Girl traite tout à la fois de danse, de la question transgenre mais aussi de la relation père-fils. Lequel de ces aspects est plus directement à son origine ?
Lukas Dhont : L’idée de Girl remonte à 2009. J’avais alors 18 ans et je m’apprêtais à débuter mes études de cinéma quand j’ai découvert dans un journal flamand un article sur une jeune fille, Nora, qui voulait devenir danseuse étoile tout en étant née dans un corps de garçon. J’avais été très touché par cette histoire et admiratif du courage qu’il avait fallu à Nora, au cœur de cette période complexe de l’adolescence, de mettre son corps en adéquation avec qui elle était vraiment au plus profond d’elle-même, sans se soucier des réactions autour d’elle. Alors je l’ai contactée dans l’idée de faire un documentaire qui aurait été mon premier film d’école. Mais elle a refusé car elle se sentait encore trop fragile.
Et vous avez alors décidé tout de suite d’en faire une fiction ?
Oui et j’ai immédiatement demandé à Nora si elle serait d’accord pour en accompagner l’écriture, en parlant avec moi du sujet, de son monde intérieur… Il y avait là une combinaison incroyable entre ce corps d’adolescente qui subissait une transformation encore plus grande que les gens de son âge et son rêve de devenir danseuse étoile, un art où le corps tient une place centrale. C’est ce qui m’a donné envie de réaliser ce film autour du personnage de Lara, fortement inspiré donc de Nora
Et ce sans jamais donner l’impression de vous faire porte-drapeau d’une cause…
Une phrase de Girl le résume parfaitement. Quand Lara dit à son père qu’elle ne veut pas être un exemple mais juste une fille. Lara ne représente pas toute la communauté dont elle fait partie. C’est un cas particulier auquel certains pourront, en voyant le film, s’identifier. Mais je n’ai jamais pensé Girl comme un film militant. Ni pendant l’écriture, ni sur le plateau. Ma seule obsession a été de trouver la distance correcte pour ce récit. Être au plus près de Lara mais sans verser dans le voyeurisme. J’avais envie d’un film lumineux et chaleureux.
Deux adjectifs qui symbolisent l’interprétation éblouissante de Victor Polster dans ce rôle de Lara. Sans cette perle rare, Girl n’aurait peut-être jamais pu voir le jour. Avez-vous un moment douté la trouver ?
Oui, j’ai été longtemps habité par cette crainte. Sur le papier, le défi était immense. Girl allait devoir être porté par un acteur de 15 ans, capable d’incarner ce changement d’identité complexe tout en étant un très bon danseur. Est-ce que cette personne existait ? Le casting a duré un an et demi. Nous avons vu plus de 500 personnes et à un moment, je l’avoue, on a vraiment pensé qu’on ne trouverait pas notre Lara. On a alors arrêté de chercher et commencé à travailler sur le casting des rôles secondaires. Et c’est là que Victor est venu auditionner pour un des personnages de danseurs. Nora était présente et impliquée dans ce choix car il était essentiel pour moi qu’elle se sente bien représentée à l’écran. Et on a eu tous les deux un enthousiasme immédiat pour Victor et ce mélange de maturité et d’élégance indispensable au rôle.
Est-ce que la responsabilité évidente que vous aviez vis-à-vis de Lara en racontant cette histoire a pu, à certains moments, vous freiner ?
Je sais que j’ai construit ce scénario et imaginé sa mise en images en essayant de conserver toute la complexité et la subtilité de la situation. Et Lara a été associée à chaque étape. Mais à un moment, il est indispensable de mettre cette notion de responsabilité de côté sous peine qu’elle vous paralyse et vous conduise droit dans le mur. Comme cinéaste, il faut surtout savoir prendre ses propres responsabilités et faire son film tel qu’on l’a imaginé.
Girl est sorti en salles le 10 octobre. Le film a bénéficié de l'Aide sélective à la distribution (aide au programme).