Yov Moor DR
« Un des aspects du travail est la continuité au sein d'une séquence ou dans le film entier. Nous intervenons par exemple si le chef opérateur n’a pas pu avoir la même lumière dans une scène à cause de la trajectoire du soleil, s’il faut transformer le plan en une séquence de nuit… Mais l'étalonnage c'est aussi chercher le rythme visuel d'un film, voir comment le faire « sonner » avec les couleurs. On peut choisir de ne pas conserver la stricte continuité pour choquer les plans les uns avec les autres, pour diriger le regard vers certaines zones, pour retrouver de la profondeur dans une image ou encore pour donner du corps aux images via la texture», explique Yov Moor.
S’il étalonne les images en post-production grâce à des logiciels tel Resolve et Baselight, ce professionnel intervient également avant le tournage, dans le cadre d’essais filmés. « C’est la meilleure méthode, souligne-t-il. On peut essayer différents types de caméras, d’optiques et de styles d’étalonnage pour avoir déjà une image qui a du caractère avant le montage. S'il n'y a pas de direction particulière dans les images au montage, les gens s'habituent, et il est difficile ensuite de s'en éloigner. » Dans certains cas, il peut aussi être amené à conseiller le chef opérateur pendant le tournage, pour « vérifier si les rushes tournés ne sont pas surexposés ou sous-exposés ». Tout en gardant à l’esprit la ligne directrice définie en amont lors d’un échange avec le réalisateur et le chef opérateur. « Mon travail est d’assimiler la technique pour traduire ce qu’ils veulent. Le réalisateur a le dernier mot surtout dans les films d’auteur : c’est son œuvre. L’étalonneur, avec le directeur photo, est responsable de l’image du film fini, de sa qualité et de son rendu ainsi que de sa capacité à être montré au cinéma et en streaming ».
Respecter la vision du réalisateur
Pour Yov Moor, la plus grande difficulté - et le plus grand plaisir - du métier d’étalonneur est liée à ce travail d’interprétation de la vision et des envies du réalisateur. « Techniquement, il y a toujours des solutions mais il faut une empathie pour se mettre au niveau du réalisateur et comprendre son point de vue ». Pour chaque projet, l’étalonneur s’adapte ainsi non pas au genre du film mais à son auteur et son style. « Pour Perdrix d’Erwan Le Duc, je ne me suis pas dit qu’il fallait mettre telle couleur car c’était une comédie, j’ai vraiment pris en compte l’esthétique et le ton de l’histoire très second degré ». L’approche n’est pas forcément la même lorsqu’il s’agit d’une plus grosse production, comme Le Sens de la fête d’Eric Toledano et Olivier Nakache. « C’est davantage un produit pensé pour que ça fonctionne auprès du spectateur. Le point de vue des réalisateurs est pris en compte mais aussi celui du monteur, du producteur… Il y a une lecture assez simple de l’image et une volonté ici d’avoir de la chaleur. Avec le chef opérateur, nous pensions mettre un style différent dans chaque pièce du château et finalement tout a été unifié pour avoir un ensemble qui fonctionne ».
Pour Les Enfants d’Isadora de Damien Manivel, Yov Moor a travaillé un rendu très « précautionneux ». « Avec le réalisateur et son chef opérateur Noé Bach, nous ne voulions pas faire quelque chose de sur-stylisé, de trop lourd. Nous n’avons pas intellectualisé l’étalonnage : il n’y avait pas de bible expliquant comment faire certaines choses. Mais ils étaient suffisamment fins pour savoir ce qui n’était pas juste pour le film ». Le travail était encore différent pour Mustang de Deniz Gamze Ergüven, notamment en termes de timing. S’il dispose habituellement de dix jours pour étalonner un film, Yov Moor n’a eu cette fois-ci que cinq jours de délai. « Le film a été étalonné deux semaines en Allemagne par un autre professionnel mais la réalisatrice a refusé sa version car elle n’était pas présente pendant l’étalonnage. Je suis donc reparti de zéro. Nous avons travaillé de manière instinctive avec le directeur de la photo David Chizallet jusqu’à trouver ce qui nous faisait vibrer. Il y avait un état d’esprit d’urgence entre le délai imparti et le fait d’être juste avant Cannes. Cette urgence a fait qu’il y a eu des partis pris de couleurs et peu de retenue dans l’étalonnage ». La même recherche de parti pris dans la couleur a guidé le directeur de la photo Jonathan Riquebourg et Yov Moor pour Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin. Alors qu’au montage les rushes étaient moins « saturés et plus humbles, sans couleur perçant l’écran », il a choisi, en accord avec le réalisateur et son chef opérateur, une image « ressemblant davantage aux adolescents qui sont bourrés d’énergie, de violence et de passion. Il fallait redonner de la couleur pour donner de la vie ».
