Comment connaître et maîtriser l’impact environnemental des productions d’animation ? Comment réduire au maximum l’empreinte carbone de celles-ci ? Comment promouvoir les bonnes pratiques de production à l’échelle de l’industrie ? Voici quelques-unes des questions qui ont présidé à la naissance de l’association La Cartouch’ Verte, qui regroupe plusieurs sociétés, toutes présentes au sein du Pôle de l’image animée de La Cartoucherie, à Bourg-lès-Valence. Son président, Jean Bouthors, nous en expose les ambitions.
Comment et pourquoi est née La Cartouch’ Verte ?
Quand la société Les Astronautes, que je dirige avec Vanessa Buttin-Labarthe, s’est installée sur le site de La Cartoucherie, on s’est rendu compte, avec d’autres nouveaux arrivants, que c’était l’occasion de lancer une dynamique nouvelle sur la façon de produire de l’animation. En parallèle, j’avais eu l’occasion de participer aux rencontres organisées par Open Lande, à Nantes, sur le thème « produire autrement ». J’y ai rencontré des professionnels du secteur, des producteurs, des auteurs, des scénaristes, etc. Ma spécialité, c’est la fabrication, le « dur », les pipelines, j’ai une expertise sur les méthodes et les techniques. En participant à Open Lande, je me suis rendu compte qu’on ne disposait pas de données très claires sur le sujet. Avec Les Astronautes, on avait adhéré à Ecoprod, mais les critères ne sont pas très contraignants, ils ne correspondent pas forcément à nos métiers, donc avec ces critères-là, on était très verts tout de suite ! (Rires.) C’est difficile d’avoir des chiffres, et les chiffres qu’on obtient sont souvent macroscopiques. Concrètement, on n’a pas de visibilité. En discutant avec les nouveaux arrivants de La Cartoucherie, on a voulu savoir ce qu’on consomme, évaluer nos pratiques, de façon plus « micro ».
Le monde de l’animation regroupe beaucoup de techniques différentes…
Exactement. Il y a plein de formes d’animation différentes, et plein de métiers différents au sein de l’animation. Chaque production a ses spécificités. L’avantage d’être sur un pôle comme La Cartoucherie, c’est que les différentes sociétés – Andarta, Miyu, Teamto… – offrent un spectre assez large, couvrent beaucoup de techniques différentes. Nous travaillons avec Workflowers, qui est spécialisée dans la collecte de données autour de ces questions-là. À notre échelle, on va mettre en place une méthodologie de collecte de données, puis les partager pour qu’elles profitent à tout le monde.
Quelles sont-elles ?
Il faut mener une réflexion sur les pipelines de fabrication. Souvent, les goulots d’étranglement ont lieu au moment où on sort d’un logiciel pour entrer dans un autre. On exporte des fichiers pour en importer d’autres, on crée des données. En passant d’un logiciel à l’autre, on exporte parfois deux fois les mêmes images. L’idée, c’est d’avoir une réflexion sur la façon dont on peut rendre ces étapes moins coûteuses en calcul, moins coûteuses en poids. On peut parvenir à diviser par deux ou trois l’espace stocké sur les serveurs, et le temps de calcul des machines pour retraiter les images. C’est gagnant pour tout le monde. On veut transmettre l’idée que ces réflexions écologiques ont un impact économique.
L’idée est qu’on dépense moins d’énergie, qu’on ait besoin de moins de temps de calcul, de moins d’espace sur les serveurs.
Quels autres exemples pouvez-vous nous donner ?
Un exemple très concret : aujourd’hui, les sociétés ne peuvent pas avoir d’assurance si elles n’ont pas une sauvegarde de l’ensemble de leurs données hors site. Ça demande à chaque société d’un site comme celui de La Cartoucherie de fonctionner avec des clouds, de passer par d’énormes entreprises dont on ignore souvent ce qu’elles font de nos données, ce qu’elles consomment, etc. On devrait pouvoir mutualiser nos sauvegardes sur des serveurs externes, qui seraient communs à différentes structures. Ça permettrait à la fois de diminuer l’impact environnemental, de diminuer les coûts et de reprendre le contrôle sur nos données.
L’idée, on l’imagine, est de faire boule de neige et de rallier de plus en plus de gens à votre cause ?
Sur un site comme La Cartoucherie, un bassin d’emploi où travaillent 500 techniciens, l’idée est bien en effet d’impliquer les gens au maximum, pour alimenter une réflexion autour des données qu’on aura récoltées. Et, au-delà de La Cartoucherie, on espère que des participations et des regroupements auront lieu autour de ces questions dans d’autres grands pôles de l’animation en France. Il y a un vrai esprit collaboratif dans le milieu de l’animation française. Tout ce qu’on fait est en open source, le partage des données est essentiel. Car il faut que les données qu’on récolte soient significatives, pour nous permettre ensuite de faire les bons choix. Nous ne voulons pas être dogmatiques. J’aime poser cette question, car elle résume bien le débat : « Qu’est-ce qui est le plus écologique : animer sur du papier ou animer sur une tablette graphique ? » À ce jour, je n’ai toujours pas la réponse ! Il faut vraiment mener cette réflexion sur comment produire autrement. Produire de façon plus écologique, mais avec aussi plus de partage et une attention particulière à la question sociale.
