La grande aventure des Acacias

La grande aventure des Acacias

17 octobre 2024
Cinéma
« La Noire de…» d’Ousmane Sembène
« La Noire de…» d’Ousmane Sembène, ressortie récente des Acacias INA - Les Acacias

À l’occasion du Festival Lumière, Jean-Fabrice Janaudy, gérant de la société Les Acacias depuis le décès de son fondateur Simon Simsi en 2018, revient sur l’histoire et l’actualité de cet acteur central de la diffusion du cinéma de patrimoine.


À quand remonte la création des Acacias ?

Jean-Fabrice Janaudy : En 1981, Simon Simsi quitte son poste dans la publicité pour acheter une salle de cinéma dans le but de montrer des classiques du 7e art. Il acquiert ainsi un petit cinéma rue des Acacias, dans le 17e arrondissement de Paris, salle jusque-là spécialisée dans le bis, voire le cinéma érotique. Il le transforme en lieu cinéphile. Très vite, Simon se retrouve confronté à un problème : l’accès aux copies des films qu’il entend projeter. À l’époque, les distributeurs étaient pour la plupart également des exploitants, rendant difficile la circulation des films. Il va donc créer sa propre structure de distribution. Les deux premiers films proposés sont Riz amer (Giuseppe De Santis, 1949) et Quai des Orfèvres (Henri-Georges Clouzot, 1947). Ces deux films dessinent d’emblée la typologie des Acacias et cet amour pour le cinéma italien et les grands classiques du cinéma français. Sur le terrain du patrimoine, le principal concurrent était alors le réseau Action Gitanes, qui se concentrait quasi exclusivement sur le cinéma américain et a ainsi formé toute une génération de cinéphiles. En 1981, le marché de la vidéo n’a pas encore explosé, les chaînes de télévision diffusent assez peu de cinéma de patrimoine… Résultat, les ressorties de Riz amer et Quai des Orfèvres vont totaliser chacune près de 100 000 entrées.

La patte Acacias ? Les goûts très éclectiques de Simon [Simsi] !

Ces succès vont inciter Simon Simsi à voir plus grand…

Il s’est très vite recentré dans le cœur de Paris. Il a vendu la salle de la rue des Acacias et racheté d’autres salles. L’ambition était de les redresser et de les ouvrir au cinéma de patrimoine. Parmi elles, le Panthéon, le République et celles qui constituent aujourd’hui le réseau de salles Dulac Cinéma : le Reflet Médicis, l’Escurial, L’Arlequin, le Majestic Passy et Bastille… Toutes les salles des Acacias n’étaient pas entièrement dédiées au cinéma de patrimoine. Le Panthéon et le Reflet Médicis étaient les deux lieux réservés à l’exploitation des classiques… Les autres étaient au service de l’art et essai. À la fin des années 1990, Simon a tout revendu, tout en continuant à assurer la programmation des salles du Reflet Médicis.

Qu’est-ce qui définit la patte Acacias ?

Les goûts très éclectiques de Simon ! Cette diversité se ressentait dans ses choix. Il pouvait proposer une rétrospective des sommets de la comédie britannique – les Ealing Comedies –et programmer To Be or not to Be de Lubitsch, son film préféré, ou Scaramouche de George Sidney dont l’affiche trônait dans son bureau… Beaucoup de cinéphiles se souviennent d’une grande rétrospective Federico Fellini au cinéma du Panthéon. Il y a eu celle dédiée à Michelangelo Antonioni, en sa présence… Je pourrais aussi citer celle consacrée à Jean Grémillon en 1999. Les deux noms qui reviennent souvent au fil des années sont Max Ophüls et Louis Jouvet auxquels Simon vouait un véritable culte. Un autre fait marquant fut la rétrospective Robert Bresson au Reflet Médicis en 2000, qui avait ensuite circulé dans toute la France. Simon a contacté les ayants droit un par un pour les convaincre de lui confier leur copie. C’était et ça reste un travail de conviction. Il faut savoir embarquer les gens avec soi.

Face à la concurrence grandissante de la vidéo et de la télévision dès le début des années 1990, comment avez-vous continué à séduire le public dans les salles ?

La rareté des œuvres proposées suffisait encore à faire venir les gens en salles. Lorsque Bertrand Tavernier a sorti Laissez-passer en 2002, beaucoup de cinéphiles se sont rendu compte que les films d’avant-guerre restaient inconnus du public. Un an après, nous organisions une grande rétrospective dédiée au cinéma sous l’Occupation, riche d’une trentaine de titres dont Le Corbeau d’Henri-Georges Clouzot et Les Visiteurs du soir de Marcel Carné, mais aussi des titres peu connus qui ont d’ailleurs particulièrement attiré du monde à l’image de Pontcarral, colonel d’Empire de Jean Delannoy.

