Hommage à Jean-Charles Tacchella, Président d’honneur de la Cinémathèque

Hommage à Jean-Charles Tacchella, Président d’honneur de la Cinémathèque

02 septembre 2024
Cinéma
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Jean-Charles Tacchella
Jean-Charles Tacchella Unifrance, coll. Cinémathèque française

Cinéphile, journaliste, scénariste, réalisateur : Jean-Charles Tacchella aura œuvré toute sa vie à la démocratisation d’un cinéma d’auteur populaire jusqu’à accéder à la présidence de la Cinémathèque française en 2000. Retour sur la carrière d’un homme passionné qui s’est éteint le jeudi 29 août à l’âge de 98 ans.


Il se surprenait à « filmer en rêve » quelques-uns de ses scénarios qu’il n’a jamais eu l’occasion d’adapter.  C’est dans son sommeil que Jean-Charles Tacchella est décédé ce jeudi 29 août, se rêvant une ultime fois metteur en scène. Né à Cherbourg en 1925, Jean-Charles Tacchella grandit à Marseille et se découvre une passion pour le septième art. Gamin solitaire, il se réfugie à onze ans dans les salles obscures. Aucun film n’échappe à son petit carnet : il en voit trois ou quatre d’affilée, prend des notes et chronomètre les mouvements de caméra. Du haut de ses 19 ans, la Libération proclamée, il part en 1945 pour la capitale avec l’ambition de devenir assistant de Jacques Becker…

À la conquête du cinéma

Une fois arrivé à Paris, c’est un tout autre métier qui s’offre à lui : journaliste. Jean-Charles Tacchella rejoint L’Écran français, revue de cinéma influente de l'après-guerre, et écrit son premier article sur Jean Renoir à l’occasion de la ressortie de La Règle du jeu. Il rédige ensuite des entretiens, chronique le Festival de Cannes en 1947, écrit des portraits, s’adonne à la critique… Ce dernier exercice le met mal à l’aise, lui qui aspire à devenir réalisateur, et l’amène à refuser un poste aux Cahiers du cinéma. Il préfère fonder le ciné-club « Objectif 49 » en 1948, accompagné d’André Bazin, Alexandre Astruc, Claude Mauriac, et Pierre Kast. Présidé par Jean Cocteau, ce ciné-club qui milite pour un cinéma d’avant-garde organise à Biarritz, en 1949, le Festival du Film Maudit en programmant « des films hérétiques » réalisés par Welles, Renoir, Bazin, Rohmer ou Truffaut. C’est un triomphe : « Le public mondain a accouru, même le duc de Windsor et sa femme étaient là. », réagit la critique de l’époque.

Une plume hors pair 

En août 1939, Jean-Charles Tacchella part en vacances dans la campagne ardéchoise. Il n’a pas accès aux salles et s’amuse à écrire son tout premier scénario pour combler l’ennui. Mais il faudra attendre presque dix ans pour que sa rencontre avec Erich von Stroheim lance sa carrière de scénariste. Pendant trois ans, alors que le cinéaste austro-hongrois lui fait relire ses scripts, Tacchella en profite pour écrire près d’une cinquantaine de scénarios qu’il propose ensuite à qui veut bien les lire. C’est ainsi qu’il se fait remarquer et collabore dès 1948 à l’écriture de nombreux films, sans pour autant être crédité. Homme de l’ombre, il réécrit pour Léonide Moguy Demain il sera trop tard (1950) puis Les Enfants de l'amour (1953), premier film où son nom apparaît au générique.

Enfin sorti de l’anonymat, il est abordé par Yves Ciampi qui voit en lui un scénariste de talent. De cette collaboration naissent Les Héros sont fatigués (1954)et Typhon sur Nagasaki (1957). Dans l’entourage de Ciampi, Tacchella rencontre Jean Dewever pour qui il va écrire deux scénarios, Les Honneurs de la guerre (1960) et Les Jambes en l'air (1970). Il fait ensuite la connaissance de Maurice Ronet qui devient son meilleur ami et avec qui il travaille sur Le Voleur du Tibidabo (1964). Il est également l’auteur du film de Christian-Jaque La loi, c'est la loi en 1958, puis celui de Michel Boisrond Voulez-vous danser avec moi ? en 1959 avec Gérard Oury. La complicité avec ce dernier est immédiate. Jean-Charles Tacchella confiera d’ailleurs : « Gérard et moi, ça a été une solide amitié, on a écrit neuf scénarios ensemble », dont la première version en 1958 de La Grande Vadrouille intitulé à l’époque Lili et Lulu, et le film Le Crime ne paie pas (1961).

Tacchella metteur en scène

Dans les années soixante, en pleine Nouvelle Vague, plusieurs projets de Jean-Charles Tacchella tombent à l’eau. Alors, plutôt que de s’essayer au long métrage, il réalise un court, Les Derniers Hivers, et se découvre un don pour la direction d’acteurs. Le succès est tel qu’il remporte le prix Jean Vigo en 1971. Les portes de la mise en scène s’ouvrent à lui et son premier long métrage Voyage en Grande Tartarie voit le jour deux ans plus tard. Mais son film le plus connu reste indéniablement le second, Cousin, Cousine. Cette histoire portée par Marie-Christine Barrault et Victor Lanoux raconte le trouble entre une jeune femme et son cousin. Cette valse des sentiments, rythmée par les fêtes familiales, impose définitivement la griffe du cinéaste : ironie et humour s’embrasent dans un cinéma qui ne craint pas le grand écart entre cinéma populaire et cinéma d’auteur. Honoré du prix Louis-Delluc, trois fois nommé aux César (Marie-France Pisier récompensée du César du meilleur second rôle), le film charmera autant la France que les États-Unis : Cousin, Cousine y décroche trois nominations aux Oscars, dont celui du meilleur scénario original et y reste pendant presque trente ans le plus grand succès français.

Tacchella réalise par la suite neuf longs métrages : Le Pays bleu (1977), Il y a longtemps que je t'aime (1979), Croque la vie (1981), Escalier C (1985), Travelling avant (1987), Dames galantes (1990), L'Homme de ma vie (1992), Tous les jours dimanche (1994), et Les Gens qui s'aiment (2000). Tous sont le fruit d’un même désir, celui de faire des films « basés sur l’idée des petites choses de l’existence qu’il ne faut pas rater, ces petits moments de bonheur qui sont rares. », explique-t-il sur le plateau de Soir 3 en 1985.

Les années Cinémathèque

Mais Tacchella fut aussi un homme qui œuvra pour le cinéma de manière plus institutionnelle. À L’Écran français, Tacchella a été pendant un temps chargé de récupérer des photos dans les archives de la Cinémathèque française. En 1981, il est abordé par Janine Bazin qui lui propose d’entrer au conseil d’administration alors privé de cinéaste. Fervent défenseur de l’intérêt collectif du septième art, Jean-Charles Tacchella prend la présidence de la Cinémathèque en 2000. Il y reste jusqu’en 2003, avant d’être nommé Président d’honneur, statut qu’il a conservé jusqu’à aujourd’hui.