Si vous être l’auteur de trois fictions (Depuis qu’Otar est parti, césarisé en 2003, L’Arbre et La Dernière folie de Claire Darling qui sortira le 6 février), vous avez débuté votre carrière par des documentaires. Comment est née cette envie ?
Comme spectatrice, je me suis familiarisée plus jeune au documentaire grâce à une amie de la famille, Simone Vannier, qui avait créé et développé Documentaires sur grand écran. Mais mon apprentissage de cinéma s’est avant tout fait à travers la fiction comme assistante pendant 10 ans de réalisateurs aussi divers que Krzysztof Kieslowski, Emmanuel Finkiel, Georges Lautner… Et mon envie de documentaire est sans doute venue d’un ras-le-bol de la fiction comme assistante. J’avais besoin de retrouver un rapport plus fort avec la réalité alors que je n’arrêtais pas de bloquer des rues et donc d’empêcher les gens de vivre pour permettre le tournage de films … censés reconstituer la réalité ! Travailler avec quelqu’un comme Otar Iosseliani qui évolue à cheval entre fiction et documentaire m’a aussi forcément influencée. Et en tous les cas donné envie d’aller mieux voir la vie avant éventuellement de la raconter à l’écran
C’est pour cette raison que vous êtes allée étudier aux Ateliers Varan ?
Oui et ce fut un véritable déclic pour moi. Car l’enseignement est très concret pendant ces quatre mois très denses au cours desquels chacun des étudiants réalise un film. Là, j’ai eu la chance que le mien, Un métier comme un autre (consacré à des fossoyeurs du cimetière de Pantin) soit sélectionné dans plusieurs festivals. Ça m’a donné une carte de visite et surtout confiance en moi. J’ai donc commencé à développer des projets de réalisatrice et peu à peu abandonné le métier d’assistante.
Depuis, votre filmographie mêle fictions et documentaires. Comment se construit cet équilibre entre les deux ?
Ce sont vraiment les sujets qui décident. Dans le documentaire, je choisis évidemment des sujets qui me sont personnels comme dans La Cour de Babel ou Dernière nouvelles du cosmos mais je n’y parle jamais de moi à la première personne. Alors que je me sens bien plus à l’aise pour le faire par le biais de la fiction. Mais de manière plus générale, en documentaire, je prends avant tout garde à ce que l’intimité des gens que je filme soit préservée. Je connais l’effet grossissant du cinéma et je sais aussi que les gens ne s’en rendent pas forcément compte sur le moment. Voilà pourquoi je trouve toujours plus intéressant de filmer les gens dans leur travail ou leur représentation sociale.
Mais au-delà de vos films, en tant que présidente de la SCAM, vous vous êtes engagée pour une meilleure visibilité des documentaires. Qu’est-ce qui vous y a poussé ?
J’ai voulu trouver des solutions pour mettre en avant l’histoire si riche du film documentaire, son patrimoine, ses immenses réalisateurs si vénérés dans un petit milieu et quasi inconnus en dehors. A la manière du combat pour la parité, j’ai souhaité tendre vers une égalité de droits entre les deux qui, bien que différents, possèdent le même vocabulaire, la même grammaire. Celles du cinéma.
Et vous ne vous êtes pas contentée de vœux pieux. Puisque vous avez agi en créant avec la SCAM la Cinémathèque du documentaire. Ce combat fut difficile à mener ?
Il a fallu quatre ans pour qu’elle voie le jour. C’est exactement comme pour un film. Il ne faut jamais baisser les bras et compter sur un bon alignement des planètes. En l’occurrence l’écho positif immédiat trouvé chez le premier gouvernement du quinquennat de François Hollande et le soutien actif des quatre ministres de la Culture qui se sont succédées – Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin, Audrey Azoulay et Françoise Nyssen – et ont assuré la continuité pour le mettre en œuvre.
Quelle est la mission de la Cinémathèque du documentaire ?
Il s’agit d’une institution qui coordonne et aide – notamment financièrement - différents lieux à travers le pays qui font eux-mêmes leur programmation. Jusque-là, même si de plus en plus de longs métrages sortent en salles, le cinéma documentaire avait tendance à être surtout diffusé dans des festivals. Avec cette Cinémathèque, on leur offre une deuxième vie à eux comme à ceux qui sont sortis en salles ou passés à la télévision. Ils constituent un patrimoine hors du commun qui raconte notre histoire. Pourquoi les laisser dormir sur une étagère ? On aurait pu créer une chaîne de télé dédiée. Mais j’ai une affection particulière pour la salle qui permet de faire des débats, des rencontres.
Existe-t-il justement une salle dédiée ?
Oui, à Paris, se trouve notre « vitrine » : la Bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Pompidou, riche d’une longue histoire avec le documentaire, notamment avec le festival Cinéma du Réel. C’est le seul lieu en France qui montre des documentaires tous les jours, avec une programmation éclectique. Et ça marche ! Le cycle Van der Keuken a été un gros succès. On voit se créer concrètement une nouvelle cinéphilie du documentaire. En janvier, la BPI accueillera un cycle « Portraits, auto-portraits » avec les films d’Alain Cavalier et Ross McElwee. Suivra un autre consacré aux frères Miles, pionniers du cinéma. C’est sans fin… Et on se dit que c’est incroyable que ça n’ait pas été fait plus tôt.
Et quelles sont les actions de la Cinémathèque du documentaire en régions ?
On soutient une trentaine d’autres lieux qui avaient déjà une activité « documentaire » en les labellisant Cinémathèque et en mettant à leur disposition les outils de l’institution. Dans l’idée de créer le maximum de synergie. Par exemple, on achète beaucoup de films pour que chacun de ces sites puissent les avoir à disposition plus facilement.
Outre cette Cinémathèque, vous avez aussi créé en 2015 avec la SCAM, L’Œil d’Or, prix remis au meilleur documentaire présenté toutes sections confondues à Cannes, dont Visages villages et Samouni road sont les derniers lauréats en date…
L’idée est de donner un coup de pouce à des œuvres fragiles au moment de leur sortie en salles. Mais en créant l’Œil d’Or, on a aussi voulu inciter plus de producteurs à montrer des documentaires à Cannes car ce geste n’était pas forcément naturel pour tous. Et on s’est rendu compte que les différentes sélections cannoises en accueillent de plus en plus en leur sein car ils ont envie de décrocher ce prix. C’est gagnant-gagnant !
On pourrait logiquement imaginer ce prix remis lors de la cérémonie de clôture officielle du festival de Cannes, à l’image de la Caméra d’Or…
J’en ai évidemment parlé à Thierry Frémaux et Pierre Lescure. Et quand on voit comment le festival de Berlin a rebondi dès 2016 sur cette idée, on se dit que ce n’est pas inenvisageable. Pour ma part, je suis déjà plus qu’heureuse de voir comment Visages villages a mis un coup de projecteur sur ce prix en 2017. Et la façon dont Samouni road l’a mis en avant pour accompagner la promotion de sa récente sortie en salles. C’est pour nous la plus belle des récompenses.
La Cinémathèque du documentaire est soutenue par le CNC.