Quelle est la première étincelle qui a donné naissance à La Passagère ?
Comme toujours, tout part d’une envie de personnage. En l’occurrence celui de Chiara, campée par Cécile de France. Dans un de mes courts métrages, j’avais déjà travaillé sur la question de la différence d’âge en amour. La plupart du temps, au cinéma, c’est l’homme qui est plus âgé que la femme. Ici, je voulais raconter l’inverse, avec cette envie de filmer des scènes d’amour et aussi de participer à la représentation de la jouissance féminine au cinéma. Et quoi de mieux pour cela que cette femme pêcheur sur laquelle tombe cette passion amoureuse et qui décide de saisir l’aventure au vol. Un tel personnage allait me permettre de sortir du schéma classique de la bourgeoise qui s’ennuie et plus largement de cette volonté de toujours chercher à tout prix des excuses à la femme adultère : un désœuvrement, un mari qui la délaisse… Je voulais que La Passagère ne se situe jamais sur le terrain moral mais uniquement sur celui de la jouissance. Chiara n’est pas dans la revendication mais représente un esprit libre.
Cécile de France arrive-t-elle très tôt dans votre esprit pour incarner Chiara ?
J’ai pensé à elle dès le scénario, que j’ai coécrit avec Rémi Brachet. On le lui a envoyé aussitôt terminé. Je voulais développer comme sous-couche du récit la thématique de l’intégration, de l’étrangère. Le fait qu’elle soit belge était donc idéal pour moi. Mais d’abord et avant tout, Cécile de France possède naturellement ce charme lumineux évident qui caractérise Chiara. Et, par son jeu physique, je l’imaginais tout de suite crédible sur un bateau de pêche, métier que son personnage exerce depuis vingt ans. Elle a été une évidence pour moi.
Vous êtes née à Cholet, diplômée de La Fémis, mais Noirmoutier tient une place essentielle dans votre cinéma. Après y avoir tourné vos trois premiers courts (Comme une grande, L’Âge des sirènes et Côté cœur), vous y situez aussi l’action de La Passagère…
Même si je n’y suis pas née, je connais en effet parfaitement Noirmoutier pour y avoir passé une grande partie de mon adolescence. J’ancre naturellement mes histoires dans des lieux où tout m’est familier. Mais il a aussi été très clair dès le départ que l’île de La Passagère serait une île de fiction. Je souhaitais en effet un endroit plus petit et plus isolé que Noirmoutier et non relié par un pont comme elle. C’est la raison pour laquelle on a tourné à l’île d’Yeu toutes les scènes de ferry.
Que facilite le fait de tourner dans un endroit qu’on connaît aussi bien durant la phase d’écriture ?
Cela donne un aspect plus concret aux scènes que j’imagine, de la même manière que j’écris sur mesure des rôles pour certains locaux non professionnels comme Jean-Pierre Couton, pêcheur à la retraite que j’avais déjà dirigé dans mon précédent court. Je n’aime pas travailler dans l’abstrait ou dans le fantasme. Dans chacun de mes films, le lieu nourrit les scènes.
Travaillez-vous de manière particulière avec ces non professionnels ?
Oui : je ne leur donne pas de texte à apprendre. Je leur demande de lire le scénario, évidemment. Ils connaissent donc les scènes mais ils ont pour consigne d’oublier leurs dialogues. Et du coup, l’articulation entre professionnels – qui, eux, savent leur texte – et non professionnels se révèle assez réjouissante. Ça crée de l’inattendu, ça emporte les scènes ailleurs. Et puis, plus largement, je ne travaille pas de la même manière avec des comédiens qui ont de la technique et des comédiens qui n’en ont pas. Avec ces derniers, je répète, par exemple, en amont du tournage sur les scènes qu’ils ont à jouer mais en faisant fi des dialogues.
Votre connaissance des moindres recoins de Noirmoutier simplifie aussi forcément votre collaboration avec le chef opérateur, car il y a moins de repérages à faire…
En effet, d’autant qu’Augustin Barbaroux a réalisé tous mes courts métrages ! Il commence lui aussi à connaître cette île sur le bout des doigts ! Ça fait gagner un temps précieux, indispensable dans ce genre de projet à petit budget. Je pense par exemple à ma connaissance de la manière dont la lumière évolue au fil de la journée sur tel ou tel décor. Ça permet de savoir de quelle latitude on dispose en termes de temps. De savoir qu’on peut multiplier les prises à certains moments ou au contraire prévoir d’emblée quand on doit les limiter.
