Dans quelles conditions avez-vous découvert L’Arbre aux papillons d’or ?
Patrick Sibourd : Cercamon, la société responsable des ventes internationales du film, m’a proposé de le visionner en amont du Festival de Cannes. L’Arbre aux papillons d’or était déjà sélectionné à la Quinzaine des cinéastes. J’ai découvert le film un soir, très tard. Les conditions étaient idéales, il régnait une sorte de paix autour de moi qui m’a permis de me plonger dans l’expérience du film. Une expérience immersive très puissante, liée notamment à sa durée (2 h 58). À la faveur de la nuit, j’ai été ébloui, transi. Je ne pensais pas découvrir un grand cinéaste dès son premier film. Il y a une maîtrise formelle incroyable, notamment dans la précision des plans-séquences. Il se dégage également une poésie. J’ai écrit immédiatement un mail fiévreux au vendeur pour lui dire que nous voulions nous porter acquéreurs des droits pour sa sortie française. J’avais déjà vu un certain nombre de premiers films qui s’apprêtaient à être présentés à Cannes et celui-ci dégageait une intensité qui le plaçait clairement au-dessus du lot.
Que saviez-vous du travail de Pham Thiên Ân, avant de découvrir L’Arbre aux papillons d’or ?
Rien. C’est seulement après que j’ai découvert son court métrage, Stay Awake, Be Ready (2019). Marie Dubas, la coproductrice française (Deuxième Ligne Films) de L’Arbre aux papillons d’or, en revanche, l’avait vu et s’était d’ailleurs engagée sur la seule promesse de ce court. Stay Awake, Be Ready assure une continuité directe avec L’Arbre aux papillons d’or. Il s’articule en un seul plan-séquence qui fait écho à l’ouverture du long métrage.
Au-delà du choc de la découverte, le distributeur que vous êtes pense-t-il déjà à la façon dont il va « travailler » le film et aux éventuelles difficultés qu’il pourra rencontrer par rapport à sa durée par exemple ?
Je pense d’abord avec le cœur et les tripes ! L’une des missions – et donc la beauté – de notre métier de distributeur indépendant est de défendre des œuvres singulières, de faire émerger des cinéastes… Avec L’Arbre aux papillons d’or, je prends très vite conscience qu’il existe très peu de films qui viennent du Vietnam, et que cette rareté – qui plus est avec une œuvre de cette qualité – est précieuse. Il y a également une dimension affective presque inconsciente entre la France et le Vietnam. Le Vietnam, c’est tout autant Diên Biên Phu – c’est-à-dire la fin de la colonisation française – que L’Amant de Marguerite Duras ou Indochine de Régis Wargnier. Un rapport a priori lointain, mais tout de même ancré dans notre imaginaire culturel. Ensuite, je pressens que la dimension poétique et spirituelle du film trouvera une résonance dans nos sociétés ultramodernes où tout va vite, où l’on se plaint de ne plus avoir le temps… Certains compensent ce trop-plein en faisant du taï-chi, du yoga… Or ce que propose Pham Thiên Ân représente deux ans de taï-chi à l’échelle d’un long métrage ! Son film nous fait voyager dans l’âme humaine, interroge notre propre rapport au temps et à notre intimité. C’est un cadeau extraordinaire. Bref, fort de toutes ces réflexions, j’ai la conviction que nous ne serons pas seuls, que la presse va apprécier le film et nous soutenir. Le Festival de Cannes, qui réunit à la fois les esprits les plus aiguisés du cinéma mais aussi des étudiants, des cinéphiles de tous les âges, sera une expérience formidable pour confirmer nos intuitions. Les réflexions économiques liées à la sortie du film arrivent dans un second, voire un troisième temps.
De quelles aides avez-vous bénéficié ?
Pour un film étranger, même avec une part française minoritaire comme ici, les leviers sont moins importants. Pour autant, nous pouvions compter sur l’Aide au programme du CNC, déterminée selon plusieurs critères spécifiques : notre ligne éditoriale, la pertinence de notre stratégie, la qualité de notre travail… C’est un soutien primordial qui oblige cependant à prendre notre propre part de risque. L’autre aspect important a été l’Aide aux cinémas du monde dont a bénéficié L’Arbre aux papillons d’or. Bien que cette aide sélective aille au producteur, elle rejaillit indirectement sur le distributeur. En effet, les entrées du film vont alimenter le fonds de soutien à la production mais aussi à la distribution. La somme ainsi générée servira à nos prochaines sorties…
Comment avez-vous pensé la sortie du film en salles ?
Dès le mois de juin, la Quinzaine des cinéastes organise une reprise des films présentés à Cannes dans plusieurs salles françaises. Ces projections ont lancé notre travail pour la distribution du film. Nous avons donc investi dès ce moment-là pour sa promotion afin de sensibiliser les spectateurs. Ces derniers ont répondu présents et le film a fait ainsi jeu égal avec des œuvres plus identifiées, portées par un casting important. Nous avons senti un désir très fort de la part du public. Dès la fin du mois d’août, nous avons invité Pham Thiên Ân à rester en France durant un mois afin d’accompagner les avant-premières, d’aller à la rencontre du public, de la presse… Dans tout le pays, il s’est retrouvé face à des salles combles. À Paris, nous avons bénéficié du soutien exceptionnel du réseau MK2. Au final, plus de 3000 spectateurs ont vu L’Arbre aux papillons d’or en avant-première.
Le film est sorti cette semaine. En quoi cette date était-elle stratégique ?
À l’origine, nous voulions sortir le film à la fin du mois d’août, mais il fallait prendre le temps de le faire exister plus largement. Nous avons ainsi contacté des associations vietnamiennes en France, nous nous sommes rapprochés de l’ambassade du Vietnam… Il était important de consolider ces liens. Nous voici donc fin septembre. La date nous paraissait idéale – si tant est que la date idéale existe – car les semaines qui vont suivre vont voir s’intensifier les propositions de films d’auteur dans les salles. Nous pensions sortir le film sur 80 copies. Au final, il est présent dans 92 salles en première semaine. Notre objectif est donc plus que rempli.
L’Arbre aux papillons d’or
Réalisé et écrit par : Pham Thiên Ân
Avec : Le Phong Vu, Nguyen Thi Truc Quynh, Nguyen Thinh…
Producteurs : Jeremy Chua, Tran Van Thi
Coproducteurs : Marie Dubas, Ka Nguyen, Le Quynh Anh, Adria Monés, Gabriel Kaplan
Distributeur : Nour Films
Ventes internationales : Cercamon
Sortie en salles : le 20 septembre
Soutiens du CNC : Aide au programme 2023 (aide à la distribution), Aide aux cinémas du monde après réalisation