L’accessoiriste de plateau, le bricoleur du cinéma

L’accessoiriste de plateau, le bricoleur du cinéma

07 février 2019
Cinéma
Pierre Galliard sur le tournage des Petites Meurtres d'Agatha Christie
Pierre Galliard sur le tournage des Petites Meurtres d'Agatha Christie DR
Membre de l’équipe de décoration, l’accessoiriste de plateau est chargé, comme son nom l’indique, de tous les objets ou éléments se retrouvant à un moment donné entre les mains des comédiens. Mais son rôle est bien plus subtil et complet qu’il n’y parait. Explications avec Pierre Galliard, membre de l’Association Française des Accessoiristes de Plateau, qui a collaboré avec Claude Chabrol, Francis Girod, Daniel Auteuil ou encore Diane Kurys et Alain Resnais.

« L’accessoiriste fait tout ce que les autres ne font pas, résume Pierre Galliard, qui a exercé ce métier pendant des dizaines d’années. Il gère les accessoires et le décor, vérifie que tout est bien dans le cadre et s’occupe de tout ce que les comédiens ont entre les mains ». « Pendant sa préparation et pour toute la durée du tournage, il doit lister les accessoires, les réunir (acheter, louer, fabriquer), les présenter, les adapter, les préparer, les disposer, les faire fonctionner, les raccorder, les préserver », ajoute pour sa part l’Association Française des Accessoiristes de Plateau.

« On peut vous demander n’importe quoi, comme faire un trou de plus à la ceinture trop grande d’un comédien. S’il y a une flaque d’eau à l’endroit où le réalisateur veut que les acteurs passent, c’est à l’accessoiriste de partir chercher du sable ou du gravier avec un seau pour combler la flaque d’eau », poursuit Pierre Galliard en ajoutant qu’il faut « être très bricoleur » et « savoir anticiper » pour que l’équipe « n’attende pas après un accessoire ». « Si un comédien doit ouvrir une bouteille de vin, c’est bien par exemple d’enlever le bouchon avant et de le remettre en place pour qu’il ne soit pas trop collé afin que ça ne coince pas pendant le tournage. On peut ainsi éviter de refaire la prise », détaille-t-il.

Présent pour répondre aux demandes du metteur en scène et pour faire le lien entre l’équipe de réalisation et de décoration, l’accessoiriste doit avoir une qualité essentielle : l’inventivité. Exemple sur le tournage de Poulet au vinaigre de Claude Chabrol. « A l’époque, j’ai entièrement fabriqué la carte de police de Jean Poiret. Nous n’avions pas de logiciel de retouche ou autre. Je suis donc allé à la Préfecture et un commissaire m’a photocopié sa carte en cachant les numéros et la photo. J’ai remis « Police » et avec du scotch, j’ai refait la bande tricolore. C’était vraiment du bricolage », se souvient celui qui a collaboré avec le réalisateur pour ses vingt-cinq derniers films. Pour ce long métrage, Pierre Galliard a également « fabriqué un faux bras de grand brûlé » pour une scène dans une morgue : « Je suis allé acheter un bout de squelette et avec la mousse polyuréthane, j’ai fait de la chair puis j’ai mis du sang noir… C’est moins réaliste que ce qu’on fait maintenant avec le numérique ».

La communication essentielle avec le réalisateur

« Il y a minimum une semaine de préparation avant un tournage de cinéma. Lorsqu’on reçoit le scénario, on regarde tout ce qui nous concerne. On fait également des lectures avec le metteur en scène ou son assistant pour poser toutes les questions possibles : nous devons tout avoir pendant le tournage pour satisfaire le réalisateur », poursuit Pierre Galliard. Le style du cinéaste ayant une incidence sur la préparation de l’accessoiriste, il est donc essentiel que les deux parties communiquent pleinement.

