Jean-Jacques Schpoliansky, ou la passion contagieuse du cinéma

Jean-Jacques Schpoliansky, ou la passion contagieuse du cinéma

13 février 2024
Cinéma
Jean-Jacques Schpoliansky
Figure historique du Balzac, Jean-Jacques Schpoliansky est décédé à l’âge de 80 ans Edouard Brane

Son nom reste à jamais associé au Balzac, emblématique salle d’art et essai située à deux pas des Champs-Élysées. Jean-Jacques Schpoliansky a fait de ce cinéma, hérité de son père et de son grand-père, un lieu vibrant de vie et de culture. Hommage.


Figure inspirante et inspirée de l’exploitation parisienne, Jean-Jacques Schpoliansky est décédé à l’âge de 80 ans, le 9 février 2024. Pendant près d’un demi-siècle, il s’est attaché à défendre un cinéma d’auteur exigeant au sein du Balzac, mythique salle parisienne, où Romy Schneider, Alain Delon, Jean Marais, Brigitte Bardot, Jean-Luc Godard, Jacques Tati et tant d’autres, sont venus présenter leurs films en avant-première.

Né le 14 octobre 1943 à Nice, Jean-Jacques Schpoliansky étudie d’abord au lycée Albert-Sorel de Honfleur, avant de rejoindre les bancs de l’établissement Janson de Sailly à Paris. Il débute sa carrière dans le cinéma à l’âge de 22 ans en intégrant UGC (l’Union générale cinématographique) comme assistant de Marcel Richard, le directeur de l'exploitation et de la programmation entre 1965 et 1970. De 1967 à 1968, Jean-Jacques Schpoliansky anime plusieurs salles d'art et essai à travers la France et enseigne la programmation en milieu universitaire à Rouen, Lille et Grenoble. En 1969, il prend la direction de trois cinémas de Tours (Majestic, Palace, Cyrano).

Entre 1970 et 1973, il travaille avec le producteur Serge Silberman en tant que régisseur adjoint sur les films La Course du lièvre à travers les champs (1972) de René Clément et Le Charme discret de la bourgeoisie (1972) de Luis Buñuel. C’est en 1973, à la mort de son père Michel, qu’il reprend la direction du Balzac. Le cinéma a lui-même été ouvert en 1935 par le grand-père Schpoliansky, un Russe émigré en France en 1919. Au décès de celui-ci, son fils Michel Schpoliansky reprend donc l’affaire après plusieurs années de procédure judiciaire [les biens de la famille Schpoliansky ayant été spoliés pendant la guerre]. En son temps déjà, le père, Michel Schpoliansky, propose un cinéma d’auteur pointilleux et révèle des cinéastes comme Jacques Tati (Les Vacances de Monsieur Hulot) ou Yves Robert (La Guerre des boutons, film resté six mois à l’affiche).

Faire vivre des émotions

Quand Jean-Jacques Schpoliansky reprend les rênes de l’exploitation, Le Balzac ne possède qu’un seul écran. C’est aussi la huitième salle de cinéma du quartier des Champs-Élysées. Dès son arrivée, le nouveau directeur s’emploie à mettre en place une programmation haut de gamme dans un esprit de convivialité inédit pour une salle de cinéma. Son crédo : « Faire en sorte que sur les Champs-Élysées, une salle importante, défende le film d'auteur. Un véritable enjeu de société. C'était fondamental. Et sans être un cinéphile, je suis celui qui donnait envie aux gens d'aller au cinéma en faisant vivre des émotions », explique-t-il, en 2018, dans les colonnes du Parisien, au moment de tirer sa révérence et de confier la direction du cinéma à l’exploitante Priscilla Gessati, mettant ainsi fin à près d’un demi-siècle d’aventures « balzaciennes ». Jean-Jacques Schpoliansky a revendu ses parts à David Henochsberg, avec qui il était jusque-là associé. Celui qui s’est toujours défini comme « un incroyable timide » raconte alors au journal comment sa vocation est née : « J’ai commencé à faire des présentations de films en salle pour prévenir les spectateurs que Le Balzac risquait de fermer s'il n'y avait pas plus de public. J'ai animé mes salles en essayant d'apporter un plus dans l'accueil, les animations ».

Pendant quarante-quatre ans, il poursuit l’ambition de ses aînés : défendre avec ferveur un cinéma d’auteur audacieux, pointu, vivant. En 1975, il effectue d'importants travaux de rénovation et de modernisation, et adjoint à la salle principale de 400 places deux salles supplémentaires. Il devient alors l'animateur et le Président Directeur Général de ce complexe cinématographique de trois salles.

Entre 1981 et 1984, il participe à l'aventure des salles Olympic, ce qui contribue à renforcer le positionnement du Balzac sur le créneau de l'art et essai. C’est aussi durant ces trois années qu’il confie la direction de l’établissement à Frédéric Mitterrand.

Créer l’événement

En 1996, Jean-Jacques Schpoliansky lance Le Club des amis du Balzac, association qui compte plus de mille adhérents. « Depuis longtemps, en complément de nos séances traditionnelles, nous créons l’événement en jouant l’exceptionnel ou la contre-programmation », se plaisait-il à rappeler.

Exploitant passionnant et passionné de la rive droite parisienne, Jean-Jacques Schpoliansky se démarque au sein de la capitale en multipliant les initiatives atypiques. Il organise des avant-premières, des « matinées courts métrages », des soirées gastronomiques organisées en présence de chefs étoilés… Au programme, des films pour enfants, des ciné-rencontres, des ciné-concerts (notamment des films muets de Charlie Chaplin, Laurel et Hardy, Harold Lloyd ou encore Buster Keaton), des festivals... Très fréquemment, Jean-Jacques Schpoliansky introduit lui-même les séances, accueille les spectateurs et les invite à rejoindre, avant ou à l’issue des programmations, le café qu’il avait aménagé au sein de son établissement. Le cinéma acquiert une grande notoriété auprès des cinéphiles – qui en apprécient sa convivialité –, tout en devenant une salle d’exclusivité.

Au service du cinéma d’auteur

À partir du début des années 2000, Jean-Jacques Schpoliansky propose tous les samedis soir, en accord avec le Conservatoire national supérieur de musique, des concerts en première partie de séance, qui font la part belle à la diversité des genres musicaux (jazz, musique classique, musique moderne…).

Pour la Fête du cinéma, il programme une Nuit du cinéma muet accompagnée par un pianiste. Amoureux de la culture sous toutes ses formes, il aime créer des ponts entre le cinéma et d’autres terrains d'expression artistique tels que l’opéra, la peinture, la photographie.

Membre de plusieurs commissions du CNC, Jean-Jacques Schpoliansky a aussi exercé nombre de fonctions au service du cinéma d'auteur : administrateur du Festival cinématographique international de Paris et de la Quinzaine des réalisateurs entre 1976 et 1979, Président de l'Association des cinémas indépendants parisiens en 1992, ou encore Trésorier de l'Association des écrans Nord-Sud en faveur de la diffusion des cinémas d'Afrique.

Jean-Jacques Schpoliansky a été distingué de nombreuses fois au cours de sa carrière, notamment de la Médaille Beaumarchais de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) en 1999, et du Trophée du meilleur exploitant décerné par Le film français en 2002. Il était aussi chevalier de la Légion d’honneur et commandeur des Arts et des Lettres.

Personnalité incontournable du patrimoine cinématographique français, Jean-Jacques Schpoliansky avait le goût du partage et de l’exigence. Armé d’un enthousiasme et d’une pugnacité indéfectibles, il aura œuvré sa vie durant en faveur d’un cinéma d’art et essai de proximité.