La publicité autour des ressorties restait encore discrète…

Je suis arrivé aux Acacias en septembre 2000. L’exploitation des films du patrimoine commençait à se durcir. Pour autant, les spectateurs restaient très attentifs dans un marché encore peu concurrentiel. Nous n’avions pas besoin d’un attaché de presse pour faire le lien avec les journalistes, nous les appelions directement. Henry-Jean Servat avait, par exemple, mis Bardot dans La Vérité de Clouzot en couverture de Libération pour relayer sa ressortie. C’était le monde d’avant les réseaux sociaux. Le métier d’exploitant a progressivement changé de visage. Vincent Paul-Boncour, avec sa société Carlotta, a considérablement modifié les codes des ressorties. Son idée était de traiter un film de patrimoine de la même manière qu’un inédit avec de nouvelles affiches, de nouvelles bandes-annonces… Ces dernières étaient plus faciles à réaliser avec l’arrivée du numérique. L’émergence de nouveaux cinéphiles dans le métier a également déplacé la cinéphilie avec notamment une valorisation du cinéma de genre des années 1970-1980, et des auteurs comme Brian De Palma.

Le travail de distribution reste un travail de conviction. Il faut savoir embarquer les gens avec soi.

Simon Simsi est décédé en 2018, comment avez-vous réussi à perpétuer son héritage ?

Je me souviens très bien de mon entretien d’embauche. C’était pour un poste de standardiste. Pour autant, Simon avait testé ma cinéphilie. Il m’avait notamment demandé si j’avais vu les films de Clouzot. J’avais tout vu sauf Manon. Il m’a tout de suite engagé. J’ai appris le métier de distribution et d’exploitation à ses côtés. Dans les dernières années, il s’est beaucoup appuyé sur moi ainsi que sur Nadine Méla, responsable du marketing, et Emmanuel Atlan à la programmation. Simon avait anticipé les choses et nous avons pu très naturellement continuer à poursuivre le travail sans lui. Sa fille est aujourd’hui propriétaire de la société. Elle nous fait confiance pour perpétuer l’esprit de son père. C’est un travail de transmission très gratifiant.

Avez-vous fait évoluer l’esprit des Acacias ?

Nous prenons plus de risque en allant vers des territoires moins balisés. Prenez la ressortie récente de La Noire de… d’Ousmane Sembène (1966). Le cinéma africain reste encore trop méconnu. Dans un autre registre, des fims autour de la personnalité de Delphine Seyrig, Le jardin qui bascule de Guy Gilles (1975) ou Aloïse de Liliane de Kermadec (1975), ne sont pas des évidences pour le public. Il s’agit donc d’harmoniser les choses en alternant avec des valeurs sûres. La Garçonnière de Billy Wilder et Le Nom de la rose de Jean-Jacques Annaud, par exemple, sont très identifiés et attirent le public. De son vivant, Simon était très sceptique sur la figure de Sacha Guitry qu’il jugeait trop clivante. Nous avons tout de même tenté récemment une mini-rétrospective avec succès. Notre travail éditorial permet de faire changer le regard du spectateur sur les œuvres. L’autre aspect est la distribution de nouveaux films autour d’auteurs que nous affectionnons : Hong Sang-soo, Wang Bing ou encore Rithy Panh. Dans notre histoire, nous avons contribué à la découverte de cinéastes très identifiés comme Christopher Nolan avec Following (1998), Nicolas Winding Refn à partir de 1996 avec la trilogie Pusher, dont personne ne voulait, mais aussi Walter Salles grâce à Terre lointaine en 1995. Nous aimons le cinéma dans toute sa diversité et considérons, par exemple, que Mario Bava est un aussi grand auteur que Michelangelo Antonioni.

Quelle est l’actualité des Acacias lors du Festival Lumière ?

Nous proposons deux longs métrages dans le cadre de l’hommage à Giuseppe Tornatore : Cinema Paradiso (1988) et Ils vont tous bien (1990). Nous accompagnons également la restauration de Pépé le Moko de Julien Duvivier. Duvivier est un cinéaste qui mérite d’être (re)découvert. Nous allons bientôt ressortir de deux ses œuvres confidentielles : David Golder (1931) et La Tête d’un homme (1933). Nous travaillons aussi sur Small Back Room (La Mort apprivoisée, 1949) de Michael Powell et Emeric Pressburger : si leurs grands classiques en couleur sont célébrés, leur période en noir et blanc l’est moins. Notre idée est de leur organiser une rétrospective en 2025.