Prenons l’exemple d’une scène dans laquelle un comédien doit détruire des assiettes, s’il s’agit d’un plan séquence avec travellings, il faut prendre des centaines d’assiettes s’il faut refaire la scène à plusieurs reprises. S’il s’agit juste d’un insert avec un plan sur des assiettes brisées, une vingtaine d’objet suffit. Le metteur en scène doit nous renseigner sur les choix de plan. »

Un réalisateur qui sait ce qu’il veut facilite donc le travail de l’accessoiriste. « Claude Chabrol avait une vision très précise des accessoires qu’il voulait, notamment pour le vin (rires). C’est tout juste si ce n’était pas précisé dans le scénario. Il arrivait le matin sur un décor qu’il n’avait jamais vu, il le regardait, changeait quelques éléments de place dont la caméra… Il réfléchissait quinze minutes et avait ensuite tous ses plans en tête », se souvient Pierre Galliard.

Avoir déjà collaboré avec un réalisateur aide également l’accessoiriste dans son travail. « Lorsque je devais trouver un briquet pour un comédien, l’avantage avec Claude est que même si j’en proposais trois différents, je savais déjà celui qu’il allait choisir. Le connaître facilitait les choses, explique-t-il ainsi. J’ai fait ses vingt-cinq derniers films. Ce n’est pas courant d’avoir une telle relation avec un cinéaste. Mais c’est bien connu, il était fidèle dans ses  choix de comédiens, de techniciens… Il adorait faire du cinéma mais il n’aimait pas s’embêter. Ce n’était pas que j’étais le meilleur, mais il me connaissait et savait ce qu’il pouvait me demander, sur quoi il pouvait compter… C’est ce qui lui plaisait le plus. Il aimait bien les films intimistes avec des personnes qui le connaissaient. C’était un régal de travailler avec lui, il était un grand technicien ».

Quel parcours pour un accessoiriste ?

Si des diplômes existent aujourd’hui pour devenir accessoiriste - un CAP accessoiriste-réalisateur, des BTS design d’espace ou design de production, un diplôme de concepteur-rédacteur arts décoratifs à l’ENSAD… - Pierre Galliard a fait ce métier « complètement par hasard ». « J’ai eu l’occasion de travailler sur un petit film sans accessoiriste par l’intermédiaire de ma sœur. Nous étions juste deux à la déco. J’ai rencontré ensuite des machinistes et j’en ai fait un peu avant de revenir aux accessoires. A mon époque, il n’y avait pas de cursus pour ce métier. On apprenait sur le tas… J’ai eu la chance de tomber dans les bras de Chabrol et sa femme : ils m’ont quasiment appris le métier. J’avais fait Le Sang des autres avec lui comme machiniste puis j’étais passé aux accessoires sur Vie la sociale ! de Gérard Mordillat. La directrice de production de Poulet au vinaigre a entendu parler de ce film et du fait que je m’étais pas mal débrouillé. Comme elle n’avait personne pour Chabrol aux accessoires, elle me l’a proposé. Je tremblais de peur au départ car je n’y connaissais pas grand-chose », se rappelle-t-il.

Si l’accessoiriste travaillait seul il y a quelques années, il bénéficie aujourd’hui régulièrement de l’aide d’un assistant, ce qui lui permet de ne jamais quitter le plateau tout en gardant son matériel de bricolage et des accessoires dans sa camionnette, souligne Pierre Galliard. Aujourd’hui à la retraite, ce dernier a d’ailleurs gardé quelques souvenirs glanés au fil des années. « J’ai le bras brûlé de Poulet au vinaigre, un faux oiseau que j’avais articulé, la canne de Michel Serrault dans L’Affaire Dominici, la blague à tabac d’Yves Montand dans Manon des sources… Ce sont des objets qui ont une certaine valeur mais qui ne resserviront jamais », détaille celui qui a également participé au tournage de la série Les Petits meurtres d’Agatha Christie. Côté salaire, un accessoiriste est rémunéré environ 1 200 euros (en brut) la semaine.