Changer le cinéma pour changer le monde
Car tout a commencé le 9 février 1968, à 10h du matin, au 82 rue de Courcelles, lors du Conseil d’administration de la Cinémathèque française. A l’ordre du jour, la désignation d’un autre directeur administratif et financier qu’Henri Langlois, fondateur omnipotent de la Cinémathèque. Cette tentative des pouvoirs publics souleva une tempête. Les plus grands cinéastes du monde – Chaplin, Kubrick, Welles, Buñuel, Hitchcock, Kurosawa, Bergman, Lang, Rossellini, Antonioni, Pasolini, Visconti, Cassavetes, Ford, se joignirent à Truffaut, Demy, Varda, Chabrol, Marker, Resnais, Godard, Renoir, Bresson, Rohmer, pour défendre Langlois. Résultat : le « dragon » resta à veiller sur ses trésors, L’état, de son côté, créa les Archives françaises du film…
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Cette première mobilisation du cinéma a préfiguré celle qui advient moins de trois mois plus tard, avec la crise de mai. Du 17 mai au 5 juin, 1 500 professionnels dont Chabrol, Karmitz, Resnais, Rivette, Lelouch, Carné, Sautet, Louis Malle, se réunissent pour fonder « Les Etats Généraux du cinéma », rue de Vaugirard puis à Suresnes. Leur but : changer le cinéma pour changer le monde.
Mai 68 du cinéma en vidéo
Le rôle social et politique du cinéma
Réunis en groupes de travail, ils proposent 19 projets de réforme des structures du cinéma. Si toutes leurs propositions n’ont pas vu le jour, cette effervescence a apporté un souffle nouveau au cinéma. Un souffle tel qu’il emporta avec lui le Festival de Cannes de 1968 et donna naissance à la SRF, fondatrice, dans la foulée, de la Quinzaine des réalisateurs. Ce Mai a changé à jamais la manière de faire et d’envisager le cinéma : caméras portatives et arrivée de la vidéo accompagnèrent la création d’un cinéma plus politique, militant, féministe, dénonçant les injustices, le sexisme, montrant les révoltes ouvrières, donnant le pouvoir aux jeunes, abordant sans tabou la question des femmes, de leurs droits à la contraception, à l’avortement… Ce fut aussi le début de la décentralisation de la production, qui s’expérimenta pleinement dans les années 1970, et de l’éducation au cinéma pour tous, fondamentale dans une société autant déterminée par les images : l’enseignement esthétique, théorique et technique du cinéma fit son entrée, pour la première fois, à l’Université à Vincennes.
Pour résumer, le bouillonnement de mai 68, qui s’est poursuivi tout au long des années 1970, a donné au cinéma le pouvoir de changer le monde. Ce sont toutes ces avancées, tous ces apports, que nous avons voulu mettre en lumière cette année, 50 ans après les évènements, à travers une plateforme dédiée sur le site internet du CNC, réunissant des interviews de grands témoins et des articles de fond. Nous organisons aussi une rétrospective au Cinéma des Ursulines les 28, 29, 30 et 31 mai, afin de faire connaître la richesse de la production cinématographique de « L’entre deux mai ».
Ce rôle social et politique du cinéma détermine aujourd’hui encore la raison de notre engagement, le sens de notre politique publique qui défend un cinéma libre, créatif, indépendant, en France et dans le monde.