets sensibles tels que l'immigration arabe (Un certain bord de mer, 2005) ou la violence (Haïti aujourd'hui : Violence ou la Paix ?, 2006). Son court-métrage 35 longues secondes documente les dégâts provoqués par le tremblement de terre du 12 janvier 2010.
Mais le plus célèbre des cinéastes haïtiens est incontestablement Raoul Peck, l'un des rares à avoir su percer à l'étranger. L'Homme sur les quais (1992) retrace l'enfance traumatisante d'une enfant sous le régime tyrannique de François Duvalier. Son œuvre, à la fois documentaire et fictionnelle (Haitian Corner, 1989 ; Desounen, 1994), a permis au monde de découvrir la situation d'Haïti. Mais plus encore, Raoul Peck a su imposer sa vision politique et sociale dans le cinéma contemporain. Attaché à son pays où il a été Ministre de la culture entre 1995 et 1997, le cinéaste a des liens très forts avec la France où il a étudié. Membre de la Société des Auteurs/Producteurs (ARP) de France et Chevalier de l'ordre des Arts et des lettres, il est également Président de la Fémis depuis 2010.
L'hexagone n'est pas le seul pays à reconnaître son talent. En 2017, il remporte le BAFTA award du meilleur documentaire et se retrouve nommé aux Oscars pour I Am Not Your Negro. Un film dans lequel il met à l'honneur les propos de James Baldwin, un écrivain noir, sur l'émancipation des Afro-Américains et l'obsession des Etats-Unis pour la couleur de peau. « Quand on prend les critères de logement, d'éducation, de santé, il n'y a pas eu de changements fondamentaux. Ce qui est dur, ce n'est pas le racisme violent qu'on voit à la télévision. C'est que ça ne s'arrête jamais. Même dans un milieu privilégié, il y a une réalité de la vie de tous les jours à laquelle vous ne pouvez échapper », a d'ailleurs confié ce grand cinéaste de la négritude à France Inter en avril 2017
L'hommage du Festival du Film Francophone à Haïti
Les cinéastes haïtiens seront à l'honneur lors du FFA qui se tient du 21 au 26 août 2018. « En mettant à l'honneur Haïti, joyau culturel de la francophonie, le FFA promet de découvrir un cinéma aux couleurs tropicales », écrit ainsi le festival. Les spectateurs pourront découvrir, dans cet hommage, Haïtian Corner et L'Homme sur les quais de Raoul Peck, Royal Bonbon de Charles Najman, Les Amours d'un Zombi et Chronique d'une catastrophe annoncée d'Arnold Antonin ainsi que Ayti mon amour de Guetty Felin et Port-au-Prince de François Marthouret.