Laurent Mannoni : "Méliès est le personnage le plus merveilleux des débuts du cinéma"

Laurent Mannoni : "Méliès est le personnage le plus merveilleux des débuts du cinéma"

10 mars 2021
Cinéma
Esquisse de Georges Méliès pour Le Voyage dans la lune - collection de La Cinémathèque française
Esquisse de Georges Méliès pour "Le Voyage dans la lune" Collection de La Cinémathèque française
Laurent Mannoni, le directeur scientifique du patrimoine de la Cinémathèque française, retrace la vie du « premier cinéaste arpenteur de l’imaginaire » dans un livre-somme édité par Flammarion, Méliès, la magie du cinéma, largement illustré par les collections de la Cinémathèque et du CNC. L’auteur nous raconte sa passion pour ce pionnier, dont la féérie s’est perdue au fil des décennies.

Quel a été le point de départ de votre ouvrage ? Une envie de proposer un autre regard sur le réalisateur et sur l’homme ?

Georges Méliès est le cinéaste des premiers temps le plus intéressant, le plus original. Il existe beaucoup de littérature sur lui, publiée dans les années 40. Mais il s’agit surtout d’actes de colloques, d’ouvrages savants… La biographie de sa petite-fille, Madeleine Malthête-Méliès, sortie dans les années 70, est évidemment remarquable. Cependant, nous avions vraiment envie de raconter la vie de Méliès de façon très illustrée. Un certain nombre de choses nous permettait de revisiter son œuvre : d’une part les très riches collections de la Cinémathèque et du CNC ; de l’autre quelques découvertes filmiques vieilles d’une dizaine d’années.

Nous voulions remonter à la genèse de Méliès : d’où vient-il, culturellement parlant ? En même temps, cela nous permettait également de raconter la naissance du cinéma et de cette industrie.

L’originalité de l’ouvrage, s’il en a une, est d’insister sur un sujet qui a été peu abordé jusqu’ici : la féérie au XIXe siècle. On pense que Méliès fréquentait beaucoup les théâtres de féérie et de magie quand il était enfant et adolescent, et qu’il a beaucoup puisé dans cet univers. C’est un genre totalement oublié et ça nous intéressait de remonter à ses origines.

Beaucoup d’archives de Méliès ont disparu, on imagine que le travail de recherches a été compliqué…

Vu de loin, ça semble simple d’écrire un tel livre, mais ça ne l’est pas. (Rires.) Effectivement, les archives de Méliès ont largement disparu, et on ne peut faire que des supputations sur plusieurs sujets. Par exemple, toute sa correspondance de 1896 à 1913 n’existe plus. Mais depuis 1935, la Cinémathèque a rassemblé de nombreuses archives, et Madeleine Malthête-Méliès en a fait de même à partir de 1945. La collection de Madeleine a été acquise par le CNC en 2004 et déposée à la Cinémathèque. Les deux réunies forment la plus belle collection existante sur Méliès. Même si beaucoup de choses ont disparu, il est tout même possible de travailler sur ce cinéaste avec un certain confort. Mais il faut sans cesse vérifier et confronter ses sources pour essayer d’être au plus proche de la vérité.

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Le livre contient beaucoup de témoignages précieux de cinéastes, et la préface est signée par Martin Scorsese. Ont-ils tous été faciles à convaincre ?

Concernant Martin Scorsese, nous l’avions côtoyé avec bonheur quand il a fait son film Hugo Cabret (2011), puisque la Cinémathèque a participé à son élaboration. J’ai eu la chance d’aller sur le plateau dans la banlieue de Londres et c’était fabuleux. Il avait reconstitué le studio de Méliès, la gare Montparnasse... C’était inouï, je n’avais jamais vu une telle audace. Scorsese a découvert Méliès très tôt, il fait profondément partie de sa culture cinématographique. Il a répondu extrêmement rapidement, très gentiment, et avec beaucoup de passion. Cela a été le cas pour beaucoup d’autres cinéastes, comme Francis Ford Coppola ou Tim Burton. Méliès est une référence absolue pour eux.

Méliès, la magie du cinéma © Flammarion
Quel était votre rapport à Méliès avant d’écrire ce livre ?

Je l’ai découvert quand j’étais enfant. Son œuvre m’a toujours sidéré. Et j’ai eu la chance de bien connaître Madeleine Malthête-Méliès [décédée en 2018 - ndlr] : à ses côtés, on apprenait énormément de choses, et elle tenait à communiquer son savoir. Elle ne voyait pas son grand-père comme sa chasse gardée, au contraire, elle aimait partager. Je fais également partie de l’association Méliès dans les années 80 et j’ai toujours considéré Méliès comme étant le personnage le plus merveilleux des débuts du cinéma. C’est tout à fait différent de raconter son histoire plutôt que celle de Gaumont ou de Pathé ! Méliès est atypique, unique en son genre dans la cinématographie mondiale. Et sa vie est très pittoresque, très romanesque.

Est-ce que le cinéma a perdu cet aspect féérique dont Méliès était friand ?

C’est compliqué. L’art et la technique des effets spéciaux ont fait des bonds en avant absolument incroyables avec le numérique, la performance capture... Tous les cinéastes qui font des films à effets spéciaux se revendiquent de Méliès. On a donc l’impression que sa philosophie a gagné sur le cinéma contemporain, mais il reste quelque chose d’un peu plus ambigu… Certes, son esprit magique règne en force sur la cinématographie mondiale, mais son art est perdu. C’est-à-dire que tous ces grands cinéastes ont découvert Méliès à travers des DVD et des sites internet. Ils n’ont que rarement vu des projections de ses films dans les règles de l’art, avec un bonimenteur, de la musique, des bruiteurs... La principale activité de Madeleine Malthête-Méliès était de refaire des spectacles à l’ancienne, où elle bonimentait les films avec beaucoup de vivacité et d’humour.

Maintenant que les films de Méliès ont été numérisés – parfois avec certains excès dans le domaine de la stabilité, du contraste et des couleurs – et qu’ils sont montrés partout, on a perdu le dispositif originel, auquel il tenait énormément. Le cinéma était alors un spectacle vivant : il y avait bien une machine qui projetait de la pellicule, mais il existait autour tout un univers sonore et sensoriel.

La première clientèle de Méliès était les forains et les habitués des fêtes foraines, en province et dans toute l’Europe. Méliès s’adressait aux gens du peuple, qui n’étaient pas du tout l’élite intellectuelle des années 1900-1910. Il proposait ses « films à trucs », mais les séances étaient entrecoupées de spectacles de magie, d’intermèdes, de commentaires et plus largement d’effets théâtraux.

Existe-t-il aujourd’hui un réalisateur qui serait le descendant légitime de Méliès ?

Il faut toujours nuancer, mais quelqu’un comme Tim Burton aurait pu prétendre à cet héritage. Malheureusement, il est un peu sous l’emprise de Disney désormais, et ses dernières œuvres sont moins intéressantes. Mais c’est quelqu’un qui incarnait bien la féérie cinématographique, on pouvait faire des analogies entre ses films et l’œuvre de Méliès. Sinon Wes Anderson, avec son univers artisanal, me semble assez proche de Méliès. Je pense aussi à Bruno Podalydès, qui a accepté de nous répondre pour le livre. Il adore Méliès et lui-même est magicien. Ça veut tout dire !

Méliès, la magie du cinéma de Laurent Mannoni, est édité par Flammarion, en partenariat avec la Cinémathèque française qui inaugurera prochainemement le Musée Méliès.
Le livre a bénéficié du soutien à l’édition de livre de cinéma du CNC.