Jean-Pierre Beauviala : un révolutionnaire de l'enregistrement du son et de l'image

Jean-Pierre Beauviala : un révolutionnaire de l'enregistrement du son et de l'image

06 mars 2020
Cinéma
Jean-Pierre Beauviala à la Cinémathèque française le 21 janvier 2008
Jean-Pierre Beauviala à la Cinémathèque française le 21 janvier 2008 DR - Cinémathèque française
Toute la mémoire du monde, qui se tient jusqu’au 8 mars à la Cinémathèque française, est le festival international du film restauré. Parmi les événements, un hommage particulier sera rendu à Jean-Pierre Beauviala. Retour sur le parcours de cet ingénieur français.

Né en 1937, Jean-Pierre Beauviala était professeur d’électronique à l’université de Grenoble. Passionné de cinéma, il géra pendant ses études le ciné-club de la faculté. Homme aux multiples facettes, ce touche-à-tout était un « ingénieur, architecte, électronicien, inventeur et poète », comme le décrit le critique Jean-Michel Frodon dans son hommage à Beauviala publié sur le site Slate. A la fin des années 60, Jean-Pierre Beauviala veut filmer la ville de Grenoble, alors en pleine transformation urbaine. Il invente à cette occasion un système permettant de relier une caméra et un magnétophone avec une précision parfaite. Le « time codage », ou marquage temporel, est né. Une fois son invention brevetée, Beauviala est embauché par la firme Eclair afin de travailler au développement des caméras de plus en plus légères, qui intègrent la prise de son.

Après le rachat d’Eclair, il fonde en 1971 sa propre société, Aäton, dédiée à la fabrication d’appareils innovants pour le cinéma. De son atelier sortent notamment la caméra Aäton 7A, surnommée « le chat sur l’épaule », ainsi que la fameuse caméra hyper réduite surnommée « Paluche », appelée à un grand avenir, et notamment utilisée par l’équipe de Claude Lanzmann pour pouvoir capter les témoignages d’anciens nazis en caméra cachée pour son documentaire-fleuve Shoah, tourné entre 1976 et 1981. Lorsque, en 1985, la société Arriflex contraint Aäton à déposer le bilan, Beauviala fait renaître sa compagnie sous le nom d’Aaton : encore en activité de nos jours, Aaton Digital produit des systèmes d’enregistrement de son, dont le plus connu est le Cantar. Beauviala, dont la filmographie effective reste très réduite (deux documentaires, un sur le Larzac en 1972 et l’autre sur une ville ouvrière belge en 1980) reste l’un des artisans les plus importants du passage au numérique. Des cinéastes comme Peter Greenaway, Raymond Depardon ou encore Louis Malle ont utilisé ses inventions.

Dans les années 2010, il est à l’avant-garde d’une autre révolution : « il invente un procédé qui permet à l’image numérique d’échapper à la malédiction de son extrême régularité : le velouté et l’infini nuancier que permet le 35 millimètres étaient dus au fait que les sels d’argent photosensibles sont disposés de manière irrégulière sur la pellicule, alors que les pixels sont une grille fixe et parfaitement régulière », explique sur Slate Jean-Michel Frodon. « Beauviala met au point un dispositif qui décale aléatoirement la position physique du capteur d’un demi-pixel à chaque image, déstabilisant l’enregistrement. » Son prototype de caméra destiné à cet usage, la Pénélope Delta, ne pourra pas être commercialisé, la société canadienne étant chargée de fournir les composants électroniques ne pouvant pas honorer ses commandes. Le projet sera alors abandonné.

Au moment de sa disparition, en avril 2019, Beauvalia travaillait sur une caméra surnommée « Libellule », conçue pour coller au plus près de l’œil humain… Pour un article hommage à l’inventeur, le journal Le Monde avait interrogé l’une de ses disciples, Caroline Champetier, qui a utilisé une Aaton Pénélope pour filmer Des hommes et des dieux : « On pourrait croire que beaucoup de plans du film sont fixes. Mais ce n’est pas le cas : 40 % ont été tournés à l’épaule avec la Pénélope », expliquait alors la directrice de la photographie. « Je l’utilisais dans les minuscules cellules de moines, ou plutôt je la portais contre moi. On la pose sur l’épaule, elle tient quasiment toute seule. Et on est immergé dans le viseur ».

L'HOMMAGE DU FESTIVAL à jean-pierre beauviala

Deux films sont programmés ce samedi 7 mars en hommage à Jean-Pierre Beauviala. Deux longs métrages « différents, uniques mais qui offrent chacun la démonstration éclatante que le choix porté sur une caméra est un acte fondateur qui imprime le film de manière indélébile », souligne la Cinémathèque française. A 18h35, le public de Toute la mémoire du monde pourra revoir Holy Motors de Leos Carax. Suivra ensuite à 21h Démineurs de Kathryn Bigelow.