Un grand amour de Beethoven d’Abel Gance (1936)
Cinéaste de la démesure, le Français Abel Gance a posé les bases de la grammaire du cinéma, dont il fut véritablement l’un des pionniers avec D.W. Griffith, Sergueï Eisenstein ou F.W. Murnau. Pour Gance, l’arrivée du parlant marquera une rupture dans une carrière qui ne retrouvera jamais son lustre passé. Pourtant, ce Grand amour de Beethoven propose une utilisation du son exemplaire. Le scénario se concentre notamment sur la surdité de Beethoven incarné ici par Harry Baur. Pour exprimer cette perte de repères, Gance filme le visage du musicien alors que sa Sixième Symphonie se fait entendre. On comprend vite que cette musique ne résonne que dans la tête de Beethoven. Quand la caméra se tourne pour offrir une vision subjective du protagoniste, la musique a brutalement disparu. Le son des oiseaux et le bruit de la rivière sont devenus imperceptibles. Outre Harry Baur, d’autres interprètes ont incarné le grand compositeur. Parmi eux, Erich von Stroheim dans le Napoléon de Sacha Guitry (1955) ou encore Gary Oldman dans Ludwig van B. de Bernard Rose (1994).
Orange Mécanique de Stanley Kubrick (1971)
La figure et la musique de Beethoven hantent l’esprit du personnage principal, Alex (Malcolm McDowell). Le portrait du compositeur orne les murs de sa chambre et bientôt de sa cellule. L’amour que voue Alex à Beethoven l’humanise et laisse entrevoir une rédemption possible. Il refuse ainsi de violenter une jeune musicienne qui a le bonheur d’interpréter un morceau de son compositeur favori. Lors de sa rééducation, Alex, les yeux grands ouverts, voit des images de camps de concentration sur lesquelles on a posé la Neuvième Symphonie. Une association insupportable pour Alex. La « marche » de la Neuvième Symphonie a été réinterprétée pour les besoins du film par la compositrice Wendy Carlos qui utilisa un Moog, un synthétiseur modulaire. Le résultat désacralise la solennité de la partition tout en apportant une étrangeté malaisante.
Soleil vert de Richard Fleischer (1973)
Sol, le personnage incarné par Edward G. Robinson, est mourant. Confortablement installé, le vieil homme contemple sur un écran panoramique des vues du monde avant la catastrophe écologique décrite dans le film : couchers de soleil, champs de fleurs aux couleurs chatoyantes, animaux paisibles au bord d’une rivière, banc de poissons au fond de l’océan… Des enceintes sortent les accords majestueux de la Symphonie Pastorale qui se marient parfaitement à cette représentation idéalisée de l’ancien monde. « Est-ce que tu vois ça, c’est beau n’est-ce pas ? », demande Sol à Frank Thorn (Charlton Heston) sidéré par tant de beauté. La musique de Beethoven incarne donc ici la beauté originelle, celle qui reste lorsque tout aura été détruit.
Prénom Carmen de Jean-Luc Godard (1983)
Au début des années 80, les droits de l’Opéra de Georges Bizet tombent dans le domaine public. Plusieurs cinéastes vont livrer leurs transpositions du célèbre Opéra sur grand écran (Francesco Rosi, Carlos Saura…). Jean-Luc Godard signe lui ce Prénom Carmen. Mais il écarte la musique de Bizet, qu’il ne goûte guère, lui préférant celle de Beethoven qu’il a plusieurs fois citée dans son œuvre (Une femme mariée…). L’intrigue a également été actualisée et Carmen (Maruschka Detmers) est une femme sauvage et résolument moderne. La musique de Beethoven est omniprésente avec notamment les répétitions d’un quatuor rythmant le récit. « Mon vrai producteur, c’était Carmen, et mon scénariste c’était Beethoven qui a bien voulu m’écrire une attaque de banque avec de la musique », expliquera le cinéaste à Eve Ruggieri dans son émission télévisée Musique au cœur à la sortie du film.
Irréversible de Gaspar Noé (2002)
La fin d’Irréversible, on le sait, est en réalité le début du film. Mieux, il s’agit d’une renaissance. Alex (Monica Bellucci) est sur son lit, les mains délicatement posées sur son ventre. La caméra tournoie dans la pièce, prête à s’envoler dans les airs. Elle virevolte bientôt sur les pelouses du parc des Buttes-Chaumont à Paris où l’on retrouve Alex allongée en train de lire. Tout au long de cette séquence, les accords pénétrants de la Septième Symphonie de Beethoven suggèrent tout à la fois une apothéose et un apaisement. A l’écoute de cette musique solennelle, l’esprit du spectateur est encore chargé de toute la violence qui a précédé.
Elephant de Gus Van Sant (2003)
Un an après Irréversible de Gaspar Noé, Gus Van Sant envisage lui-aussi la musique de Beethoven comme la prémonition d’une violence à venir. L’action d’Elephant se passe le temps d’une journée a priori banale dans une ville moyenne américaine. Deux adolescents armés pénètreront bientôt dans leur lycée tuant au hasard celles et ceux qui s’y trouvent. Juste avant le massacre, un plan fixe nous montre des adolescents sur un bout de pelouse en pleine partie de football américain. La mise en scène ralentit les gestes pour les mettre au diapason de la Sonate au Clair de Lune qui envahit tout l’espace. Une jeune fille vient se poster au milieu de ce cadre, hume l’air et observe inquiète le ciel, pressentant une menace. Beethoven a déjà été entendu plus tôt dans le récit. L’un des deux tueurs a joué quelques accords de la Lettre à Elise sur son piano. L’apparente douceur des morceaux de Beethoven choisis par le cinéaste rappelle la fragilité du monde.