Une révolution à venir
« Passer de l’étalonnage chimique à numérique a été une importante évolution. C’était au départ des points de couleur et des réglages d’exposition sur des scènes complètes. Maintenant, avec l’évolution des outils et leur qualité, on peut suivre les mouvements d’un visage par exemple ». Les outils vont encore évoluer grâce à l’Intelligence Artificielle. « Certains permettent de reconnaître un visage et son volume pour mettre un angle de lumière différent. Certains ralentis faits par l’IA sont de meilleure qualité. La révolution est juste en train de commencer : les machines sont de plus en plus puissantes, on peut travailler sur des images de plus en plus lourdes et en temps réel ». Autre changement, certains outils de couleurs, plus accessibles, permettent de fluidifier le dialogue : les logiciels Da Vinci ou Prelight permettent, par exemple, aux chefs opérateurs de mettre les mains dans la matière et de mieux comprendre le fonctionnement de l'outil. (Dans la même idée, les réseaux sociaux et les filtres Instagram permettent au grand public de « comprendre qu’on peut manipuler l’image.)
Quant au streaming, son évolution n’a pas eu d’impact majeur sur le travail de l’étalonneur. « Les plateformes telles qu’Amazon et Netflix proposent la même qualité qu’un Blu-Ray, nous avons donc les mêmes contraintes. Mais pour le streaming, nous avons tendance à ne pas faire des choses trop denses car les films sont regardés soit en extérieur soit à l’intérieur mais avec la lumière du jour. Les images doivent être plus nettes, avoir un grain moins important pour que la compression pour le streaming soit plus propre ».
Quel parcours ?
Certaines écoles de cinéma dispensent des formations d’étalonneur. Les personnes souhaitant faire ce métier peuvent également se tourner vers un BTS Métiers de l’Audiovisuel, option métiers de l’image. Mais l’étalonnage est aussi ouvert aux autodidactes comme Yov Moor qui a découvert le monde de l’image dans son enfance, grâce à sa mère travaillant pour les éditions Delpire (publiant des livres sur la photographie) et son père architecte travaillant ses plans sur ordinateur. Après avoir fait de la retouche photo dans l’imprimerie, il s’est dirigé vers le monde du jeu vidéo pour faire de la modélisation 3D. « Je n’ai pas suivi le parcours classique d’un étalonneur qui commence comme stagiaire dans un laboratoire et qui monte petit à petit les échelons. J’ai fait des cours de motion capture, de l’habillage télé et cinéma, des films institutionnels mais toujours dans le domaine des effets spéciaux et de la 3D », raconte-t-il.
En 2006, il crée avec des associés Wallpaper Post, une société de post-production image. « J’ai commencé l’étalonnage pour un long métrage sur lequel j’étais chef opérateur. Nous avions peu de moyens et nous avons donc étalonné nous-mêmes la version numérique tandis que la version 35 mm a été faite par Richard Deusy, un étalonneur chevronné, dont j'aime le travail ». Une première expérience, suivie par de nombreuses autres, qui a fait naître en lui l’envie de poursuivre dans cette voie, aujourd’hui en tant que freelance.