Au mois d’août dernier, le festival de Locarno a présenté une proposition de cinéma sortant des sentiers battus. Au point même de n’avoir trouvé aucun prix pour le célébrer à sa juste valeur dans son palmarès. Un film de 13h34 composé de six épisodes, dédiés, chacun, à un genre cinématographique : une série B, un mélo musical, un film d’espionnage, un film dans le film, un hommage au Partie de campagne de Jean Renoir et le portrait de femmes captives dans le désert argentin au 19ème siècle.
A la tête de ce projet fou, on trouve un cinéaste argentin, Mariano Llinas, auteur en 2008 d’Historias extraordinarias. Un homme décidément féru du mélange des genres puisqu’il y mariait déjà joyeusement en son sein telenovelas, western, polar, documentaire et film de guerre. Et c’est d’ailleurs en pleine post-production d’Historias extraordinarias que va naître l’idée de La Flor. Ce soir où il part découvrir une pièce interprétée dans un théâtre de Buenos Aires par une troupe 100% féminine (Elisa Carricajo, Valeria Correa, Pilar Gamboa et Laura Paredes). Llinas en ressort plus que conquis et cherche alors à imaginer un projet pour travailler avec elles. Et, pendant deux ans, chaque jeudi, ils se voient tous les cinq pour en discuter. De ces échanges naîtra une idée : plonger ces actrices dans de multiples histoires qui formeraient un seul et même film. Un film accueillant le plus possible de genres de cinéma.
Llinas se lance dans l’écriture sans attendre un financement qu’il sait aléatoire pour ce type de projet hors norme et en s’appuyant sur son expérience au sein du collectif El Pampero Cine : « Je ne perds jamais de temps à essayer de vendre un projet en présentant des certitudes qu’on ne peut avoir qu’une fois le tournage terminé. » Avec les 25000 dollars gagnés en festival avec Historias extraordinarias, il tourne les deux premiers épisodes. Avant de faire une pause pour le troisième, le film d’espionnage, qui nécessite des moyens supplémentaires. « Il fallait qu’on aille tourner en Sibérie, à Berlin, Londres et Paris. Que ce soit beau et riche à l’écran ». Llinas investit alors l’argent qu’il gagne comme prof de cinéma. Il tourne des scènes à Paris et Londres en profitant des tournées européennes des pièces jouées par Pilar Gamboa – devenue sa compagne – pour la rejoindre avec les autres comédiennes. Et lui qui gagne aussi sa vie en tournant des pubs demande à en réaliser une en Sibérie où, là encore, il entraîne son équipe dans ses bagages. Et une fois ces trois épisodes en boîte, la productrice de Llinas monte une bande démo qui permettra de trouver d’autres investisseurs pour continuer et aller au bout de cette aventure.
Il faudra 10 ans pour que tout soit terminé. Dix ans pendant lesquels Llinas assure ne pas avoir regardé ses images. « J’étais angoissé de ce que j’allais découvrir. Notamment le tout premier segment tourné avec une caméra loin de bénéficier des conditions technologiques actuelles. Mais je savais que je ne pourrais pas revenir en arrière, alors à quoi bon se tourmenter ? » Débute alors un montage qui durera des mois même si sa structure, elle, était préalable au tournage et suit précisément l’ordre de celui- ci. Il est alors temps de présenter le film à Locarno et de lancer le buzz grâce à des premières critiques dithyrambiques. Comme la réponse du cinéma aux séries télé. La France est le premier pays où il sort en salles, hors de l’Argentine. Ses six épisodes ont été découpés en quatre parties, distribuées depuis le 6 mars une semaine après l’autre jusqu’à début avril. Une sortie hors norme pour un film décidément pas comme les autres.