Pour construire l’atmosphère visuelle de La Passagère, le travail passe aussi par des références de films ?
Oui, on regarde pas mal de films ensemble. Pour ma part, j’avais envie que La Passagère soit assez climatique, que le récit se déploie sur plusieurs saisons, avec une colorimétrie différente pour chacune. Un film a été central dans cette réflexion : La Vie invisible d’Eurídice Gusmão de Karim Aïnouz. Je l’ai montré à Augustin Barbaroux ainsi qu’à ma cheffe décoratrice Anne-Sophie Delseries pour s’inspirer du travail de direction artistique qui joue sur des tâches de couleurs, moteurs de choses très émotionnelles.
La Passagère a été compliqué à financer ?
Oui. On a mis du temps…
Quels sont les arguments qu’on vous opposait ?
On nous a souvent dit que le scénario manquait de singularité car le cinéma avait largement traité des histoires d’amour adultères. Ce à quoi je m’opposais à chaque fois en rappelant que les représentations que mon film proposait n’étaient pas si courantes. Et que La Passagère ambitionnait d’aller bien au-delà de son pitch. J’ai toujours écrit des films qui s’appuient sur des choses assez ténues. Sur ce que j’appelle l’aventure ordinaire. Mais je veux bien croire qu’à l’écrit, quand ce n’est pas encore incarné, ce ne soit pas évident à voir.
Le tournage a eu lieu pendant le confinement. Quel a été son impact ?
Ça nous a surpris pour la première scène qu’on a eue à tourner dans un lieu public quand le décor s’est vidé à 18 h pour cause de couvre-feu. (Rires.) Mais, honnêtement, le confinement n’a pas vraiment affecté le travail parce qu’on fonctionne spontanément comme une petite bulle sur cette île. Je dirais même que ça nous a plutôt servi, avec notre petit budget. Notamment pour privatiser un bar puisque tous étaient fermés !
L’un des grands défis de ce tournage fut celui des scènes d’amour, au cœur de votre projet comme vous nous l’expliquiez plus tôt. Comment les avez-vous conçues et travaillées en amont avec Cécile de France et Félix Lefebvre ?
Je les ai envisagées comme des scènes de dialogues. Je trouve que souvent, au cinéma, les scènes de sexe sont uniquement illustratives. Mon ambition était que chacune d’entre elles fasse avancer l’histoire. Pour cela, j’ai essayé d’imaginer la manière dont Chiara aimait faire l’amour puis la façon dont ce couple allait apprendre à faire l’amour ensemble, au fil des scènes, en partant d’une première relation forcément maladroite. Dans le scénario, tout était décrit de manière assez précise. À partir de là, on en a discuté de manière franche avec Cécile et Félix. Chacun a posé ses limites : qui a le droit de poser ses mains où ? Quelles parties du corps ai-je le droit de filmer ? Pour ma part, j’ai eu envie de montrer du sexe joyeux, ce que là encore on ne voit que rarement au cinéma. Et ça a rendu le tournage de ces moments assez guilleret.
Vous avez déjà montré La Passagère à Noirmoutier ?
Oui, j’y ai même organisé la première projection publique. Ça nous a fait un bien fou de se retrouver dans une salle pleine. Il est vrai que pour ce film, l’île a été beaucoup mise à contribution. Les prises de vues ont animé Noirmoutier pendant cette période où tout le monde était confiné. Le tournage de la scène du mariage, par exemple, a été très joyeux car tout le monde avait envie de faire la fête et que nous, on leur en donnait le droit, après en avoir été privé pendant tant de mois !
LA PASSAGÈRE
Scénario Héloïse Pelloquet et Rémi Brachet.
Photographie : Augustin Barbarou.
Montage : Clémence Diard.
Musique : Maxence Dussère. Production : Why Not Productions, Face Nord Films.
Distribution : Bac Films.
Ventes internationales : Wild Bunch International.
Sortie en salles : 28 décembre 2022
Soutien du CNC : Aide au développement d’œuvres cinématographiques de longue durée