Comment est née chez vous l’envie de parler d’écologie ?
Ce film doit tout à Jean-Claude Carrière. Voilà quelques années, il m’appelle pour me parler d’une idée de film autour d’enfants qui se passionneraient pour l’écologie au point de se lancer dans un projet pour sauver la planète, sans en parler à leurs parents. C’était bien avant les manifestations organisées par les enfants dans la foulée des appels de Greta Thunberg. Il me donne une scène à lire et je ne la trouve pas crédible. Je lui assure qu’on va avoir l’air d’adultes qui mettent des mots et des considérations d’adultes dans des bouches d’enfants. Soit tout ce que je déteste. Mais il ne comprend pas ma réaction. Il n’en démord pas, convaincu que la révolte des enfants contre l’action climatique des gouvernements n’a absolument rien de hors-sol. Il faut savoir que Jean-Claude était fils de paysan et qu’il avait une relation très forte à la nature. Dans les années 60 déjà, il avait coécrit un documentaire autour de la nature, Le Bestiaire d’amour de Gérald Calderon, adapté de Jean Rostand. Et puis, trois mois plus tard, j’entends parler d’une grève de la faim d’une jeune Suédoise de 12 ans : Greta Thunberg. Je rappelle Jean-Claude et je lui demande comment il a fait pour anticiper tout cela et avoir été aussi visionnaire. Lui m’assure qu’il faut que je me dépêche de faire ce film sinon j’aurais l’air de courir après le réel et de surfer sur une vague au lieu de la devancer. Cette fois, je suis son conseil et on commence à écrire ensemble.
Comment s’empare-t-on d’un sujet aussi vaste que l’écologie ?
Ce sujet me faisait peur en effet. Mais assez vite, j’ai eu la certitude que la seule manière de l’aborder était de passer par l’humour pour éviter tout côté « donneur de leçons ». D’apporter au récit une forme légère, délicieusement satirique.
L’écologie était un sujet qui vous parlait avant La Croisade ?
Pas plus que la moyenne des gens. Je n’ai jamais été militant de quoi que ce soit. C’est d’ailleurs pour cela que j’admire autant Greta Thunberg. Quelle lucidité, quelle intelligence politique ! À seulement 12 ans, elle fait la leçon aux chefs d’État du monde entier, elle arrive à mobiliser les médias à travers la planète… Aujourd’hui, je ne suis pas plus militant. Et La Croisade ne l’est pas non plus. Il n’essaie pas de faire la leçon mais un état des lieux avec ce qu’il faut d’ironie. Il tente de s’amuser avec un moment que je juge vraiment historique, après m’être évidemment beaucoup documenté sur le sujet.
Cette idée que notre vie a un impact direct sur notre habitat est en effet une conception totalement nouvelle. Rien de plus logique donc qu’elle échappe aux plus anciens qui n’ont jamais eu à la vivre et qu’elle parle autant aux enfants qu’elle vient directement percuter. Le gouffre entre les générations est d’autant plus énorme qu’il paraît inéluctable que l’on doive changer profondément nos manières de vivre. Pas juste trier les déchets mais entreprendre des travaux monumentaux. C’est donc une aventure folle et géniale qui s’ouvre pour les plus jeunes générations.
Votre film raconte justement ce nouveau paradigme écologique à travers une histoire portée par des enfants. C’est plus difficile d’écrire pour eux que pour des adultes ?
Beaucoup plus compliqué ! J’avais eu la même angoisse pour L’Homme fidèle où Joseph Engel – qui reprend ici son personnage – avait alors 9 ans. La peur de les faire parler comme des adultes, d’en faire des enfants robotisés. Mais je me suis aperçu que plus on écrit des dialogues incisifs, violents et provocateurs, plus les jeunes acteurs ont plaisir à s’en emparer car ça devient un pur jeu pour eux. Pour travailler avec les enfants, je me suis beaucoup inspiré de celui qui, pour moi, est le meilleur dans ce domaine : Jacques Doillon. Doillon ne les regarde jamais comme des êtres doués d’une intelligence ou d’une beauté particulière. Dans ses films, ils peuvent être méchants, salauds, cons, bêtes ou géniaux. Mon but était le même : éviter de les rendre conventionnels ou clichés. Pour y parvenir, j’ai beaucoup répété avec eux, organisé des mini-classes vertes avec des géographes pour les familiariser avec le sujet car ils n’étaient pas obsédés par l’écologie.
Et dans votre écriture, vous cherchez à vous adresser aux enfants ?
Depuis toujours, quand j’écris, je pense que la récompense ultime serait que des jeunes gens soient attirés par mes films. C’est donc forcément encore plus le cas pour La Croisade. Mais de manière générale, avec Jean-Claude, on avait toujours les futurs spectateurs en tête quand on écrivait. Il me rappelait toujours sa technique de travail avec Luis Buñuel. Ils s’étaient inventé deux spectateurs imaginaires : Raymond et Georgette. Et quand ils doutaient de leurs idées les plus surréalistes, ils se demandaient si Raymond et Georgette les accepteraient. J’aime beaucoup cette manière de travailler, de se dire que même dans un conte, il faut essayer de deviner où en sont les spectateurs pour mieux déjouer leurs attentes. C’est encore plus vrai quand on aborde un sujet comme l’écologie qui parle à toutes les générations, d’une manière ou d’une autre.
C’est aussi en ayant les spectateurs en tête que vous avez choisi de faire un film aussi court ? La Croisade ne dure que 67 minutes.
Oui et d’ailleurs quand j’ai annoncé sur scène cette durée avant la projection du film à Cannes, j’ai été acclamé ! (Rires.) Ça vient d’une blague de Coluche, qu’adorait Jean-Claude : « Les films, c’est bien mais il y a souvent une heure de trop ! » Jean-Claude m’a toujours incité à faire court en m’assurant que les gens m’en seraient reconnaissants. C’est comme en littérature. Il peut y avoir des fresques et des nouvelles. Or dans le cas de La Croisade, je vois cette fable comme une nouvelle satirique. La courte durée était une évidence.
LA CROISADE
Scénario : Louis Garrel et Jean-Claude Carrière.
Image : Julien Poupard.
Montage : Joëlle Hache.
Musique : Grégoire Hetzel.
Production : Why Not Productions.
Distribution : Wild Bunch.