The French Dispatch (Wes Anderson) à Angoulême, Emily in Paris (Darren Star pour Netflix) dans la capitale, The Last Duel (Ridley Scott) en Dordogne… : ces trois grosses productions américaines partagent le point commun d’avoir choisi la France pour y tourner leurs aventures. En 2021, l’Hexagone a accueilli 15 564 jours de tournage sur son sol. Un chiffre en hausse de 25 % par rapport à l’année 2019. Chaque tournage en France est accueilli, organisé, suivi par les commissions du film appelées aussi bureaux d’accueil des tournages. Membres du réseau Film France/CNC, réparties sur l’ensemble du territoire, ces petites mains de l’ombre poursuivent la mission d’intérêt général de faciliter la réalisation, la production et la postproduction des projets en région. « Nous sommes l’un des maillons de la politique régionale en faveur du cinéma et de l’audiovisuel », explique Pauline Le Floch, responsable du bureau d’accueil des tournages des Pays de la Loire. Sa commission, qui a accueilli le tournage de Nos cérémonies (Simon Rieth) sélectionné à la Semaine de la Critique, fait partie des vingt-quatre présentes à la 75e édition du Festival de Cannes. Toutes œuvrent au quotidien à promouvoir la France comme terre de tournage, mais aussi à en optimiser l’impact économique et culturel régional.
En dehors de l’Île-de-France, en tête des régions de tournage, les autres territoires séduisent par la diversité de leurs décors et la vitalité de leur filière audiovisuelle. « Il y a quinze ans, nous accueillions un tournage par an. En 2021, nous avons accompagné 43 films, détaille Marin Rosenstiehl, responsable de la commission d’Occitanie, qui a suivi les tournages de Frère et sœur (Arnaud Desplechin), Fumer fait tousser (Quentin Dupieux) et Libre Garance ! (Lisa Diaz) en compétition à Cannes 2022. Partis de rien, il a fallu être proactifs dans les festivals et les rencontres professionnelles. Peu à peu, le bouche-à-oreille a fonctionné et certaines sociétés de production reviennent chez nous plusieurs années de suite ». Parmi les demandes, il y a celles venant de productions étrangères, notamment des plateformes (Netflix, Amazon Prime, OCS…). « Nous notons une hausse des sollicitations internationales en comparaison aux trois ou quatre dernières années où elles représentaient seulement 10 % de notre activité », expose Marin Rosenstiehl dont la commission a accompagné une partie du tournage du dernier Ridley Scott, The Last Duel, en 2020. Cette progression, malgré la pandémie, s’explique notamment par l’augmentation progressive du taux du crédit d’impôt international (C2I) mis en place en 2009 par le CNC et Film France, passé de 20 % à 30 % en 2016. Il atteint 40 % en 2020 pour les fictions qui dépensent au moins deux millions d’euros pour la fabrication d’effets visuels sur le sol français. En 2021, 92 projets étrangers ont bénéficié du C2I, soit 25 % de plus par rapport à l’année 2019.
Honorer la diversité du territoire
Conseils sur les soutiens financiers des collectivités territoriales, recherche de prestataires adéquats, aide à l’obtention d’autorisations de tournage ou encore repérage de lieux insolites constituent le quotidien des commissions du film. Côté décors, elles rivalisent d’ingéniosité pour s’adapter aux demandes, voire les devancer, afin de servir l’imaginaire des cinéastes.
Pour le tournage du film Dunkerque de Christopher Nolan en 2016, sa région a prêté durant trois mois un décor singulier à sa consœur des Hauts-de-France : celui du Maillé-Brézé, un ancien escorteur de guerre, transformé en musée en 1988 et amarré depuis sur le quai de la Fosse à Nantes. Un défi important à relever « pour approcher ce décor et le rendre mobile jusque dans le nord de la France », se souvient la responsable du bureau d’accueil des tournages.
Le Maillé-Brézé quittant Saint-Nazaire pour Dunkerque © Presse Océan
En Pays de la Loire, le bord de mer et les châteaux « plus petits que ceux de la région Centre, mais privés et meublés avec des propositions de décoration d’intérieur clés en main » constituent des lieux privilégiés de tournage. En dehors de la base de données Film France des décors nationaux, les réalisateurs peuvent trouver l’inspiration sur une page dédiée du site de la commission qui met à l’honneur la diversité du territoire ligérien entre paysages côtiers, architecture médiévale et sites industriels.
