L’Heure d’été, d’Olivier Assayas

L’Heure d’été, d’Olivier Assayas

23 août 2019
Cinéma
L’Heure d’été, d’Olivier Assayas
L’Heure d’été, d’Olivier Assayas
Dans L’Heure d’été d’Olivier Assayas sorti en 2007 se côtoient meubles de Louis Majorelle et Josef Hoffmann et tableaux de Jean-Baptiste Corot. Loin d’être un simple décor, ces objets d’art sont au cœur de ce drame intimiste sur un héritage familial. François-Renaud Labarthe revient pour le CNC sur ce projet atypique et sur son métier de chef décorateur.

Une maison familiale en plein été. Enfants et petits-enfants sont réunis autour d’Hélène Berthier (Edith Scob) pour ses 75 ans. Cette dernière qui a conservé et protégé toute sa vie l’héritage laissé par son oncle, le peintre Paul Berthier, profite de l’occasion pour évoquer avec son aîné sa succession. Ce patrimoine qu’elle laissera derrière elle rassemble aussi bien des toiles de maître que des meubles de grande valeur signés Louis Majorelle et Josef Hoffmann. Pierre angulaire de L’Heure d’été, ce mobilier sortait tout droit du Musée d’Orsay, le film d’Olivier Assayas étant né d’un court métrage de commande du musée pour célébrer son 20e anniversaire - un projet qui est finalement resté dans les cartons avant de devenir un long métrage.

Mais tourner avec des pièces authentiques a bouleversé le travail du chef décorateur, François-Renaud Labarthe, et de son équipe. « Il fallait être extrêmement précautionneux. Quand elles ne tournent pas, ces pièces doivent être protégées : il ne fallait pas s’asseoir sur les chaises, ne rien poser sur les meubles... Une personne du musée était en permanence avec nous. Lors de la préparation, le plus long a été de mettre en place le cadre du travail avec Orsay car il s’agit de pièces uniques, précieuses. Outre les questions d’assurance et de transport, il fallait également faire des visites techniques avec des experts du musée pour vérifier par exemple que la maison du tournage n’avait pas de termites », explique François-Renaud Labarthe.

Si la plupart des meubles étaient mentionnés dans le scénario, d’autres ont été proposés par le chef décorateur qui a fait un croisement entre désirs et possibilités : « Certaines choses nous plaisaient au musée et on les a complétées avec des objets venant de marchands d’antiquités, ce qui nous a coûté très cher. Le prix de l’armoire zébrée d’Hoffmann était indécent, près de 150 000 euros, à tel point que son marchand était content qu’elle soit dans le film. Il nous a fait un prix pour la location, mais ça nous a coûté une fortune en assurance… »

Une partie d’échecs

Si le travail autour des meubles a été compliqué, l’équipe de François-Renaud Labarthe a eu beaucoup moins de mal à trouver la maison servant de décor à L’Heure d’été. « Les repérages sont toujours longs, un à deux mois, mais ce n’était pas compliqué, il fallait juste trouver la maison avec l’atelier du peintre ». Assez logiquement, l’équipe de repérage a donc ciblé « la région des peintres, vers Auvers-sur-Oise ». Pour trouver le lieu idéal, François-Renaud Labarthe se fie à son instinct. « Je fonctionne à la vibration : lorsque je vibre, c’est qu’il se passe quelque chose. Un ensemble d’informations (l’espace, les matières, les couleurs, etc) me donnent envie de garder un lieu et ce n’est pas lié au budget », précise-t-il.

L’aspect financier reste malgré tout un élément essentiel dans la construction d’un décor. « Nous partons du scénario et après la lecture de ce dernier avec le réalisateur qui nous fait part de ses envies précises, nous tentons d’appréhender les décisions importantes telles que la construction de décors qu’on ne trouvera pas naturellement et qui représente un coût important, détaille le chef décorateur. On visite les décors, on prépare les dossiers, on fait des plans, du graphisme, on cherche les meubles, les accessoires… » Une fois le budget établi, s’engage alors la « partie la plus pénible » : les discussions avec les producteurs. « En général, le budget est trop élevé pour eux. Il faut réduire des choses sans pour autant embêter le réalisateur. C’est une vraie partie d’échecs… »

La confiance d’Olivier Assayas

Douzième long métrage d’Olivier Assayas, L’Heure d’été est la dixième collaboration entre le cinéaste et François-Renaud Labarthe. Les deux hommes ont commencé à travailler ensemble sur Désordre, le tout premier long métrage du réalisateur. « Il avait vu un court métrage que j’avais fait en tant que décorateur et a demandé à me rencontrer. C’était en 1986 et on ne s’est plus quittés depuis. » « J’ai fait quasiment tous ses films, souligne d’ailleurs le chef décorateur. Mais j’essaie de ne pas le connaître par cœur car je ne veux pas être victime d’automatismes. On est évidemment liés mais on ne se fréquente pas en dehors des films. On se retrouve en tournage après s’être enrichis chacun de notre côté avec nos expériences ailleurs ».

Cette longue collaboration a fait naître un vrai lien de confiance entre les deux hommes, à tel point que le réalisateur donne une totale liberté à son chef décorateur, contrairement à d’autres cinéastes. « Ce qui intéresse Olivier Assayas, c’est que je donne ma vision du film. Je décide des couleurs, des meubles, des accessoires… Quand il tourne, le décor lui appartient : il réorganise parfois l’espace pour respecter ses idées de mise en scène ou change des éléments car nous n’avons pas les mêmes goûts. Mais le connaissant très bien, les choses sont généralement à leur place ».

L’importance de la couleur

Chef décorateur depuis une trentaine d’années et nommé à deux reprises aux César (pour Lady Chatterley de Pascale Ferran et A l’origine de Xavier Giannoli), François-Renaud Labarthe « remet le disque dur à zéro à chaque film pour ne pas se répéter. Qu’on me dise que mon style est reconnaissable m’agace plus qu’autre chose. Pour moi, mon travail doit être invisible et en harmonie avec les acteurs et l’histoire ».

Passionné par son métier même s’il regrette une dégradation des conditions de travail dues, en partie, à des budgets en baisse, François-Renaud Labarthe se destinait pourtant à la finance. Mais au moment de démarrer son 3e cycle à l’université pour travailler dans le secteur bancaire, il choisit de suivre sa passion première, le cinéma. Il se dirige de manière instinctive et naturelle vers la décoration. « C’est un métier à part, quelque chose qu’on a en soi ou pas. Il faut des notions de réalisation et d’image, avoir un goût pour l’harmonie des meubles et des lampes, être à l’aise avec l’espace, les formes, les couleurs… Pour devenir un décorateur acceptable, il m’a fallu 10 à 15 ans de travail ».

L’un des points délicats qu’il soulève est lié aux teintes d’un film. « Quand on décide de mettre une couleur sur un mur, elle sera dans le film à la fin, elle déterminera l’image… C’est une responsabilité importante qui fait peur : on a donc tendance au départ à faire des choix peu risqués, tels que le blanc cassé ou le beige. Et on s’encanaille au fur et à mesure. Personnellement, j’adore les couleurs, elles ont un impact émotionnel très fort dans un film. Si la scène se passe en été comme dans L’Heure d’été, il faut choisir en fonction de la lumière qu’on va avoir. On ne privilégiera pas les couleurs très claires s’il y a des entrées de soleil assez fortes et on fera le contraire en hiver, mais ce n’est pas une obligation car on détermine davantage les couleurs selon une charte générale construite avec le réalisateur et appliquée tout au long du film », conclut-il.