Tout est pardonné (2007)
Après deux courts, Mia Hansen-Løve passe au long métrage et raconte, avec cette grâce sensible qui deviendra sa signature, l’histoire d’une réconciliation entre une adolescente (Constance Rousseau) et son père (Paul Blain) qu’elle n’a plus vu depuis sa séparation d’avec sa mère, onze ans plus tôt. Tout est pardonné reçoit le prix Louis-Delluc du premier film.
« La première chose qui me vient à l’esprit quand je repense à ce film, ce sont les derniers jours du tournage, dans le Limousin. Ces scènes de la toute fin du récit où le personnage campé par Constance Rousseau part à la campagne, après avoir retrouvé son père. Elles se situent près d’une rivière. On y voit des enfants jouer dans l’eau puis en sortir et se chamailler, sans aucun adulte dans le champ. Les seules scènes d’improvisation du film. Ce moment représente pour moi la découverte de tourner avec des enfants. Une joie qui ne ressemble à aucune autre. Je rêve d’ailleurs de réaliser un film qui ne réunisse que des enfants dans cette grammaire-là. Tant que ce n’est pas le cas, dès qu’il y a une scène avec eux, je la saisis comme une chance inouïe et j’essaie de profiter au maximum de l’ouverture qu’apporte le fait de filmer des enfants en les laissant vivre, être eux-mêmes. À mes yeux, ce plaisir touche à la raison même du cinéma. Faire des films a toujours été pour moi un moyen de revenir à l’enfance, à la joie des grandes vacances ! Ça peut paraître immature, mais je revendique cette immaturité car on touche pile à l’innocence du cinéma. »
Le Père de mes enfants (2009)
Son deuxième long métrage est un hommage au producteur Humbert Balsan (Quartet, Y aura-t-il de la neige à Noël ?), dont elle était proche et qui a mis fin à ses jours quatre ans plus tôt. Louis-Do de Lencquesaing l’incarne, dans ce scénario inspiré de sa vie et qui vaut à la cinéaste sa première sélection cannoise, dans la section Un Certain Regard.
« Avec ce film, je découvre la vitesse, à travers ce personnage de producteur embarqué dans une course désespérée contre la montre et contre le désespoir qu’il ne gagnera pas. Je me pose évidemment la question du rythme dans tous mes films. Mais là, il s’agit de vitesse au sens littéral du terme. Un personnage qui va à toute vitesse, qui fait toujours dix choses en même temps. Ce sont des moments extrêmement ludiques et stimulants où j’apprends énormément. Mais Le Père de mes enfants reste aussi à ce jour le film où j’ai ressenti le plus violemment la façon dont on peut payer physiquement la fatigue générée par un tournage. À l’issue de l’ultime plan tourné au bord de la Loire, je suis tombée dans les pommes… pour me réveiller à Paris. Encore aujourd’hui, le black-out reste total : je n’ai aucun souvenir de ce qui a pu se produire entre les deux. »
Un amour de jeunesse (2011)
Tout est dans le titre. Mia Hansen-Løve raconte le coup de foudre passionnel, le temps d’un été, entre un jeune homme de 19 ans et une jeune fille de 15 ans qui, lorsqu’il cesse de lui écrire quelques mois plus tard, fait une tentative de suicide avant que, quatre ans plus tard, alors qu’elle est en couple, elle recroise son chemin par hasard. Le film fait sa première mondiale en compétition au festival de Locarno.
« Ce film reste indissociable pour moi des sources de la Loire où je l’ai tourné. Un lieu irrémédiablement attaché à mon enfance. C’est la seule fois où j’ai filmé cette maison qui n’a été vendue que très récemment à la suite de la mort de ma grand-mère, une ferme située en Haute-Loire où j’ai passé toutes mes vacances. Je crois que mon imaginaire et le rapport entre ville et campagne très présent dans mes films ont été inconsciemment déterminés et structurés par ces années-là. Par ces mois d’été passés dans cet endroit très isolé, très préservé. En filmant ces lieux, j’ai été envahie par une émotion particulière qui m’étreint à chaque fois que je retombe sur ce film et encore plus aujourd’hui que cette ferme a été vendue. »
Eden (2014)
En s’inspirant de son frère Sven (qui cosigne le scénario), la réalisatrice raconte la naissance de la musique électronique française au début des années 90 – la fameuse French Touch – et les lendemains qui ont déchanté pour certains. Elle réunit pour la première fois un casting international, où Greta Gerwig côtoie Vincent Lacoste, Golshifteh Farahani, Laura Smet, Brady Corbet ou encore Zita Hanrot. Un changement d’échelle pour la cinéaste.
« À ce jour, c’est le film qui a été le plus dur à monter financièrement. J’ai changé plusieurs fois de producteur : Charles Gillibert a sauvé Eden in extremis en se montrant assez héroïque. Je me souviendrais toujours du premier jour de tournage où on s’était lancés en attendant une réponse décisive pour la suite : une aide de la région Île-de-France. Il faisait très froid, on était en plein brouillard, dans le nord de Paris, entre la nuit et l’aube, et j’avais en moi cette angoisse de me demander si le film n’allait finalement pas s’arrêter là, à peine débuté. Inutile de vous dire ma joie quand la nouvelle de la réponse positive m’a été communiquée. Le film continuait à être sous-financé mais son existence n’était plus remise en cause. »
L’Avenir (2016)
C’est de sa propre mère que la cinéaste s’inspire cette fois pour créer cette prof de philo – incarnée par Isabelle Huppert – forcée à se réinventer quand son mari lui annonce qu’il est tombé amoureux d’une autre femme. Le film remporte l’Ours d’or au festival de Berlin.