La vieille ville du Mans, notamment le quartier de la Cité Plantagenêt, attire aussi de nombreuses productions. On y vient tourner des films d’époque et y reconstituer le Paris moyenâgeux. « C’est quasiment un studio à ciel ouvert, souligne Pauline Le Floch. Le mobilier urbain à l’image des poubelles et des bancs a été pensé pour être démontable lors des tournages ». En ce moment, le département de la Mayenne accueille les équipes de La Bataille de Farador, une comédie médiévale fantastique canadienne.
En Occitanie, les productions désireuses de trouver des lieux originaux et atypiques, parfois à contre-courant de l’image d’Épinal qui leur est associée, peuvent consulter le site Screen Occitanie entièrement dédié à la recherche de décors.
Nous avons travaillé sur les atmosphères à travers la photographie pour épouser au mieux le langage cinématographique. Un réalisateur peut se projeter avec seulement trois clichés, mais le lieu doit raconter quelque chose ». Cette année, sa commission accompagne en partie, à Villefranche-de-Rouergue, en Aveyron, les équipes de la mini-série américaine All the light We Cannot See, produite par Netflix, sur la Seconde Guerre mondiale. Et plus précisément sur la libération en 1944… de la ville de Saint-Malo. Il se trouve, en effet, que l’une des places de la commune abrite un granit semblable à celui de la cité malouine…
Consolider le bassin d’emploi local
L’évolution de l’écosystème audiovisuel oblige les commissions du film à se réinventer tout en leur permettant de renforcer la filière locale. La valorisation des professionnels (techniciens, comédiens, artistes-interprètes…) est l’une de leurs autres attributions. En 2021, les tournages en Pays de la Loire – qui ont généré plus de quatre millions de recettes pour le territoire – ont permis d’y recruter 167 techniciens, 71 rôles principaux et de proposer 1077 cachets de figurants. « Notre bureau des tournages est intégré à Solutions&co, l’agence de développement économique, aux côtés des relais régionaux d’Atout France, de Film/France CNC et de Business France », souligne Pauline Le Floch. Cette synergie permet de nous appuyer sur un réseau d’experts très pointus en matière de valorisation des ressources ». Le référencement des professionnels sur l’outil Film France Talents permet aussi de concourir au rayonnement et à l’attractivité du territoire.
Former des techniciens, des comédiens, des artistes-interprètes prêts à intégrer les tournages est une autre manière de contribuer à la vitalité du bassin d’emploi local. « C’est l’assurance pour les productions de trouver des professionnels aguerris en dehors de l’Île-de-France », note Marin Rosenstiehl. La commission du film en Occitanie travaille en lien étroit avec l’école de cinéma et d’audiovisuel Travelling. Pour obtenir le fond de soutien de la région, les productions doivent y dépenser au moins 150 % du montant de l’aide sollicitée et au minimum 20 % du budget de leur œuvre. Un moyen d’inciter au recrutement local et de permettre aux productions de baisser leur défraiement. En l’espace de quatre ans, la région a absorbé trois quotidiennes, Un si grand soleil (France 2), Demain nous appartient (TF1) et Ici tout commence (TF1). « En télévision, les équipes recrutent 80 % de leur équipe localement. Une quotidienne fait travailler environ 200 personnes par jour et 600 à l’année. Il a fallu s’adapter en termes de recrutement, de logistique et de studios ». À l’horizon 2024, Pics Studios, un complexe de plus de 40 000 mètres carrés– 9 plateaux de tournage, 13 000 mètres carrés d’espaces de production et 6 000 mètres carrés dédiés à la formation des métiers de l’audiovisuel – devrait sortir de terre à Saint-Gély-du-Fesc, près de Montpellier. Une initiative impulsée dans le cadre de l’appel à projet France 2030 « La grande fabrique de l’image » qui vise à faire de l’Hexagone le leader européen des tournages et de la production numérique.
L’année 2022 s’annonce prometteuse pour la France. En Pays de la Loire et en Occitanie, une quinzaine de fictions sont déjà en préparation comme Le Pot-au-feu de Dodin Bouffant (Tran Anh Hung), un film adapté d’un roman de Marcel Rouffe, porté par Juliette Binoche et Benoît Magimel, tourné près de Segré dans le Maine-et-Loire, ou encore le Livre des solutions (Michel Gondry), avec Pierre Niney en tête d’affiche, qui plante son décor dans les Cévennes gardoises.