« Un bon coach ne fait pas de direction d’acteur, tâche qui incombe au réalisateur », précise d’emblée Patricia Sterlin, engagée par des comédiens pour les aider à se préparer avant un tournage (elle dirige également des ateliers collectifs). Elle travaille avec eux l’énergie et les émotions à donner selon les scènes, la manière dont ils doivent jouer face à la caméra et la construction globale de leur personnage. Si elle dispose parfois d’un peu plus d’un mois pour coacher un comédien ou une comédienne – une durée idéale selon elle -, elle intervient le plus souvent trois semaines avant le tournage. « Je fais beaucoup parler les comédiens avant, pour savoir ce qu’ils ont en tête. Parfois, mais c’est rare, nous avons des réunions avec le réalisateur et je note tout ce qu’il désire et les raisons pour lesquelles il a choisi ce comédien-là. Je peux ensuite puiser dans ces échanges pour construire le coaching : je deviens une sorte de mémoire de cette première réunion ». Patricia Sterlin ne débute son coaching qu’après avoir évoqué les envies du comédien et la manière dont il voit le personnage à incarner. Autre étape obligatoire : la lecture du scénario. « Je le lis à travers ce que ressent le personnage que je vais accompagner et je m’interdis d’avoir un esprit critique ».
Pour guider le comédien, elle utilise diverses méthodes, notamment celles très liées de l’Actor’s Studio (qui combine le travail littéral sur le rôle et une approche plus introspective) et de Stanislavski (axée sur « l’impulsion du corps et l’action physique »). « Je m’adapte aux comédiens car ils ont tous leur méthode de préparation. Il y a parfois un travail pour trouver la gravité de la voix à travers les émotions du personnage. Pour d’autres, il suffit de changer de langue pour que la voix descende et trouve le bon ton », poursuit Patricia Sterlin en ajoutant que la voix est un atout essentiel pour certains acteurs. Elle sera donc travaillée différemment afin de ne pas perdre cette marque de fabrique. « Les acteurs sont très réactifs. Ils ont une mémoire sensorielle qui me donne l’impression de travailler avec des Stradivarius. Leur transformation physique, du regard et de la voix est parfois impressionnante », poursuit-elle en expliquant que répéter en costumes est une bonne manière de se plonger davantage dans le rôle. « On n’a pas la même démarche en santiags qu’en charentaises. Avec les chaussures et le costume, le ressenti psychologique n’est pas le même. La méthode Actor’s Studio appelle ça travailler de ‘l’extérieur vers l’intérieur’ ».
Autre élément essentiel du coaching : les attentes du réalisateur. Tous n’ont pas en effet la même vision de l’authenticité ou de la direction d’acteurs, il faut donc s’adapter, ce qui n’est pas toujours facile : « On travaille beaucoup sur des premiers longs métrages. Les réalisateurs ont choisi un comédien célèbre pour porter le film, mais sans lui donner des indications ». Certains cinéastes confirmés laissent également une grande part de liberté à leurs comédiens. C’était le cas notamment de Jean-Paul Rappeneau lors du tournage du Hussard est sur le toit. « J’étais contente d’accompagner un comédien sur ce film car je pensais apprendre plein de choses sur la direction d’acteur. Mais Jean-Paul m’a dit : ‘La direction d’acteur, c’est de bien choisir ses comédiens et leur faire confiance sur la création de leur rôle. Je sais comment placer la caméra, comment éclairer, mais les comédiens sont les coauteurs de mon film, je ne donne aucune indication’ ». Une même liberté de création a été donnée à un acteur du Couperet de Costa-Gavras. « Le comédien que j’accompagnais a posé de nombreuses questions au réalisateur. Costa-Gavras lui a dit qu’il ne lui répondrait pas car il l’avait choisi et il estimait donc que tout ce qu’il allait proposer était bien. Il l’autorisait par là à chercher son rôle, à comprendre comment l’incarner. C’était une pression supplémentaire mais il y avait un grand respect de sa capacité de création. Sur le plateau, Costa-Gavras donnait des indications pour voir si le comédien pouvait proposer autre chose. Et ce dernier était prêt car il connaissait très bien son personnage ».
Un métier lié « aux exigences de transformations »
« Ce métier de coach est le résultat de contraintes de temps : avant, le comédien avait trois mois pour se préparer et il le faisait seul, maintenant, il n’a plus que quinze jours ou trois semaines et les exigences de transformation sont de plus en plus complexes », souligne Patricia Sterlin qui évoque également de nouvelles contraintes économiques : « Dans certains pays, un acteur qui ne s’entraîne pas va coûter de l’argent car il aura besoin de quatre prises au lieu d’une seule ». Elle se rappelle ainsi un tournage anglais pour la BBC où les acteurs étaient capables de tourner « des plans-séquences d’une incroyable complexité en une prise ». « C’est un savoir-faire lié à une culture différente de la nôtre », avance-t-elle en suggérant que faire appel à un coach sera, dans les prochaines années, de plus en plus fréquent en France, du fait de la réduction des budgets et des nombreuses coproductions étrangères aussi bien au cinéma qu’en séries.
Avant d’exercer ce métier, Patricia Sterlin a commencé sa carrière en tant que musicienne. Elle était notamment second violon dans l'orchestre symphonique de Toulouse et dans l'Orchestre de l'ORTF. « J’ai étudié le violon mais aussi l’art dramatique au Conservatoire National de Toulouse. En parallèle de mes études, j’ai également fait de l’assistanat à la mise en scène. Mais pour des raisons familiales, c’est le violon qui a pris le dessus, même si j’ai continué la mise en scène au cours de ma carrière de musicienne ». En 1990, elle lance avec trois associés des coachings pour comédiens professionnels. Une révélation. « Je me suis sentie à ma place. Je n’ai pas d’univers artistique suffisamment fort pour avoir envie de faire de la mise en scène. Mais c’est une qualité pour faire de l’accompagnement. Et travailler avec les mots me plaisait beaucoup plus que jouer avec les notes, même si la musique m’a aidée pour le rythme et la subtilité du ton du jeu. Les textes classiques sont bien écrits, à l’image d’une partition de musique. On peut presque travailler la musicalité d’un texte comme un chef d’orchestre entraîne ses musiciens ».
Elle a accompagné depuis ses débuts de nombreux comédiens, notamment José Garcia pendant une quinzaine d’années, Zita Hanrot sur cinq films parmi lesquels Fatima (pour lequel l’actrice a reçu le César 2016 du meilleur espoir féminin), Arnaud Ducret sur Monsieur Je-sais-Tout, Pierre Deladonchamps sur Nos années folles ou encore Romain Duris pour Molière.