Permanent Vacation (1980)
Le « vrai-faux » premier long métrage de Jim Jarmusch – en fait, un film de fin d’études, qui ne sera largement découvert que quelques années plus tard, quand le cinéaste se sera fait un nom grâce à Stranger Than Paradise. Permanent Vacation décrit l’errance d’Aloysious Parker, jeune dandy new-yorkais désœuvré, un homme en « vacances permanentes ». En dépit des contraintes imposées par le budget très réduit (ou alors grâce à elles ?), Jarmusch invente son style : minimaliste, pince-sans-rire, bohémien, irrigué de poésie, de rock et de jazz. Aujourd’hui, Permanent Vacation fait office de précieux instantané de l’underground new-yorkais du début des années 80, qui fit la transition entre l’idéalisme des seventies et le mutisme désillusionné de la décennie suivante.
Stranger Than Paradise (1984)
Le film qui fit de Jim Jarmusch un réalisateur vedette de l’art et essai international. A Cannes, en 1984, où il est présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, Stranger Than Paradise remporte la Caméra d’or (prix récompensant le meilleur premier film, toutes sections confondues), alors que la Palme d’or revient à Paris, Texas. Entre Wim Wenders et Jim Jarmusch, il y a un air de famille, des références communes, une mélancolie jumelle, nourrie par un même sentiment de fin de l’Histoire. Les deux hommes donnent le la esthétique de l’époque. Stranger Than Paradise suit les déambulations de trois personnages (un Américain d’origine hongroise, un ami à lui, sa cousine venue lui rendre visite) et impose la beauté triste de ses travellings latéraux (l’une des figures de style favorites du cinéaste) et de son noir et blanc granuleux. Un film sur l’exil jetant un pont entre la tradition « indé » américaine et les avant-gardes européennes.
Down by Law (1986)
Minimalisme, humour pince-sans-rire et noir et blanc sont également au programme de Down by Law, autre classique instantané de Jarmusch. Le cinéaste revisite ici le genre du film de prison, dans un huis-clos mettant en scène trois de ses acteurs fétiches, trois irrésistibles « gueules » de cinéma : les musiciens John Lurie et Tom Waits, accompagnés de l’Italien Roberto Begnini, totalement déchaîné. Le ton se fait ici plus ouvertement comique, fédérateur, mais l’idée reste la même : réinvestir une tradition cinématographique de son humeur cafardeuse. Le film marque la première sélection d’un film de Jarmusch en compétition à Cannes. C’est aussi sa première collaboration avec le grand chef opérateur Robby Müller, compagnon de route de Wim Wenders, qui retrouvera le cinéaste sur Mystery Train, Dead Man et Ghost Dog.
Mystery Train (1989)
Deux touristes japonais très stylés débarquent à Memphis, Tennessee, sur les traces d’Elvis Presley. Leur histoire croisera celles d’une veuve italienne à la recherche du cercueil de son mari et d’une bande de potes éméchés en virée. La caméra de Jarmusch confère à la ville du King Elvis la grandeur et la solennité d’une ruine antique : on s’y recueille comme dans la Ville éternelle, devant les reliques de la culture pop du XXème siècle finissant. Le critique Louis Skorecki, dans Libération, comparera Mystery Train à d’autres monuments générationnels comme Rio Bravo ou La Fureur de vivre. Dans ce mausolée dédié à l’icône absolue du rock’n’roll, logique que les musiciens aient le beau rôle, de Joe Strummer (leader de The Clash), parfait de décontraction féline, à Screamin’ Jay Hawkins, hilarant en gardien de nuit déjanté.
Night on Earth (1991)
Jim Jarmusch a toujours été tenté par la forme du film à sketchs, qui se marie parfaitement avec son sens de la narration morcelée, entre galerie de portraits et collection d’instants suspendus. Déjà, Mystery Train était découpé en trois épisodes. Plus tard, il y aura Coffee and Cigarettes, compilation de courts métrages tournés sur une période de vingt ans. Night on Earth est un véritable film « anthologique » (pour reprendre la terminologie américaine), racontant des rencontres nocturnes dans les taxis de cinq villes différentes : Los Angeles, New York, Paris, Helsinki et Rome. Jarmusch dessine ainsi une sorte de cartographie du spleen globalisé. Le casting est l’un des plus impressionnants réuni par le cinéaste, de Gena Rowlands à Béatrice Dalle, en passant par Winona Ryder, Giancarlo Esposito et Roberto Begnini.
Dead Man (1995)
Jarmusch revient au noir et blanc et signe ce que beaucoup considèrent comme son chef-d’œuvre. Un poème élégiaque, une odyssée funèbre. En plongeant dans la mythologie des Etats-Unis et en réfléchissant au genre constitutif de l’identité américaine (le western), le cinéaste approfondit son style, transcende son art très rôdé de la vignette et bouleverse franchement. Le film raconte le lent voyage vers la mort d’un comptable au nom de poète (William Blake, incarné par Johnny Depp), dérivant dans l’Ouest sauvage. Bercé par les stases électriques d’une bande originale signée Neil Young, il va croiser la route de Robert Mitchum, d’un Iggy Pop déguisé en grand-mère et d’un Indien nommé Nobody (soit Personne). Le film est une synthèse fulgurante de la « philosophie » de Jim Jarmusch, l’homme qui, de film en film, rêve inlassablement d’une Amérique pré-industrielle, vierge et encore innocente.