« Je me rends compte à quel point les tournages passés au cœur de la nature restent pour moi les souvenirs les plus inoubliables. Je pense tout particulièrement ici à la scène d’improvisation – et elles sont rares dans mes films ! – entre Isabelle Huppert et un âne, au cœur du Vercors. En la tournant, j’ai vu Isabelle redevenir une petite fille, un peu comme moi dirigeant des enfants dans Tout est pardonné. Il régnait sur le plateau une légèreté joyeuse alors qu’Isabelle improvisait en parlant de l’âne et à l’âne. »
Maya (2018)
Mia Hansen-Løve met le cap sur l’Inde, pour raconter la lente reconstruction d’un journaliste enlevé et détenu en Syrie, après sa libération, dans le pays où il a grandi. Elle offre son premier rôle sur grand écran à Roman Kolinka.
« Il y a eu dans ce tournage une dimension douloureuse liée à l’éloignement de ma fille. J’ai passé énormément de temps en Inde et j’ai fini par vivre un peu mal cette distance. En même temps, la fabrication de Maya a provoqué en moi un incroyable sentiment d’émerveillement. Je pense aux scènes tournées en Super 8 dans un train avec une toute petite équipe réunissant ma directrice de la photo Hélène Louvart, Roman Kolinka et moi. Je m’occupais du son, mais de manière vraiment très artisanale. (Rires.) Notre producteur indien était aussi du voyage pour vérifier qu’on respectait les autorisations délivrées. Ce train nous a conduits à Bombay, Calcutta, Jaipur… Autant de moments exaltants à vivre dans une ambiance proche du documentaire. On improvisait le découpage sur le moment, après avoir découvert le décor une heure avant. C’était vraiment un sentiment de vertige. »
Bergman Island (2021)
L’idée de raconter l’histoire d’un couple de cinéastes (inspirée pour partie de celui qu’elle a formé avec Olivier Assayas) qui s’installe sur l’île suédoise de Bergman, Fårö, remonte chez Mia Hansen-Løve au début des années 2010 et donnera lieu à une aventure à forts rebondissements. Deux mois avant le début du tournage, deux des comédiens prévus quittent le projet : Greta Gerwig pour aller réaliser Les Quatre Filles du Docteur March et John Turturro pour des raisons familiales. Mais la cinéaste rebondit, s’adapte au calendrier bien chargé de ceux qui prennent leur place – Vicky Krieps et Tim Roth – et décide de tourner en deux temps, à l’été 2019 et à l’été 2020. Son obstination paye : elle décroche sa première sélection dans la compétition cannoise.
« Cette aventure a connu de multiples rebondissements mais elle reste l’un de mes tournages les plus heureux. J’ai tellement aimé cette île et raconté cette histoire qui ne ressemble à rien de ce que j’avais fait précédemment. Il y avait quelque chose de magique. Un de mes souvenirs les plus forts reste cette journée où nous tournions la balade à vélo à travers l’île des personnages campés par Mia Wasikowska et Anders Danielsen Lie (les deux héros du film dans le film, écrit par le personnage de Vicky Krieps). Ce jour-là, il faisait moche. Or il était inconcevable que cette scène ne soit pas baignée par le soleil. J’ai donc décidé d’attendre qu’il sorte. Faire patienter toute une équipe pour un rayon de soleil est un exercice de sang-froid et de tension assez dingue. On a le sentiment que tout le monde va finir par se jeter sur vous. Mais j’avais le soutien de Mia qui adorait ce moment totalement inédit pour elle. J’ai conscience de la liberté inouïe qu’on m’offre pour me permettre d’imposer cette attente. On a été patients et récompensés. La lumière est magnifique à l’écran. »
Un beau matin (2022)
Découvert à la Quinzaine des Réalisateurs, son huitième long métrage met en scène une jeune femme (Léa Seydoux), mère séparée d’une fille de 8 ans, prise entre deux feux : le retour inattendu dans sa vie d’un ami perdu de vue (Melvil Poupaud) avec qui elle entame une histoire d’amour et son père (Pascal Greggory) qui s’enfonce dans une maladie dégénérative. Un personnage inspiré du propre père de la réalisatrice.
« Mon souvenir le plus fort reste le jour du tournage de la scène où le personnage du père campé par Pascal Greggory écoute Schubert dans l’ehpad de Courbevoie. Je l’ai tournée dans la chambre où se trouvait mon père quelques mois plus tôt. Je me demandais en permanence s’il n’y avait pas une forme de folie dans le fait de revenir au même endroit et de rejouer une scène que j’avais vécue, exactement comme je l’avais vécue, mais avec des acteurs. J’ai vraiment touché ce jour-là la dimension cathartique du cinéma, où l’on se sert du passé pour construire l’avenir. J’ai ressenti physiquement et affectivement cette dimension réparatrice. C’est comme si, alors que mon père n’est plus, je devais effectuer ce pèlerinage et rejouer cette scène si douloureuse à vivre pour en guérir. »
Un beau matin
Réalisation et scénario : Mia Hansen-Løve
Photographie : Denis Lenoir
Montage : Marion Monnier
Production : Les Films Pelléas, Les Films du Dauphin
Distribution et ventes internationales : Les Films du Losange
En salles depuis le mercredi 5 octobre 2022
Soutien du CNC : Aide à la coproduction franco-allemande, Aide sélective à la distribution (aide au programme)