Liberté-Oléron ou l’abécédaire estival des frères Podalydès

Liberté-Oléron ou l’abécédaire estival des frères Podalydès

25 juillet 2019
Cinéma
"Liberté Oléron" de Denis et Bruno Podalydès

[Série d’été « Quand le cinéma français part en vacances » – Episode 2] Liberté-Oléron est sorti en juin 2001 : trois ans après Dieu seul me voit (Versailles-Chantiers) dont le succès public et critique a transformé Denis et Bruno Podalydès en joueurs majeurs du cinéma français, les deux frères se sont embarqués dans l’histoire de Liberté-Oléron. La famille Monot est en vacances et le père, Jacques (Denis Podalydès), s’ennuie. Il rêve d’acheter un bateau, et c’est le début des ennuis… C’est surtout le début d’une comédie estivale qui ne ressemble justement pas à une comédie estivale comme les autres, multipliant les ellipses, cultivant la lenteur, le comique de répétition et résumant le style des frères Podalydès. La preuve par les lettres.


A comme autobiographie

Après deux films avec son frère Denis largement nourris de leur vie à Versailles, Liberté-Oléron est une œuvre de pure fiction, pas du tout autobiographique : « J'ai fait de la voile quand j'étais enfant, mais ce n'est pas le plus important », précisait Bruno Podalydès en 2001 aux Inrockuptibles. « Tout réalisateur français rêve, à mon avis, de filmer le Grand Canyon, les grands espaces. Ce qui me plaisait en tant que réalisateur, malgré la petitesse du sujet, c'était de retrouver un parfum de film d'aventures, d'épopée, dans des dimensions très réduites, certes, mais avec les mêmes aspirations, le même mouvement. »

B comme bruitages

Par les bruits cocasses du gonflement interminable des bouées, des perches des pêcheurs à marée basse ou même une flatulence dans un bateau (fait à la bouche par Bruno lui-même pendant le tournage de la scène), le son de Liberté-Oléron est un univers comique à lui tout seul, qui porte la marque des frères Podalydès, entre minimalisme et bricolage. C’est Nicolas Becker qui s’est chargé des bruitages : il a travaillé avec les plus grands, d’Alain Resnais à Gaspar Noé en passant par Alfonso Cuarón, pour qui il a créé l’environnement sonore de Gravity.

C comme chanson

On entend dans le film C’est extra de Léo Ferré, Bijou, bijou d’Alain Bashung et Jamming de Bob Marley comme si l’on entendait une radio française populaire. Mais surtout, le film s’ouvre sur la ritournelle Trois p’tits chats, qui refera son apparition dans le film lors de la scène du feu de camp. La chanson se pose comme un bon résumé de l’humour Podalydès, un humour qui joue à marabout-bout de ficelle en sautant d’une idée à l’autre, en misant sur l’absurde, le décalage et le jeu des sonorités.

F comme Floc’h

C’est le dessinateur Floc’h qui s’est chargé de l’affiche de Liberté-Oléron : via l’illustrateur, Podalydès se connecte à l’univers de la BD « ligne claire » et à l’univers d’Alain Resnais (Floc’h a signé les posters de Smoking/No Smoking et On connaît la chanson), l’idole du réalisateur en termes de cinéma comique : « J'admire beaucoup chez Resnais cette façon de rester enfant avec une immense intelligence des choses, sans la moindre trace de distanciation hautaine ni de second degré. »

H comme Humour

Liberté-Oléron concentre-t-il tout l’humour des Podalydès ? Langage absurde, chansons populaires, poésies classiques (le fils qui déclame Cyrano de Bergerac), situations burlesques, étude de mœurs (la famille française en vacances avec un rêve de statut social), seconds rôles bien dessinés sans caricature… La légèreté apparente du film n’est justement qu’apparente : en profondeur, l’humour du film s’efface pour dresser un portrait absurde, pas si éloigné de Samuel Beckett, d’un homme qui se perd autour d’un bateau incapable de bien naviguer.

M comme mer

« On passait des heures en mer, debout sur des barges d'ostréiculteurs. C'était assez beau à voir : quinze personnes debout, et comme la barge était pleine, l'eau recouvrait le pont. On avait l'impression que c'était quinze Jésus marchant sur l'eau. J'ai vu le making off des Dents de la mer : Spielberg filmait ce genre de scène caméra à l'épaule. Même dans un film à gros moyens, quand on est en mer, c'est retour direct à la modestie. »

N comme naufrage

« J'ai aussi beaucoup pensé à Titanic », disait encore Bruno Podalydès en 2001. « Les deux films sont la chronique d'un naufrage annoncé. » Liberté-Oléron annonce le joli naufrage de Comme un avion (2014), réalisé et joué par Bruno (avec Denis dans un petit rôle), où un ingénieur aéronautique rêve de périple en kayak le long d’une rivière et finit très rapidement coincé sur une île à profiter de la vie.

S comme Scénario

Bruno et Denis Podalydès ont écrit à quatre mains le scénario de Liberté-Oléron, tout comme ceux de Dieu seul me voit, Adieu Berthe et Bancs publics. Les frères ne se sentent pas liés à la vie, à la mort pour écrire ensemble : leurs adaptations de Gaston Leroux (Le Mystère de la chambre jaune et Le Parfum de la dame noir) ont été écrites par Bruno tout seul, de même que Comme un avion et Bécassine ! sorti en 2018.

T comme Tintin

Signe que les Podalydès ne voulaient pas s’enfermer dans un style, l’absence de référence directe à l’univers de Tintin : les frères, fous de la BD d’Hergé, avaient par exemple reconstitué le restaurant syldave du Sceptre d’Ottokar dans Dieu seul me voit et truffé leurs films suivants de clins d’œil. Dans Liberté-Oléron, rien d’aussi explicite : « Je n'y ai pas directement pensé, à part peut-être pour les séquences de rêves. J'aime beaucoup les rêves chez Hergé, la façon dont il représente l'inconscient », disait Bruno Podalydès en 2001.

V comme vocabulaire

L’humour des frères Podalydès se base aussi largement sur le langage : Liberté-Oléron utilise justement un vocabulaire maritime spécialisé et incompréhensible (« lâche la grisouille », « attrape le boute à bâbord »), dont on ne sait jamais s’il est vrai ou inventé. L’idée est de faire rire en racontant n’importe quoi, y compris le vocabulaire classique d’Edmond Rostand via des vers de Cyrano…

W comme Why Not Productions

Fondée en 1990 par Grégoire Sorlat et Pascal Caucheteux, cette société a produit tous les films de Bruno Podalydès, y compris Bécassine ! en 2018. Why Not a aussi produit les films de Jacques Audiard, Arnaud Desplechin ou même les derniers films de Ken Loach et Andreï Zviaguintsev.