Véritable genre, ou simple sous-catégorie du film criminel ? Les « films de prison » sont si nombreux dans l’histoire du cinéma qu’on pourrait aisément affirmer qu’ils forment un « territoire » de cinéma à part entière. Chronologiquement, les films mettant en scène l’univers carcéral vont de Charlot s’évade (1917) au récent Une Prière avant l’aube (Jean-Stéphane Sauvaire, 2018), et ont pris au fil du temps des formes diverses, du film d’aventures historiques (La Grande Evasion, John Sturges, 1963) au musical (Le Rock du Bagne, Richard Thorpe, 1957), intéressant des cinéastes aussi différents que Billy Wilder (Stalag 17, 1953), Robert Bresson (Un condamné à mort s’est échappé, 1956), Alan Parker (Midnight Express, 1978), ou Nagisa Oshima (Furyo, 1983).
Les conventions et passages obligés du genre sont connus : l’arrivée d’un condamné dans un lieu hostile et inquiétant, l’apprentissage des règles de la vie en communauté, les visites aux parloirs, les éventuelles tentatives d’évasion… Le film de prison obéit à des codes, que les cinéastes peuvent embrasser ou s’employer à détourner. Mais il peut aussi avoir plusieurs fonctions, du divertissement pur à un geste plus engagé socialement.
Le film de prison aux prises avec le monde
De nombreux films de prison sont portés par un désir réaliste, une ambition documentaire. Pour tourner Comme un homme libre (The Jericho Mile, diffusé sur la chaîne américaine ABC en 1979), Michael Mann passe beaucoup de temps dans le pénitencier de Folsom et observe la structuration de la communauté pénitentiaire en différentes castes « ethniques » : Noirs, Mexicains, suprémacistes blancs… « C’était comme si toute la société avait été compressée dans un espace clos, expliquera le réalisateur de Heat. Comme dans une expérience scientifique. Une mauvaise expérience scientifique. Les mêmes dynamiques qu’à l’extérieur avaient cours, mais comme sous stéroïdes. »
Le cinéma permet un éclairage sur une réalité souvent méconnue, car à l’abri des regards. En retour, les films impactent la société elle-même. L’un des films pionniers du genre, Je suis un évadé (Mervyn LeRoy, 1932), décrit avec une telle force les conditions de détention dans les bagnes du Sud des Etats-Unis qu’il entraînera des réformes pénitentiaires dans plusieurs Etats. Quarante ans après, les scènes glaçantes qui concluent Deux hommes dans la ville (José Giovanni, 1973, dans lequel le personnage incarné par Alain Delon est guillotiné) contribuèrent à alimenter le débat sur la peine de mort.
Le film de prison peut être une arme sociale et politique, et s’envisage souvent dans un dialogue avec la société. Papillon (Franklin J. Schaffner, 1973) raconte avec une force impressionnante les conditions de détention dans les bagnes de Guyane de l’entre-deux-guerres. Le Prisonnier d’Alcatraz (John Frankenheimer, 1962) sensibilisa le public américain au combat de Robert Stroud, un homme condamné à la prison à perpétuité, qui chercha une forme de rédemption en se spécialisant dans l’ornithologie mais contre lequel s’acharna l’administration pénitentiaire.
Echapper au réel ?
Mais le film de prison peut parfois vouloir échapper à la dictature du réel pour utiliser le monde pénitentiaire comme un espace mental, un territoire abstrait. Quand il filme Un Prophète (2009), Jacques Audiard dit vouloir échapper aux exigences du « vrai». « Aujourd’hui, en France, quand on veut faire un film sur la prison, il y a deux obstacles, disait le cinéaste au Festival de Cannes 2009, où son film obtint le Grand Prix du Jury. Le documentaire qui tire vers le fait de société et qui ne m’intéressait pas, et l’influence de l’image de la prison créée par les séries américaines avec des archétypes qui ne nous appartiennent pas. Nous avons visité beaucoup de prisons pour chercher notre décor, mais elles étaient soit trop anciennes, soit il était impossible d’y tourner. Donc nous avons construit le décor. Cela a été une étape très importante car le film est apparu avec lui. Car il ne s’agissait pas d’un studio avec des plafonds et des parois amovibles, mais d’un décor en dur. » Même s’il ne veut pas faire œuvre sociologique, le film de prison peut-il pour autant échapper au réel ? « Le réalisme vient de lui-même quand on entre chaque jour dans une prison », concluait Jacques Audiard.